Publié le 5 Septembre 2014

Que l’on s’en réjouisse ou que l’on le regrette, de très nombreuses organisations sont désormais confrontées à des situations dans lequel le lien hiérarchique n’existe pas. Souvent, cette absence de « chef » désigné donne lieu à des quêtes et manœuvres visant à en instituer un, malgré tout – ou à le devenir. Pourtant, il est à la fois vertueux et efficace de résister à cette « tentation totalitaire » et pratiquer un « leadership partagé ».

Sans lien hiérarchique, il ne reste plus qu’à mieux travailler ensemble !

On nous le répète à l’envie : la France est un pays monarchique, jacobin, centralisé. Il faut bien faire avec. Et si tout va mal, c’est parce qu’on manque d’un « chef », d’un leader dont le « charisme » et l’ « autorité » seront reconnus par tous. Et chacun de se référer à son « grand homme » (ou femme) providentiel(le), seul(e) à même de résoudre toutes nos difficultés.

Bien sûr, on trouve aussi des contre-exemples « révolutionnaires » que l’on s’empresse de porter au pinacle, et la visite ébahie auprès d’organisations « coopératives » semble avoir remplacé la visite initiatique à Saint Chamond de dirigeants désormais soucieux de gommer une étiquette « libérale » - bien que le lien entre le centralisme parisien et le libéralisme par nature décentralisateur soit encore à expliciter…

Mais une fois rentré, on revient bien vite à l’autorité centralisée, aux mécanismes classiques du pouvoir légal et institutionnel.

L’absence de « chef » semble être la maladie de ce temps

Dans beaucoup d’entreprises françaises, on résiste encore à la mise en oeuvre des organisations matricielles, dans lesquelles l’équilibre des pouvoirs cher à la tradition anglo-saxonne prend le pas sur l’omniscience des cartésiens hexagonaux. L’autorité serait « efficace », et les mécanismes de participation ne sont issus que de la contestation sociale – encore une lutte pour le pouvoir – quand ils ne sont pas une facétie de communicants, un effet d’ambiance. Quand il faut diriger, décider, il faut un « chef ». Et si l’organisation n’en a pas établi un, incontestable, les énergies peuvent vite se focaliser sur des luttes pour le « pouvoir ». Et si le monde politique vit à ce titre d’élection en élection, certaines entreprises s’épuisent alors entre attentisme et manœuvres, au détriment de l’attention portée aux clients, aux marchés, à la performance et donc à la pérennité de l’existence commune.

L’absence de « chef » est ainsi dénoncée pour être la maladie de ce temps, et toutes les énergies doivent être mobilisées pour apporter le remède, chasser les contestataires, faire taire les divergences, rétablir l’ordre, la discipline, l’acquiescement. Et tant pis si faute de clients oubliés, de marchés perdus et de talents gâchés, on finit par mourir. Morts mais « soignés ».

Le succès à l’international s’affranchit de l’autoritarisme hexagonal

En termes d’efficacité, il n’est pas certain que la tradition autoritaro-charismatique française soit la plus reconnue. Le « leadership » français reste à prouver sur la scène internationale, au-delà des coups de menton et des sermons moralisateurs, à l’heure des conflits en Ukraine, au Moyen-Orient, en Afrique, et de la tension croissante sur les approvisionnements en ressources stratégiques.

Quant aux entreprises françaises performantes, il semble que leur succès à l’international se soit affranchi de l’autoritarisme hexagonal pour adopter des fonctionnements dans lequel s’épanouissent les talents, et qui s’adaptent à l’instabilité et à l’imprédictibilité naturelles des équilibres stratégiques, de la concurrence mondialisée et de l’innovation technologique.

Pourtant, certains s’opposent aux formes de « leadership partagé » en se drapant dans un nationalisme « culturel ». Cet « équilibre des pouvoirs » serait étranger à la tradition française, et il serait, ou vain, ou détestable, d’adopter un modèle « importé ».

L’ « exception française » est sans doute une réalité dans bien des domaines. Et cela est vrai pour chaque peuple. Mais chaque individu appartient à de multiples cercles d’appartenance, dont la coexistence et l’interaction lui confèrent une identité unique : famille, territoire d’origine ou d’adoption, activité professionnelle et loisirs, tempérament, talents et appétences… Toute approche culturaliste intégrative est à la fois réductrice et totalisante. Voire totalitaire.

L’autoritarisme n’est pas immoral, il est inefficace.

Alors, puisque certains sont en droit de préférer des modèles autoritaires, plutôt que la « chienlit », il n’est ni pertinent, ni utile de condamner l’autoritarisme au regard de critères « moraux ».

Même si le « chef » est à la fois source et production d’une « pensée magique » dont la dissipation avait permis l’expansion industrielle et politique de notre vieux continent. Et qui ressurgit ici et là, hésitant entre messianisme et barbarie.

Quelque soit le groupe social et le contexte, l’autoritarisme n’est pas (seulement) immoral, il est (surtout) inefficace.

Il effraie et tétanise les énergies. Il dissuade la prise d’initiatives, et même l’expression d’idées. Et il est le moteur du désengagement. Car si l’homme (ou la femme) est providentiel(le), il n’est nul besoin de se mobiliser pour contribuer au projet collectif. Chacun peut alors devenir le passager clandestin d’une « reprise » dont il s’agirait alors de cueillir les fruits, plutôt que de se mobiliser pour en actionner les leviers.

A ceux qui observent le redressement économique de nos voisins européens, et la dynamique de nos concurrents internationaux, il peut être bon de rappeler que, à l’exception de territoires dotés de ressources naturelles qui leur confère une richesse de rentiers, aucun pays ne doit sa prospérité à un « chef », mais aux efforts et à la mobilisation de tous.

Certains ont fait une partie du chemin, et acceptent les fonctionnements « transversaux », « non hiérarchiques » pour des activités « marginales », mais les excluent des affaires « sérieuses ». A ceux-là, on recommandera la lecture des ouvrages de Christian Morel, qui vulgarise utilement dans ses descriptions des « décisions absurdes » les leçons des « organisations hautement résilientes ». Quand il est question de vie ou de mort (dans la santé, l’aéronautique, l’industrie pétrolière, les sous-marins nucléaires…), ce n’est pas le recours au « chef » et/ou à l’autorité des procédures (forme désincarnée du chef omniscient) qui garantit la sécurité de tous, mais bien la facilitation des contributions de chacun, dans l’interaction.

L’organisation idéale n’existe pas

La question n’est donc pas de se soumettre aux organisations non hiérarchiques ou d’y résister, mais de faire « avec ».

L’organisation idéale n’existe pas. Car au moment même où elle est imaginée, elle est déjà dépassée. Les hommes choisis sont partis, les produits ont évolué, la concurrence a bougé.

Une organisation n’est pas un cadre. C’est un « attracteur » : une image instantanée de fonctionnements souhaités, de répartitions des rôles adaptés à un moment donné, à des circonstances momentanées.

La tradition sociologique issue des travaux de Michel Crozier a permis de valoriser avec bonheur les sociogrammes, pour visualiser et comprendre les interactions interindividuelles réelles, qui l’emportent sur les organigrammes figés. Mais comprendre n’est pas agir, et le sociologue n’est pas, a priori, un homme d’action : ni entrepreneur, ni politique.

Dès lors, les nouvelles formes d’organisations qui s’affranchissent à de nombreux niveaux de décision des relations hiérarchiques, sont les mieux à même de permettre l’agilité des entreprises, et la mobilisation des énergies.

Bien sûr, les relations qui naissent de ces organisations sont complexes. Certains liens hiérarchiques sont clairs, d’autres sont en pointillés. D’autres encore inexistants, puisque décrivant une « co-existence » en théorie pacifique.

A ceci près que la vie des entreprises et des organisations génère inévitablement des tensions entre groupes sociaux, entre individus : des objectifs antagonistes, des approches différentes, des ambitions concurrentes, des résistances aux changements, conscientes ou inconscientes…

« Et la confiance, bordel ? », mais aussi les contributions !

La multiplicité de ces tensions génère une inévitable complexité. La tentation autoritaire revient alors en force, et trouve alors un allié dans la tradition cartésienne nationale : pour résoudre la complexité, il « suffit » donc de trouver l’organisation idéale, le chef omniscient et partant, omnipotent…

Les recherches et l’expérience de chacun le démontrent pourtant : on ne « résoud » pas la complexité, pas plus que le « brouillard de la guerre », fut-elle économique. On s’y adapte. Et en la matière, c’est parce qu’on partage des objectifs communs, basés sur une « vision », des « valeurs » ou toute autre « ambition » commune, et que l’on sait « mieux travailler ensemble » que l’on se donne des chances de réussir ensemble, en tirant profit de toutes les ressources disponibles, par nature rares.

Mais encore faut-il prendre la peine d’expliciter cette vision, ces valeurs, cette ambition. D’établir des habitudes de travail en commun, de construire des synergies et de nourrir la confiance mutuelle, qui donnera une véritable résilience individuelle et collective face aux difficultés. Cette confiance que décrivent avec talent les contributeurs à l’ouvrage récent de l’Institut Montaigne. Mais la confiance n’est pas un pari, c’est une production dérivée des contributions collectives.

Et puis, au quotidien, il faut aussi adopter et faire vivre des postures et des pratiques de facilitation de l’émergence d’idées, de projets. Et garantir leur mise en œuvre, en synergie, au profit de tous et de chacun.

Les débats actuels autour de « l’efficacité » du « design thinking » sont une illustration parmi d’autres de la difficulté à faire travailler ensemble les différentes fonctions de l’entreprise, ou les différents groupes d’une société. Les « experts » méprisent les productions de ces nouveaux « groupes de parole », où des Monsieur Jourdain remettent en cause les savoirs acquis. Et des ayatollahs d’une « participation » mal perçue y voient une bonne façon de prendre leur revanche sur ceux qui ne reconnaissent pas leurs talents, souvent localisés autour l’intelligence émotionnelle quand les « dirigeants » ont fait prévaloir, tout au long de la sélection imposée par le système éducatif français, leur intelligence conceptuelle.

Et si la vie de l’entreprise, la vie de la société, étaient autre chose qu’une lutte des classes, des expertises, des pouvoirs ? Et s’il fallait en fait, retrouver le goût et la pratique du vivre et travailler ensemble ?

Dans notre société post-taylorienne et notre monde en réseaux, on ne peut imaginer que les hommes s’alignent comme l’ont fait les chaines de production, et obéissent aveuglément aux « chefs » et aux « procédures ». C’est pourquoi la pratique du « leadership partagé » n’est pas une mode fugace, mais bien une nécessaire adaptation des fonctionnements collectifs, propre à animer efficacement toutes les dynamiques sociales. Une nouvelle forme de « socio-dynamique ».

Voir les commentaires

Publié le 26 Juin 2014

L’article « Comment la France est en train de tuer le TGV » paru le 23 juin dans les Echos a le double mérite d’attirer l’attention et de partager des éléments factuels sur les enjeux que rencontre la SNCF (et demain, avec RFF) avec l’offre TGV. Cependant, au-delà des enjeux économiques et organisationnels propres au système ferroviaire, le TGV révèle aussi des faiblesses collectives françaises et, en creux, des enjeux partagés.

Le TGV comme image, ou comme usage ?

Les Français, malgré une tradition cartésienne, adorent avoir recours à la pensée magique : une nouvelle organisation nécessairement idéale permettra de retrouver des synergies entre équipes, un homme ou une femme naturellement providentiel(le) adaptera 60 millions de concitoyens aux transformations du monde, l’inévitable retour d’un cycle économique favorable apportera une croissance retrouvée… Et, en cette fin de période de grèves ferroviaires, le TGV apportera évidemment à un territoire attractivité et emplois.

Et si on appliquait à ce sujet passionnant et passionnel des méthodes de décision et d’action issues de l’entreprise, en commençant par se poser la question : un TGV, pour quoi faire ?

Retrouver une cohérence entre investissements et offres de transport

Avant la création de RFF, la SNCF pouvait promouvoir, auprès de sa tutelle publique, la réalisation d’infrastructures sur lesquelles s’appuieraient ses futures offres de transport. Sans doute était-ce aussi d’autres temps, alors que la dette publique pouvait encore être acceptée, ou plus simplement négligée. Mais au moins, il y avait une cohérence entre les deux constituants d’une offre de transport à grande vitesse : l’infrastructure et les services.

Avec la création de RFF, la tentation est née de « saupoudrer » les investissements pour acheter une forme de « paix sociale », parfois presque indépendamment de la pertinence économique des futures offres.

De plus, et comme dans d’autres cas de création d’entités par scission, RFF s’est constitué « contre » la SNCF. On entendait en effet qu’il était indispensable de donner des gages d’indépendance dans la perspective de l’ouverture du marché ferroviaire à de « nouveaux entrants ». Intellectuellement, pourquoi pas. Et puis, on entend tellement qu’il faut toujours « tuer le père »… Mais dans la pratique, la SNCF était sur les trafics voyageurs, et est encore jusqu’à présent, pour la quasi-totalité des offres, l’opérateur unique, avec une connaissance historique du réseau et des marchés.

Refuser des synergies avec l’opérateur historique de transport, au moins prospectives et non exclusives de l’ouverture à d’autres, c’était alors se priver d’expertises naturellement rares (car en l’absence d’un marché concurrentiel, la formation est assurée par l’opérateur unique, c’est rationnel et économique). Et le recours à des prestataires externes, ou à des ingénieurs généralistes, ne pouvait qu’imparfaitement répondre aux besoins. Rajoutons-y les très français « conflits de castes » entre anciens élèves des différentes grandes écoles de la République, et le transfert de quelques cheminots désireux de « prouver » leur allégeance au nouvel établissement par une posture d’opposition radicale envers l’ancien employeur… Le manque de synergies était alors, si ce n’est inéluctable, hautement probable.

Bien sûr, on aurait pu objecter que la tutelle commune devait permettre de trancher des différents entre stratégies d’investissements. Mais a-t-on beaucoup vu de responsables politiques de premier plan, naturellement soucieux d’un « coup d’après » intimement lié à leur popularité, prendre le risque d’opposer un refus explicite ? Là encore, il a toujours été beaucoup plus prudent, et donc courant, de pratiquer le saupoudrage de projets, ou plus précisément le « phasage »… Un bout maintenant, un bout plus tard… au moins, vous pourrez dire que vous l’avez obtenu !

Alors, le regroupement des deux EPIC au sein d’une même structure résoudra-t-il les manques de synergie, et les enjeux de cohérence des infrastructures et des offres ? A la différence d’un cabinet ministériel dont les objectifs sont parfois contradictoires, un comité exécutif d’entreprise a vocation à adopter et surtout mettre en œuvre une stratégie cohérente, y compris (et surtout) en situation d’incertitude. Il n’est demeure pas moins qu’une unicité organisationnelle n’apporte pas de réponse magique aux enjeux d’interfaces et de synergies, qui reposent notamment sur les interactions humaines, la complémentarité des talents et des habitudes « culturelles », les process internes et les agendas propres… Et ceci d’autant, qu’à ce plus haut niveau des entreprises, on doit faire travailler ensemble des personnalités fortes, riches de leurs expertises succès et convictions : un vrai challenge.

Gageons que son Président, qui a déjà conduit avec succès de nombreuses transformations d’une SNCF encore percluse de rigidités statutaires, humaines et organisationnelles, réussira à animer une équipe élargie.

Plus que la baguette magique, la mobilisation de tous

Au-delà des critiques philosophiques qu’il peut susciter, le recours à la pensée magique a un inconvénient majeur : la déresponsabilisation de chacun et le réflexe du « passager clandestin ». Si tout finit par arriver par magie, pourquoi donc changer ses habitudes, se remettre en question, susciter la créativité, passer à la vitesse supérieure ? Il suffit seulement de trouver le bon magicien – ou le bon intercesseur.

Jusqu’à présent, et encore aujourd’hui, beaucoup des élus locaux ont toujours voulu « leur » TGV, perçu comme porteur de dynamiques positives.

Et si les projets TGV suscitent des oppositions, c’est le plus souvent en raison des impacts environnementaux des infrastructures, bien souvent liés à d’importants enjeux financiers de « compensation » des territoires traversés : des sujets traités pris en compte par RFF et la Commission Nationale du Débat Public dans le cadre des démarches institutionnelles de « concertation », et générateurs de millions d’euros de prestations de services, de transferts financiers et d’aménagements divers.

Aujourd’hui, on commence aussi à entendre des oppositions liées à l’étranglement financier de l’Etat et des collectivités, et à d’éventuels arbitrages entre projets d’infrastructures, mais aussi entre investissements de transports et dépenses sociales, ou tout simplement de hausses d’impôts…

Mais toujours, le TGV est revendiqué par ses promoteurs, implicitement ou explicitement, comme le vecteur d’un « coup de baguette magique » évidemment bénéfique.

Alors, lorsque certains élus justifient la nécessité de « leur » TGV en avançant que l’offre créera le trafic, il serait aussi utile de se poser les deux questions suivantes : prenez-vous vraiment le TGV pour le plaisir du voyage, ou le prenez-vous pour aller dans un territoire dans lequel vous voulez travailler, ou visiter ? Et qu’attendez-vous de « votre » TGV ? De vous permettre d’aller (où ?), ou de faire venir ? Des villes dortoirs aux gares-betteraves, les exemples d’échecs, au moins pendant quelques (dizaines d’) années, illustrent la limite de cette croyance en une création de valeur « automatique », et rappellent que le succès tient à la mobilisation de tous.

Passer du « en êtes-vous ? » au « que faites-vous ? »

Quand on évoque les offres ferroviaires, mais plus généralement tous les projets d’aménagement, le sentiment de « déclassement » que l’on perçoit tient à la place très française du « statut ». « En êtes-vous » ou pas ? Enarque (dans la botte ou pas ?), ingénieur (mais de quelle école), ville TGV ou pas….

Plutôt que d’évaluer l’autre au regard de ce qu’il « est » – et de s’auto-évaluer ainsi -, ne serait-il pas plus pertinent de se demander de ce qu’il « fait » ? De passer d’une vision statique, figée dans le passé, à une vision dynamique, tournée vers l’avenir ?

D’ailleurs, le TGV est-il encore « la France » ? C’est indubitablement encore un très bel outil, actualisé, modernisé, et que beaucoup nous envient. Mais faut-il que la France soit figée dans ses gloires passées pour n’avoir à afficher au plus haut qu’une invention des années 70, même actualisée.

Alors, bien sûr, le TGV est un vecteur d’image. L’est-il parce qu’on « en est » (ou pas) ?

Aujourd’hui, toutes les grandes villes voient s’arrêter le TGV, ne serait-ce qu’à vitesse « normale » - une des réalités que pointe l’article des Echos. Est-il donc désormais un critère discriminant ?

Vecteur d’image, il l’est au moins à l’occasion de la mise en service d’une nouvelle offre parce que, pendant un temps réduit, on met sous les feux de l’actualité un territoire desservi, qui devra se présenter sous son meilleur jour.

Ce moment de la mise en service est en soi un enjeu car les premières impressions sont souvent pérennes. Et si le quartier gare n’est pas convenablement aménagé, s’il est difficile de se rendre à la destination de son choix, par les transports collectifs ou en voiture individuelle, si l’offre touristique n’est pas à la hauteur de l’image projetée (la qualité des hôtels, de l’accueil, des services…), si les entreprises ne sont pas attractives, on oublie vite « l’effet TGV ».

De plus, après le premier moment de curiosité, les choix se font plus rationnels. Et le TGV n’est alors plus un vecteur d’image, mais un objet d’usage.

Le TGV comme usage : les nouvelles pratiques

A l’heure de la communication instantanée et de la démocratisation des transports (de proximité comme à grande distance), la mobilité physique se rationalise. On pense usage, et pas image. L’attractivité n’est plus liée au fait « d’avoir » le TGV, mais d’afficher un temps de parcours complet, de porte à porte : « à x heures de… ». Le voyage TGV n’est plus un événement, c’est une pratique, un moment.

Ce changement de paradigme de la grande vitesse est émergent, y compris dans les discours de certains décideurs politiques, une fois passées les premières déclarations, attachées à la dimension symbolique.

Un autre changement apparaît petit à petit. Historiquement, le TGV est fait pour aller à Paris, et dans l’idéal, en faire venir les partenaires et visiteurs.

Mais lorsque les métropoles régionales se développent au profit d’un grand bassin de vie, que les relations d’affaires se font avec les voisins européens ou avec des partenaires plus éloignés, l’enjeu est-il vraiment la liaison TGV avec Paris ?

Et quand il s’agit d’exiger des arrêts voisins sur une même ligne TGV, a-t-on vraiment pris conscience que, avec l’inertie de freinage et d’accélération, un TER est plus rapide qu’un TGV ? Là encore, faute de pédagogie, l’image perçue continue à l’emporter sur l’usage réel. Alors, si les perceptions sont importantes, et structurantes des rapports humains, il est aussi important de les actualiser, plutôt que de les considérer comme figées.

A l’heure des investissements, il est important de considérer la nature de l’effet TGV attendu : image ou usage ? Et de l’assumer alors comme tel.

Pour réussir les retours sur investissement : pédagogie et engagement

La grande vitesse ferroviaire est un objet complexe et passionnant car tenant à la fois au symbolique, individuel et collectif, et au technologique, dans de nombreux domaines.

Pour les passionnés du sujet, on ne peut évidemment que recommander l’ouvrage de référence réalisé par Michel Leboeuf « Grande Vitesse » (au Cherche Midi), qui permet de découvrir ou approfondir toutes les dimensions du sujet.

Pour tous, acteurs publics et privés, experts et utilisateurs, l’opportunité d’un investissement TGV gagne toujours à la confrontation des points de vue, des échéances, des perceptions, des projets. Car le débat, dès lors qu’il n’est pas revendicatif, mais contributif, génère de la cohérence, des synergies, de la création de valeur.

Et surtout, pour tous ceux qui font la vie d’un territoire, la clé du succès est de se poser la question centrale : et moi, que puis-je faire pour que cet investissement exceptionnel (parce que rare) s’inscrive dans un écosystème créateur de richesses, dont je serai moi-même acteur ? Puis de passer à l’acte, avec ses compétences, son énergie, ses capacités d’investissement, et de décision.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Territoires

Publié le 3 Avril 2014

A l’occasion de la Journée nationale du réserviste (le 10 avril), il peut être utile de rappeler quelques caractéristiques de ces individus qui échappent, souvent, aux tentatives de classification, et donc de compréhension.

Les réservistes militaires : un bien curieux bestiaire

Par définition, un réserviste militaire est un citoyen qui alloue volontairement une partie de son temps aux Armées. Cette relation est obligatoirement régie par un lien contractuel : un engagement à servir dans la réserve (ESR), sorte de contrat d'intermittent à temps choisi par accord mutuel, et qui rémunère le temps passé ; ou au moins, un agrément de « collaborateur bénévole du service public » (CBSP), qui formalise et reconnait une contribution totalement désintéressée.

 

Les grands fauves

286928.ori.jpgIl y a d’abord les « grand fauves », seigneurs des lieux: les réservistes retraités du service actif. Après une carrière classique, souvent longue, pendant mais aussi après leur obligation de disponibilité (5 ans après leur départ), certains choisissent de prolonger leur engagement dans les Armées, à raison de quelques (parfois, quelques dizaines) semaines par an.

Avec eux et pour eux, c’est du gagnant-gagnant. Ils complètent leur retraite de jeunes retraités actifs, en forme et compétents. Et les Armées bénéficient, en particulier en des temps de réductions drastiques des formats, de personnels immédiatement employables, qui connaissent parfaitement le poste qu’ils occupent - puisque c’était parfois le leur quelques mois avant ce changement de statut -, ou en tous cas le contexte et les règles et enjeux spécifiques à ce monde professionnel. Pour les Armées, ce sont de vrais « professionnels à temps partiel », employables immédiatement et facilement.

A ceux qui, découvrant cette situation, souhaiteraient lire ici une critique d’anti-militariste primaire, prompt à chasser le soldat par nature suspect quand il n’est pas tout simplement dangereux, il convient de rappeler que les entreprises, mais aussi les services de l’Etat et les collectivités font de même, en employant comme consultants (le statut d’auto-entrepreneur est bien pratique), des jeunes retraités – ou « pré-retraités » - que les réorganisations ont poussées dehors, en pleine possession de leurs compétences, pour le plus grand malheur de tous…

Par bonheur, dans tous ces cas, l’ingéniosité des hommes l’emporte toujours sur la complexité des mesures administratives dès lors qu’il convient de faire tourner la boutique, en particulier les intérêts supérieurs du pays… Le glaive et la cuirasse, dans le bon sens cette fois.

Fins connaisseurs de la machinerie administrative – car les Armées sont une administration, rappelons-le -, ces réservistes la font fonctionner souvent directement pour eux-mêmes et la réalisation de la mission, passant du statut d’active à celui de réserviste sans que personne n’y voit rien… à l’exception de leur maître-tailleur, heureux de coudre quelques galons supplémentaires acquis tout naturellement du fait de la reconnaissance de leur ancienneté et de leur utile disponibilité de retraité actif.

Vu de l’extérieur, leur statut de « militaire » ne change pas : ils demeurent ceux qu’ils ont toujours été, mais seulement à temps partiel. Leur entourage le remarque, ou pas.

 

Les dinosaures

dinosaures-marche-dinosaures-big.jpgIl y a aussi les dinosaures. Depuis la fin du siècle dernier, et la suspension du service national, ils sont par nature appelés à disparaître… Après leur période obligatoire – désormais lointaine -, ils ont voulu continuer à servir au sein des Armées, d’abord de façon plutôt informelle puis, au fil des ans et des évolutions statutaires et réglementaires, avec un lien plus formalisé.

Si leur extinction est inéluctable, leurs motivations sont complexes. Ils animent les préparations militaires, les journées de citoyenneté et occupent des emplois divers dans les Armées, souvent sur le territoire national, et parfois en opérations extérieures. Ils portent l’uniforme, ont un grade, réalisent des activités très « militaires ». Chez eux, on les regarde parfois avec fierté, parfois aussi avec agacement, lorsque leurs absences se font au détriment de la vie de famille ou de l’activité professionnelle. Pour certains dinosaures, la discrétion est de ce fait devenue une habitude.

Certains voient d’ailleurs chez eux des « aventuriers », quand ce ne sont pas des « mythos ». D’autres leur attribuent des pratiques parasitaires (la solde, les décorations, l’uniforme…). Souvent, on les tolère, dès lors qu’ils ne perturbent pas trop le fonctionnement de services déjà très sollicités. Il convient qu’ils s’adaptent, et non l’inverse !

Il est vrai qu’ils sont difficiles à cerner. Ils vivent la plupart du temps dans le monde civil. Alors, bien sûr, ils ont passé un an dans les Armées (parfois un peu plus), mais c’était il y a longtemps… Ce ne sont donc pas des militaires professionnels. Mais puisqu’ils vieillissent, ils acquièrent aussi une certaine expérience. Au sein des Armées, car ils suivent des formations, parfois partagées avec leurs camarades d’active. Et puis dans leur activité professionnelle « civile», qui pourrait parfois être utile aux Armées. Leur légitimité, voire leur autorité, est parfois reconnue.

Mais au bilan, ce ne sont pas des « guerriers », et rarement des « spécialistes ». Alors, pourquoi s’en préoccuper, en particulier lorsqu’on n’a pas de temps pour réaliser les missions assignées ? Il suffit d’attendre qu’ils disparaissent… Mécaniquement, et au plus tard avec les limites d’âge. Et chez eux aussi, on attend qu’ils se lassent de ces « jeux d’enfants », à moins qu’on n’en redoute leur retour…

 

Les pique-boeufs

PiqueBoeuf.jpgSe développe depuis quelques temps l’espèce « pique-boeufs » (des oiseaux qui accompagnent les grands mammifères, comme les rémoras les requins) : les réservistes citoyens. Même si elle existe depuis plusieurs années, les Armées  voyaient dans cette espèce des « papys » souvent sympathiques mais aussi chronophages et parfois encombrants. Elles lui trouvent désormais, en ces temps de rude disette,  beaucoup d’avantages.

En effet, cette réserve citoyenne ne coûte rien tout en rendant des services divers : des actions d’environnement, en disant autour d’eux du bien de l’institution, et en contribuant à la résilience de la société, en contribuant à la diffusion d’une « bonne parole citoyenne ». Certains vont même plus loin, en apportant gracieusement aux Armées des expertises « civiles » précieuses.

Chacune des forces armées s’est donc lancée dans une quête auprès de personnalités emblématiques (artistes, sportifs…) mais aussi d’experts qualifiés dans des domaines professionnels utiles aux Armées. L’ambition désormais est de rajeunir cette population en recrutant une diversité d’acteurs de la société civile, plus jeunes, et de toutes origines.

Mais qu’est-ce qui motive ces « pique-bœufs »  ? Certains sont d’anciens grands fauves qui, avec les années qui passent, ne peuvent plus occuper de fonctions opérationnelles. Ils s’engagent alors dans les associations d’anciens, retrouvent leurs camarades et contribuent notamment au devoir de mémoire.

Mais ceux qui émergent sont une nouvelle variété… Ils n’ont aucune expérience militaire – le plus souvent en raison de leur âge, car impossible de devenir réserviste opérationnel passé 30 ans –. Mais ils souhaitent concrétiser un engagement civique, « citoyen » comme on dit aujourd’hui. Alors, ils donnent leur temps, leur expertise, leur énergie. Gratuitement. Certaines Armées leur attribuent même le droit de porter l’uniforme, d’autres seulement un insigne.

Leur action au profit de leur « hôte » est souvent réduite à son « environnement ». Ils rendent de menus services et servent aussi d’alerte, en cas de perturbation à proximité du grand corps. Ils peuvent un peu encombrer mais globalement, ils sont assez utiles et surtout, ils n’impactent pas l’intérieur du corps social – ils sont d’ailleurs gérés spécifiquement, souvent par les grands chefs.

Et puis, le lien Armées Nation est une directive du commandement. Alors, on les tolère, on les regarde même parfois avec bienveillance, curiosité, intérêt. Car ils ne coûtent pas grand chose, si ce n’est un peu de temps et d’écoute. Et puis c’est un peu de « relations publiques » avec des représentants d’un monde civil qui parfois, avec la reconversion de demain, pourra être utile, directement ou indirectement.

Vus de l’extérieur, c’est une population étrange. Pour les anciens « grands fauves », c’est simple, presque logique. Mais les autres ? Servir gratuitement ? Il y a tant d’associations et de causes humanitaires…

 

Les suricates

suricate_ld01.jpgLes « suricates », sont une espèce encore plus récente. Dans le bestiaire des réservistes, ils sont voués à succéder aux « dinosaures ».

Comme les « pique-bœufs », ils sont issus de la « société civile ». Mais ils acquièrent, de par une formation militaire initiale (deux semaines de formation et un mois de stage, en général), un « vernis militaire » opérationnel, un grade, un statut, un contrat.

Administrativement, rien ne les distingue des « dinosaures », ni des « grands fauves » d’ailleurs. Comme eux, ils sont titulaires d’un ESR et sont donc employés – moyennant rémunération – par les Armées, pour un emploi donné. Mais leur expérience du monde militaire est encore plus réduite que celle des « dinosaures » – et évidemment de celle des « grands fauves ».

Alors pour la plupart, les unités des Armées demeurent très perplexes quant à cette nouvelle population. Ces jeunes réservistes sont potentiellement des symboles du lien Armées-Nation, cher aux grands Chefs. Mais alors, pourquoi les distinguer des « pique-bœufs » ? D’autant plus qu’il faut les payer, les équiper, les entraîner, les employer… Et toutes les entreprises connaissent le problème : un « stagiaire », ça prend du temps, parfois plus que ça n’en « rapporte ». Ajoutons le fait qu’ils sont moins disponibles que les « grands fauves », puisqu’ils sont étudiants, ou jeunes professionnels. Alors, il est souvent difficile pour eux de répondre au coup de sifflet bref, ou de se libérer pour longues périodes.

Quant à leur « style », il est parfois étonnant pour l’institution. Enfants de la génération numérique, ils photographient, postent leurs « exploits » lors des préparations militaires ou actions d’entraînement… Difficiles à contrôler, donc, et pas assez disciplinés. Alors, bien sûr, le buzz qu’ils génèrent est plutôt positif, enthousiaste, généreux… Mais libre par nature.

L’avenir de ces « suricates » est donc très incertain, en dépit des investissements de formation initiale que font les Armées, au travers des préparations militaires et autres actions similaires. Les garder, les entretenir, les former… Pourquoi ?

 

Avec les réservistes, inventer une « gestion des compétences inversée » ?

reservistes-alerte-guepard.jpgEn dehors des « grands fauves », qui ont une utilité reconnue, et trouvent dans cet engagement post-active du sens et des intérêts partagés, la fonction du réserviste militaire est sujette à de multiples incertitudes.

Car ces réservistes militaires mais « civils » ne peuvent être pris en compte que de façon individuelle, alors que les Armées fonctionnent souvent par « grands flux » : pour les emplois (même si c’est de moins en moins vrai), et pour les formations, les filières.

De par leur nombre restreint (surtout quand on enlève les « grands fauves », majoritaires), les réservistes ne peuvent que difficilement entrer dans les catégories du monde militaire. Très concrètement, d’ailleurs, les systèmes d’information du ministère ne peuvent que très difficilement les suivre efficacement, quand bien même – et peut-être parce que -  la volonté est affichée de les traiter comme leurs camarades d’active.

Et encore une fois, en ces temps de réduction et de transformations massives, les personnels en place n’ont, a priori, pas la disponibilité suffisante pour prendre en compte leurs spécificités, quand le propre avenir du « cœur de métier » est déstabilisé, voire menacé.

Pourtant, leurs compétences individuelles pourraient certainement être utiles aux Armées. A condition de pouvoir procéder à une « gestion des compétences inversée », dans laquelle on ne définit plus les postes pour rechercher ensuite les profils, mais dans laquelle on identifie les ressources disponibles (qualitativement, quantitativement, spécifiquement), pour se demander ensuite comment elles pourraient être utile à la réalisation des missions. Un vrai changement de paradigme, certes, mais est-ce totalement inopportun, alors que la pression sur les ressources s’accroit ?

Enfin, au-delà du lien Armées-Nation, qui peut aider l’institution à mieux faire comprendre ses enjeux et contraintes, y compris au plus haut niveau de décision, les réservistes de toutes espèces contribuent à la résilience de notre société, individuellement et, lorsque cela leur est demandé, collectivement. Alors que « la fin de l’Histoire » n’est plus qu’un concept dépassé par les conflits et les tensions, ces ilôts de stabilité ne peuvent être que des atouts, à ne pas oublier et peut-être aussi, à entretenir. 

 

PS (après publication) : 

Certains se sont émus de mon "bestiaire" qui voulait, avec malice mais sans dénigrement aucun, décrire différentes contributions utiles et respectables.

Pour les réservistes citoyens, les actions d'environnement, en France et à l'étranger, et les apports d'expertise.
Pour les anciens d'active, la capacité et les compétences pour servir immédiatement, et avec toute leur connaissance des métiers, des processus, des enjeux.

Mais j'ai une affection particulière pour les deux autres catégories : les "dinosaures" et ceux qui, avec les années qui passent, les remplaceront avec l'expérience qu'ils acquerront et les responsabilités qu'ils prendront - les "suricates" - les réservistes opérationnels issus du monde civil.
Ainsi que le décrivent les sociologues, les interactions entre univers professionnels réussissent grâce aux "marginaux sécants" : ceux qui appartiennent à deux ensembles à la fois. Parce qu'ils comprennent et surtout pratiquent les spécificités de chaque ensemble.

Les réservistes citoyens ont une généreuse empathie pour l'institution, une envie de servir, et la découvrent grâce aux actions pédagogiques. Ils lui apportent leurs compétences "externes". Et c'est précieux.
Les anciens du service actif demeurent, même après leur départ de l'institution, imprégnés de leur culture d'origine, même si beaucoup réussissent à prendre un peu de recul. Cela dit, c'est aussi un atout, car ils sont un véritable réservoir de forces, immédiatement utile.

Mais les "marginaux sécants", "dinosaures" et "suricates", sont à l'interface des deux mondes - avec un "vernis" militaire, et surtout parce que, dans leur emploi opérationnel et les entraînements menés avec leurs camarades d'active, ils ont l'expérience concrète de la vie au sein des Armées, de leurs contraintes, de leurs spécificités.

Chaque réserviste est utile, et complémentaire : individuellement et collectivement, dès lors que chacun connaît et reconnaît les contributions de l'autre, les respecte et les apprécie.

PS 2 : et il y avait eu une suite sur le blog Défense animé par le journaliste Philippe Chapleau : http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2014/04/09/la-journee-nationale-des-reserves-une-occasion-pour-valorise-11561.html

Voir les commentaires

Rédigé par Alexis Kummetat

Publié dans #Social change, #CIMIC

Publié le 27 Mars 2014

En France comme ailleurs en Europe, le métier d’ingénieur n’attire plus assez les jeunes talents, et cette pénurie met en péril mortel la capacité industrielle du Vieux Continent. Pour les attirer, on promeut le leadership traditionnel (« l’ingénieur premier de cordée ») et l’innovation, comme production de  l’intelligence ingénieriale. Dans les deux cas, le syndrome du « premier de la classe ». Et si les vrais enjeux étaient ailleurs ?

L’ingénieur collaboratif, leader de demain

Les pratiques collaboratives des ingénieurs français ne sont que peu étudiées par les chercheurs et auteurs hexagonaux. Pourtant, ailleurs, et en particulier dans le monde anglo-saxon, c’est un sujet important de préoccupation, tant pour les entreprises, qui exigent des formations d’ingénieurs qu’elles développent ces compétences et pratiques, que pour les enseignants, formateurs et chercheurs, qui multiplient et promeuvent les pratiques innovantes.

Poser la question des pratiques collaboratives dans le monde des ingénieurs français, c’est souvent s’attirer l’indifférence, le dédain, voire l’hostilité. Un tabou ou une question inutile ?

Pourtant, le travail collaboratif est vital pour les entreprises (et plus largement d’ailleurs), tant dans leur fonctionnement quotidien que pour leur capacité à trouver des solutions innovantes, en particulier lorsqu’il s’agit d’innover dans la rupture, en remettant en cause les approches habituelles qui ne répondent plus à un monde en perpétuel mouvement.

Les difficultés françaises sont multiples et imbriquées, et donc complexes, mais on peut en identifier trois, structurantes.

 

Le syndrome du « premier de la classe »

 

Tout commence par la définition de l’ingénieur français. Pour certains, il y a « les écoles de tête », qui recueillent le prestige et l’attention, et « les autres », que l’on compare avec distance aux « formations » allemandes, par exemple, qui nourrissent pourtant le tissu industriel le plus dynamique en Europe. Le propos n’est pas de disqualifier ici la formation exceptionnelle, et mondialement reconnue, des grandes écoles françaises d’ingénieurs. Mais ce regard sur « les autres » témoigne d’une approche ségrégationniste voire clanique, qui isole et affaiblit, en partie héritée d’un processus de sélection unique, redoutable. C’est en effet parce qu’ils auront franchi les barrières successives des meilleurs lycées, des plus rudes prépas et des concours les plus difficiles, que les « élus » pourront accéder à ces écoles d’élites, qui leur conféreront toutes les chances de succès professionnel. Ce résultat, ils l’acquerront à force de talent, de travail acharné, de résistance au stress, d’abnégation de leurs plus belles années de jeunesse.

Alors, il est facile d’imaginer que, consciemment ou inconsciemment, ces ingénieurs ont acquis, au fur et à mesure, la conviction d’être les « meilleurs » : les plus brillants esprits formés à résoudre les problèmes les plus complexes. Et c’est souvent vrai.

Pourtant, les problèmes les complexes ne trouvent pas toujours leur résolution dans des approches purement « intelligentes ».  Face à une situation vraiment « complexe », et en particulier parce qu’elle intègre des paramètres humains, il faut souvent « bricoler », admettre un écart à l’idéal, une part importante d’incertitude. Et ça, l’ingénieur d’élite n’aime pas…

Cette réponse à une problématique complexe ne peut être véritablement apportée que par un travail véritablement collaboratif entre des compétences diverses. Pas seulement par la conjonction de plusieurs approches ingénieriales (car la collaboration entre ingénieurs est une réalité opérationnelle, même si les interfaces entre spécialités sont parfois problématiques), mais entre des rationalités véritablement différentes. Et c’est là que les vraies difficultés commencent, en particulier lorsqu’il faut faire collaborer (et non pas seulement coexister) les experts des « sciences dures » - les premiers de la classe -, et les partisans des « sciences molles » (ont-ils vraiment choisi cette voie, ou est-ce par défaut, s’interrogent certains…). Car dans le système scolaire français, la prime est aux « matheux », même lorsqu’ils n’aiment pas ça…

Il ne s’agit pas là de recommander le nivellement par le bas, ou de souhaiter briser les filières d’excellence, en particulier dans les métiers d’ingénieurs, déjà insuffisamment valorisés. Mais d’assumer aussi, sans esprit de hiérarchie, que d’autres formations sont aussi utiles à la réussite collective. Encore faut-il que, dans les années d’orientation, les élèves aient accès à des conseils de professionnels qui leur fassent découvrir le monde de l’entreprise, au-delà de Zola, des risques psychosociaux et du taux de chômage.

En l’occurrence, bien loin des clichés et de l’ignorance subie ou acceptée, le monde des entreprises industrielles ne manque pas d’attraits, en matière de qualité de vie professionnelle, de réalisations concrètes et utiles, et d’évolutions tout au long de la vie.

 

La volonté de puissance : Descartes, inutile et incertain

 

Cette difficulté à « vivre ensemble », entre professionnels issus des sciences dures et des sciences molles, tient à une vieille tradition française, marquée par la philosophie cartésienne et ses dérivés dans les sciences dites « de gestion ».

Cette tradition est sans doute à l’origine de l’excellence des formations d’ingénieurs. Son projet est en effet de maîtriser la nature, d’imposer la volonté de l’homme. Cette volonté de puissance est un moteur extraordinaire pour chercher à déplacer les montagnes, à se dépasser. Elle est aussi un terrible handicap, car elle identifie la nécessaire humilité devant la complexité de notre monde à une condamnable faiblesse.

Face aux phénomènes complexes, cette posture n’est qu’arrogance. Là encore, une particularité française, qui donne des leçons au monde, et n’accepte d’en recevoir aucune… Pourtant, depuis le début du XXe siècle, les physiciens savent que le comportement d’un système à trois corps est par nature imprédictible. Alors comment imaginer maîtriser totalement des phénomènes dans lesquels la complexité de la matière s’enrichit des interactions humaines ?

Le progrès technologique est sans aucun doute source de bienfaits, et il est facile de critiquer le monde moderne, confortablement installé devant son poste de télévision… La compréhension du monde progresse chaque jour. Mais c’est par nature une quête inachevée.

La réalisation et la maîtrise de systèmes complexes doivent donc rechercher la fiabilité plus que le contrôle. Et cette quête ne peut s’inspirer d’un constructivisme à vocation omnisciente et omnipotente, car il est indispensable d’accepter l’incertitude, le brouillard de la guerre, la fumée plus que le cristal. Dans cette même logique, le facteur humain ne doit pas être perçu comme un « maillon faible », mais au contraire comme l’élément clé de la résilience des systèmes.

L’approche ingénieriale doit donc intégrer les apports des « sciences molles », à titre individuel, comme à titre collectif.

A titre individuel, cela peut se traduire par des apports dans la formation initiale qui dépassent la simple « culture générale », pour nourrir la capacité de résolution de problèmes, challenger la rigueur de l’ingénieur, et ses certitudes. Cela peut aussi se concrétiser par le croisement de parcours de formations, au-delà de la seule capitalisation de diplômes successifs – si possible d’excellence, pour être le premier parmi les premiers. A titre collectif, cela peut se traduire par la rencontre sur projets d’expertises diverses, combinées pour apprendre ensemble.

Le développement de filières mixtes, entre pôles de formation français, est un signe encourageant pour l’avenir, et les exemples à l’étranger ne manquent pas non plus, pour s’inspirer des meilleures pratiques.

Et puis, les pratiques collaboratives ne doivent pas seulement reposer sur les outils, mais sur les hommes, qui les façonnent. Dans le monde ingénierial d’aujourd’hui, les « systèmes collaboratifs » désignent exclusivement des outils informatiques permettant le partage de données, dans des environnements les plus complexes. Mais aussi ouvert que soit un système, il ne se nourrit que des données que les hommes veulent bien y intégrer, et qu’ils pourront y chercher, quelque soient les règles et directives, managériales ou automatisées…

Enfin, les pratiques collaboratives ne peuvent non plus reposer exclusivement sur des organisations pensées savamment, sur des processus gérés scientifiquement pour « obliger » à la collaboration… Les pratiques collaboratives sont des flux qui se nourrissent des pratiques individuelles, volontaires et contributives. Les organisations, les processus ne sont alors que des photographies instantanées, des repères à partager, à construire et déconstruire pour s’adapter aux objectifs du moment des hommes qui les font.

 

Le pouvoir comme objectif et comme statut : une logique Maginot

 

Les perceptions individuelles des enjeux collaboratifs se nourrissent des appétences de chacun mais aussi des facteurs collectifs, hérités du passé ou bien vécus. Pendant leurs années de formation et de pratique professionnelles, les ingénieurs ont dû faire la preuve qu’ils étaient les « meilleurs »… Et maintenant, ils devaient se convaincre que la solution, voire le « pouvoir » vient des « queues de liste », des inclassables, voire même des « universitaires » ?...

La société française souffre de la pérennité de « castes », qui s’affrontent et freinent les dynamiques collectives, quand elles ne les cassent pas.

Prenons rapidement trois exemples de grandes entreprises industrielles françaises, lorsque leur direction a été confiée à des non-ingénieurs : EDF, Orange, SNCF… Les réactions à l’externe trahissent, ou révèlent, nombre de réactions à l’interne, lorsque les transformations provoquent des difficultés, comme partout. Un choix « politique » (l’influence plus que la compétence), une entreprise qui abandonne sa vocation industrielle (noble) pour devenir une entreprise de services (les « marchands de yaourts »…)…

Force est de constater que ces affrontements existent aussi à l’intérieur des « grands corps », qu’ils soient d’ingénieurs ou issus de l’administration… Mais lorsqu’il s’agit de la perte d’un bastion « détenu » par des ingénieurs, au profit d’autres profils, c’est encore plus violent. Et à raison, car cela témoigne d’une évolution récente des organisations industrielles, partout dans le monde, qui touche à l’identité professionnelle de beaucoup.

Il y a encore peu de temps, l’ingénieur imaginait un produit pour répondre à un besoin identifié : se déplacer plus vite, plus loin, produire de l’énergie en toute sureté, et à un coup réduit, faciliter les échanges, partager les données à très haut débit...

Aujourd’hui, les producteurs de services, voire les marketeurs, imaginent des usages, pour lesquels il faudra produire des machines, des supports. Au Royaume Uni, comme l’exprimait James Dyson dans son interview récente aux Echos, les ingénieurs sont perçus comme des réparateurs de machines à laver alors qu’avant, ils les concevaient…

Ce renversement du processus créatif s’est fait à l’échelle d’une génération, et il est humainement compréhensible que cette inversion soit très difficile à vivre pour ceux qui détenaient le « pouvoir » jusqu’à présent, collectivement mais aussi, bien souvent, tout au long de leur propre parcours professionnel.

En réalité, lorsqu’il s’agit de produire dans un monde complexe, ou d’innover, l’approche « hiérarchisée » du pouvoir n’est plus adéquate. Elle est contre-productive. La question n’est pas de savoir qui, des ingénieurs, des énarques ou des commerçants, a pris le « pouvoir ». Elle est de rassembler ces énergies et ces compétences, vers un même objectif. Et ceci sans se poser la question insoluble de la « gouvernance » : pour faire simple, la question de savoir qui sera le « chef ».

Au-delà de la population des ingénieurs, la société française souffre de cette logique de bastions, de statuts : une logique figée dans le passée, dans l’immobilité. Alors qu’en matière de collaboration et d’innovation, le leadership est, par essence et par nécessité, partagé.

 

L’ingénieur collaboratif : des talents à mobiliser

 

La « technologie » ne fait peut-être plus rêver les jeunes, parce qu’ils pensent avant tout aux usages… Mais sans support matériel innovant, quels services ? Le « Cloud » lui-même illustre cette complémentarité entre de multiples expertises ingénieriales, du plus physique au plus virtuel, depuis la conception de supports performants, durables, économiques, jusqu’à la complexité des flux immatériels de données. Peut-être assimile-t-on les métiers d’ingénieurs aux métiers « manuels », dévalorisés… Sauf pour ceux qui mettent leurs capacités de raisonnement au service des flux financiers, eux aussi dématérialisés… Mais les écoles d’ingénieurs ont-elles une raison de former à ces métiers certes rémunérateurs, mais tellement éloignés de leur vocation ?

Les jeunes générations sont avides de mobilité, de fluidité, d’échanges ad hoc, informels.  Mais quelle plus belle occasion qu’une formation d’ingénieur, dès lors qu’elle ouvre au travail avec les autres, à la confrontation constructive avec d’autres rationalités, à la pratique d’autres expertises, dans le respect des contributions de chacun, plutôt que dans la recherche d’antiques hiérarchies, staliniennes statues qui n’attendent que d’être déboulonnées quand certains les maintiennent pour l’édification des masses.

Les jeunes font « leur marché »  dans les formations, les expertises, les expériences professionnelles ? Et qu’importe, dès lors qu’ils se rassemblent au service d’un objectif commun. L’enjeu n’est en effet pas de les corseter, de les contrôler, de les brider, il est de les mobiliser. Mais c’est évidemment plus compliqué…

L’ingénieur, leader de demain, ne sera pas un « chef », pas plus qu’il ne sera un « subordonné ». Il sera, comme d’autres, et peut-être mieux que d’autres, dans certains cas, un animateur de talents et de compétences, d’énergies et de projets.

La formation d’ingénieur n’est pas une échelle vers le « pouvoir », désormais inaccessible puisque partagé. Elle est une école de rigueur, de résolution de problèmes, de création de richesses. Elle ouvre sur le monde, pour aider à le comprendre, à y vivre mieux, mais sans chercher en vain à le dominer. Elle est donc, elle aussi, ouverte sur les autres. 

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

Publié le 28 Février 2014

Les entreprises, et désormais certains territoires, allouent des moyens importants à l’adoption de « stratégies de marque ». Quelle en est l’efficacité en termes de notoriété ? Sans doute variable, en fonction du talent des créatifs et des budgets alloués. Mais en termes d’appropriation, c’est toujours contre-productif.

 

Pourtant, la proximité et l’appropriation font partie des enjeux clés, et revendiqués comme tels, des entreprises et des organisations. Engagement, mobilisation, mais aussi crowdfunding, crowdsourcing, ou même co-construction… autant de concepts et de termes installés ou émergents qui témoignent, au-delà des systèmes de reconnaissance, de l’envie et de la nécessité des actions collectives. Pourtant, les marques font l’objet d’investissements importants, puis de déploiements souvent assortis d’injonctions managériales, de contraintes juridiques et de contre-parties financières. Autant de processus qui brident ou brisent les véritables dynamiques collectives.

 

L’intelligence contre la contribution

 

Le mode même de l’adoption d’une marque est significatif de l’éloignement que cette stratégie induira. Des « créatifs » travaillent à l’élaboration d’une marque message, à partir d’images perçues, revendiquées ou supposées comme telles.

Le choix peut-être ensuite finalisé par un collectif restreint : la communication est un « art », qui a ses experts, et parfois ses stars.

On associe toujours les « dirigeants », qui payent. Mais les écoute-t-on ? Et surtout, les sollicite-t-on vraiment, au-delà d’une déférence mercantile qui dissimule parfois le dédain du « sachant » pour les « novices ».

Parfois, on associe plus largement, dans le cadre d’actions « participatives », ou « d’intelligence collective ». Alors, lorsqu’il s’agit de donner un avis, et surtout en matière de « communication », tout le monde peut se prêter à l’exercice.

Mais quels sont les facteurs de choix ? Les mécanismes inconscients, nés de l’histoire individuelle et des interactions collectives, sont indéchiffrables. Et pourquoi pas ? Le handicap majeur de cette démarche est qu’elle s’appuie uniquement sur l’intellect. Et on est souvent « plus intelligent » que l’autre, surtout depuis qu’émergent, enfin, les formes alternatives « d’intelligence » (intelligence émotionnelle, relationnelle…).

Mais quelle est la pertinence d’une idée, si elle n’est pas mise en œuvre ? Sans action, l’intelligence est incertaine, mais surtout inutile. Alors, quelle est celle d’une marque, qui ne témoigne pas de dynamiques collectives, d’actions concrètes, de contributions, passées, en cours et à venir ?

En termes de processus collectifs, le succès n’est pas dans l’intelligence ; il est dans l’action.

 

La fugacité de l’image contre la pérennité de l’appartenance

 

Qu’évoquent pour vous aujourd’hui Apple ou Starbucks ? Un présent, une image. Et pourtant, ce sont aussi deux entreprises, avec leur histoire, leur capital génétique et les « valeurs » qui ont sous-tendu leur réussite – et auxquelles les dirigeants veulent revenir régulièrement, pour retrouver leur authenticité, leur cohérence d’action – leur proximité avec leurs employés et leurs clients.

De plus, parce qu’elle ne s’ancre pas dans l’action, le quotidien, la proximité, une marque peut être remplacée par une autre, au gré de la qualité des produits mais aussi des budgets de communication alloués. Apple ou Samsung ? On est loin de l’adhésion à une aventure collective…

Parfois, on retire l’article défini (le, la), pour capitaliser sur le passé. Cela peut paraître insignifiant. C’est un changement radical car il signe le passage de l’appartenance au symbole, de la reconnaissance par le vivre ensemble à celle du signe, du contenu au message.

On peut changer de marque, dès lors qu’on en a les moyens. Et même dans ce cas, la notoriété peut prendre du temps… La transformation d’une entreprise, d’un collectif, demande des années, du talent, de l’énergie. Et elle échoue souvent, pour de multiples raisons, et souvent parce qu’une solution « intelligente » n’a pas pu répondre à la complexité des organisations humaines, et de leurs interactions.

Alors, à moins de croire aux coups de baguette magique, comment imaginer qu’une stratégie de marque pourra remplacer la puissance de mobilisation des énergies collectives ?

 

A l’interne, une action contre-productive

 

On peut admirer une marque, et même la revendiquer, l’arborer. On est alors dans l’intellect, dans le signe, et éventuellement les symboles qu’on y rattache soi-même (plus que ceux qu’elle affirme « véhiculer »).

La marque encourage à la passivité : on marque les animaux pour les reconnaître, en revendiquer la propriété. Adhéreriez-vous à une marque ? Vous engageriez-vous, vous mobiliseriez-vous pour elle ? Contribueriez-vous à son développement, à moins d’être payés ou d’en tirer un bénéfice ?

Chacun travaille dans une entreprise, une collectivité, un territoire. On ne peut revendiquer son appartenance qu’en ayant le sens – et parfois la fierté – de contribuer à une aventure collective. On peut être fier d’un « label », dès lors qu’il témoigne de compétences, de valeurs, de pratiques.

Mais d’une marque ? Lorsqu’elle est signe de reconnaissance, elle peut valoriser « ceux qui en sont ». Mais c’est toujours en se distinguant de ceux qui « n’en sont pas ». Une fierté exclusive, et non pas inclusive. Et qui témoigne d’une appartenance à un collectif auquel la marque peut être associée un moment, pour un temps. La marque est signe. Elle n’est pas appartenance.

 

A l’externe : le marquage contre les interactions

 

On peut interagir avec les représentants d’une entreprise, d’une collectivité, d’une organisation. Et toutes les démarches « tournées clients » visent à faire de chaque représentant le porteur et l’acteur des compétences, des valeurs, et aussi de l’image que le collectif veut donner, pour nourrir la proximité, créer de la valeur avec les autres, clients, partenaires, parties prenantes.

On n’interagit pas avec une marque. On la revêt, volontairement, pour bénéficier de son image ou contre rétribution. Involontairement, on la subit souvent, avec le sentiment de n’être qu’un « véhicule » - panneau publicitaire mobile…

Dès lors, la « relation », si on peut la définir comme telle même lorsqu’elle est volontaire, est seulement intellectuelle, désincarnée. On l’accepte, on le revendique éventuellement. Mais c’est avant tout un processus mental. Et si les stimuli mentaux sont importants, ils ne sont pas pérennes, et ne sont pas des actions.

Alors, à moins de chercher l’enfermement par une captation permanente du « temps de cerveau disponible », une stratégie de marque est incapable de générer une relation pérenne, inscrite dans l’action, et se voue à la course éternelle et coûteuse au « zapping » du « consommateur ».

Car une marque témoigne aussi de relations commerciales : on l’achète ou elle vous achète. Mais les relations, y compris professionnelles, ne sont pas seulement faites d’échanges économiques. La qualité de relation est faite d’histoires vécues et partagées, d’interactions humaines, d’affinités.

A l’heure des « entreprises étendues », des groupements ad hoc, des coalitions de circonstance, une marque ne peut fédérer des acteurs libres car elle n’est pas une aventure.

Enfin, une stratégie de marque peut s’affirmer totalitaire, et tuer ainsi la « relation », qui se nourrit de la diversité des modes d’interactions, par nature inégales et variées.

Pour les lieux et les territoires, la dissonance générée par une stratégie de marque est encore plus grande. On grandit, habite, travaille dans une ville, une région, un bassin de vie. Pas dans une marque ! Lorsque les territoires décident d’adopter une « stratégie de marque », ils tentent de trouver – et souvent d’imposer – un signe commun… Mais comment réduire à un message la complexité des vies, des avis, des perceptions ?

Alors, pour vendre une « destination », pourquoi pas. Mais jamais une action de vente n’a mobilisé des foules, en dehors des commerciaux intéressés – et encore…

 

 

Les actions de communication ne sont pas inutiles. Le paquet cadeau embellit l’objet, et il est dans certaines cultures un élément constitutif du présent. Et le message qui accompagne le don porte tout le sens du geste, au-delà du transfert de biens.

Ainsi, une stratégie de marque peut accompagner la valorisation des productions d’une entreprise, ou d’un territoire, lorsqu’ils souhaitent « rénover la façade ». Mais elle ne permet pas de s’affranchir des vraies dynamiques d’action collective, qu’elle ne générera jamais.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

Publié le 31 Octobre 2013

Etre soldat, c’est avant tout s’engager pour servir. Mais servir sans moyens : comment, et peut-être, à quoi bon ? Les budgets de défense ne sont pas des dépenses, mais des investissements. Dès lors, les militaires ne doivent pas avoir honte à parler « retour sur investissement ».

 

L’heureuse actualité de la libération d’otages français permet à la presse française d’évoquer aujourd’hui, parfois entre les lignes, les interfaces entre des enjeux perçus comme « sécuritaires », et des intérêts économiques.

Mais le traitement politique des conditions de résolution de cette prise d’otages entretient la schizophrénie – ou au moins la gêne – vécue en France en ce qui concerne les « intérêts » de notre pays.

 

« Grand principes » et argent

saint-cyrien-au-cnec-13.jpgA l’Etat, la défense des « grands principes », y compris au moyen de l’intervention armée ; aux entreprises les « basses besognes » de l’argent.

Sans l’actualité brûlante des armées françaises – qui fait moins de bruit que les portiques démontés en Bretagne mais concerne au moins autant de familles et d’emplois -, on pourrait, encore une fois, ignorer cette habituelle répartition des rôles. Mais les choix budgétaires imposés aux forces armées et à leur environnement résonnent avec cette libération sahélienne.

Les soldats français ne sont pas des mercenaires, et ils ne choisissent pas cette vie si particulière – qui implique par nature l’éventualité de la mort, donnée ou reçue – pour l’argent. Mais leur action collective ne s’exerce pas seulement au nom de « valeurs », souvent plus évoquées à l’appui de décisions ad hoc, qu’explicitées sur le long terme. Elle sert plus généralement les intérêts de la France : intérêts vitaux, intérêts stratégiques.

Les « intérêts » ont mauvaise presse en France, où on n’aime pas parler d’argent, et encore moins lorsqu’on voue sa vie à des principes bien supérieurs. Et pourtant, sans défense des « intérêts », pas d’approvisionnements en ressources énergétiques, minérales, voire alimentaires. Et ceci n’est pas un concept, mais une réalité bien tangible.

La cas sahélien de ces jours-ci permet d’évoquer les approvisionnements en uranium et en minerais stratégiques. Mais lors de la crise syrienne, top peu ont parlé gaz naturel, et lutte entre la Russie et les pays du Golfe pour l’approvisionnement, par le territoire syrien, des marchés européens – et donc des intérêts français.

 

Des élites parallèles

ued-2013-7.jpgLa France des grands décideurs est séparée en castes d’élites parallèles. A titre d’exemple, l’initiative conjointe HEC/ENA/Ecole de guerre, qui réunissait le 7 juin dernier avec un objectif vertueux pour les « étudiants » de ces trois filières de présenter des travaux communs, témoignait en réalité, par les échanges dans la salle, au mieux d’une coexistence polie, mais pas de réelles synergies. Enarques et HEC bénéficient de « doubles cursus » qui facilitent les relations entre grands corps de l’Etat et grandes entreprises… Mais où sont les PME, les TPE ? Et que sont-elles, finalement, dans ce « grand jeu » ? Quant aux militaires, ce sont des femmes et hommes étranges, pour les futurs cadres de l’économie qui pour la plupart ignorent tout de cet univers, depuis la fin du service national et en dépit des initiatives de promotion du lien armées-nation, y compris dans leur version « développement du leadership »… Pourquoi en effet dépenser de l’argent qui serait plus « utile » à la formation, aux grands investissements, aux entreprises,… Et du côté des jeunes énarques, on sait déjà la subordination du militaire au politique : alors, puisque les militaires sont là pour « servir », qu’ils écoutent d’abord plutôt que de parler…

 

Changer de paradigme : parler ROI

hall-amphi-foch.jpgLa modestie, la discrétion et le don de soi sont des valeurs structurantes pour les militaires. Mais lorsque les budgets sont réduits jusqu’à briser l’outil de défense, matériellement et bientôt moralement, et qu’il faut se justifier avec le sentiment de « tendre la sébile » pour limiter une « casse sociale », il faut changer de registre, voire de paradigme.

Les budgets de défense ne sont pas des dépenses mais des investissements, et à ce titre, génèrent des « retours sur investissements ». Des ROI immatériels,  avec la promotion de valeurs sociétales, démocratiques, de « visions du monde » d’ailleurs trop rarement explicitées lors des choix électoraux nationaux. Mais aussi des ROI bien tangibles, à court et moyen terme : des marchés, des ressources, des emplois. Et donc une pérennité des valeurs, aussi. Car les valeurs ne vivent que si l’on a des moyens pour les porter, les promouvoir, les mettre en œuvre. Sinon, elles restent dans les livres – blancs jusqu’à prendre la poussière des bibliothèques.

Il y a presque vingt ans, l’intervention française en Bosnie, à l’initiative de Jacques Chirac, avait brisé l’immobilisme coupable et meurtrier… Mais alors que les Américains envoyaient leurs chefs d’entreprise pour promouvoir des intérêts bien compris (avec un accident d’avion dramatique d’ailleurs), les entreprises françaises perdaient la reconstruction de l’aéroport de Sarajevo, pourtant tenu, avec le prix du sang, par nos troupes. 

Depuis, qu’a-t-on appris ? Les opérations civilo-militaires doivent servir à l’éducation, à l’humanitaire… mais pas question de mêler l’argent des entreprises à cela. Laissons ces aspects vulgaires aux autres pays… dont la balance commerciale est moins déficitaire.

L’Afghanistan ? Il n’y a pas de prix aux morts français. Mais les Chinois ont conclu un marché d’exploitation des ressources minières au nord du Pays pendant que nous embarquions hommes et matériels.

L’Afrique ? Les exemples sont multiples tant côté Américain que Chinois. Nous envoyons nos soldats se battre et parfois mourir pour rétablir la paix. Mais surtout ne parlons pas clairement d’argent, de marchés… Il faut expier pour la « colonisation ».

 

Dans les ressources humaines aussi

pmm-dijon-1.jpgCe changement de registre et de paradigme doit pouvoir irriguer les politiques de défense, afin que chacun puisse les assumer, sans tomber dans le mercantilisme, mais pour rationaliser des arbitrages budgétaires rendus encore plus difficiles par l’éloignement « affectif » des décideurs économiques et politiques avec leur Défense, souvent plus par méconnaissance que par idéologie.

Parmi ces déclinaisons, la gestion des ressources humaines pourrait s’imprégner de cette approche. Aujourd’hui, on pense souvent « poste », sans pondérer assez cette logique par celle des « compétences ». Sans doute par sens de l’égalitarisme nécessaire à la cohésion, aussi par la transversalité de beaucoup de formations, mais probablement surtout par habitude.

Pourtant, le ROI d’une compétence ne se mesure pas toujours seulement au grade de l’intéressé – même si les mécanismes de bonification visent à prendre en compte certaines spécificités.

A titre d’exemple, les compétences « civiles » des réservistes sont-elles seulement quantifiables au titre de classifications militaires, voire seulement à travers le prisme de l’indispensable lien Armées-Nation ? Ou pourraient-elles être considérées comme des ressources bon marché, et donc utiles ? Mais ça, c’est un sujet en soi…

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change, #CIMIC

Publié le 12 Septembre 2013

Le souhait de relancer l’industrie française est vertueux. Dans notre pays colbertiste et jacobin, la volonté affichée par l’Etat de s’appuyer sur les acteurs privés est plutôt de bon aloi. Mais faire travailler des acteurs de nature, de formation et de culture aussi diverses que des industriels et des représentants de l’Etat et des collectivités peut vite virer au cauchemar, ou en tous cas au gâchis de temps et de ressources toujours rares.

 

Le plus grand péril est celui du mélange des genres.

Quelle est la vocation des acteurs publics, et leur légitimité ? En matière industrielle, leur seule légitimité est celle, éventuellement, des conseils d’administration des entreprises détenues en partie par l’Etat. Les commis de l’Etat disposent sans doute aucun de grandes expertises. Issus des meilleures formations de la République, ils sont parfois passés par les cabinets ministériels – se familiarisant ainsi avec la schizophrénie du pouvoir politique, tiraillé entre une administration forte de sa pérennité et des politiques désireux de valoriser, directement ou indirectement, par les décideurs et relais d’opinion, leur action auprès de leurs pairs et des électeurs. Et lorsqu’ils n’ont pas bénéficié de cet accélérateur de carrière, ils ont affûté patiemment leur connaissance des rouages de la « puissance publique ».

Certains maîtrisent parfaitement les mécanismes des financements publics, nationaux ou européens. D’autres contribuent même à les influencer. D’autres encore poursuivent le Graal de la connaissance des si complexes dispositifs fiscaux. Beaucoup sont immergés dans les méandres des réglementations de l’environnement, du droit du travail, du foncier, du droit des banques ou des marchés… dont ils héritent ou qu’ils élaborent, parfois par apport de couches supplémentaires. Certains sont investis de la promotion des intérêts français à l’étranger, en contribuant à maîtriser l’environnement géopolitique des importations de ressources énergétiques et minières. D’autres sont en charge d’orienter les ressources publiques au profit des actions de formation, initiales ou tout au long de la vie.

Dans tous ces champs, ils sont légitimes et utiles à apporter leur expertise. C’est d’ailleurs leur rôle de service public, au service des autres (ne parle-t-on pas de l’autre côté de la Manche, de « civil servants », sans aucune connotation négative). Ils sont totalement indispensables pour accroître les degrés de liberté des acteurs des entreprises, pour améliorer l’accessibilité du territoire dans lequel s’implante l’outil industriel, pour développer son attractivité (infrastructures, logement, formation, loisirs, cadre de vie…).

Mais lorsqu’il s’agit de prospective industrielle appliquée – c’est-à-dire d’orientations stratégiques et de mise en œuvre opérationnelle – quelle est leur légitimité ?

Les décideurs privés sont eux aussi issus des meilleures formations de la République, et il ne s’agit pas de participer ici à la lutte stérile de la guerre des boutons entre « grandes écoles », dans un pays où l’école décrochée à vingt ans figure à la première ligne des CV, tout au long de la vie… Et ceci d’autant que nombre de décideurs des entreprises françaises – ou implantées en France -  ont aussi fait leurs armes ailleurs, en Europe ou sur d’autres continents : en s’y formant, en y travaillant,  en développant leurs compétences multiples.

Le risque de la confusion des genres, c’est d’abord celui d’une lutte de pouvoir, lutte des égos ou des représentations, au sein des comités de filière, de plans… pour emporter la décision, et parfois peu importe la nature de celle-ci puisque le plus important est de faire triompher son point de vue. Etre le meilleur, le plus fort, le plus « intelligent », comme on l’a été en prépa et à l’école, et tout au long de sa vie… Au besoin en s’appuyant, à grands coups de fonds publics sur des experts mondiaux en stratégie, bien sûr du privé, que l’on choisit sur des critères de notoriété, pour écraser de cette légitimité mercenarisée toute tentative de point de vue divergent, qu’il soit seulement de  bon sens mais aussi parfois innovant. Le pouvoir comme obstacle au travail collaboratif et comme moteur des « décisions absurdes », un classique.

 

En matière industrielle, la diversité est une nécessité vitale

 

Ce risque peut aussi  être celui de la différence des cultures : culture industrielle, culture étatique… Beaucoup objecteront que ces différences sont en fait minimes. Superposition des formations initiales, pantouflage, consanguinité des élites… finalement, on se retrouve souvent, in fine, « entre soi ». De différence, le risque devient alors celui de l’uniformité. Et pourtant, en matière industrielle, et en particulier pour garantir la créativité et la réactivité, la « diversité » - la vraie, pas celle des seuls faciès -  est une nécessité vitale.

Alors, il existe quelques « passeurs » de talent, à l’aise dans ces deux cultures, étatique et industrielle. Mais ils sont rarement familiarisés aux enjeux spécifiques des PME qui font le tissu d’un territoire et l’agilité vitale d’une offre industrielle ou de services. Les précédents des pôles de compétitivité et des filières sont-ils là pour nous rassurer sur la volonté et la capacité des « gros porteurs » à travailler en saine synergie avec la multiplicité des petits acteurs, en particulier dans les secteurs innovants, sinon comme pourvoyeurs de bonnes idées, ou comme sous-traitants, qui seront les premières victimes en cas de mauvaises décisions ?

 

Le travail collaboratif entre structures et entre individus – car les deux niveaux, inter-organisationnel et interindividuel sont concernés -, du monde public et du monde privé dans toute sa diversité, est un enjeu complexe mais vital. 

Son succès doit s’appuyer sur quelques principes éprouvés, au premier rang desquels se trouve la bonne répartition des rôles : au privé le « core business », au public l’environnement, lui aussi dans toute sa diversité. Il ne s’agit pas là de prééminence, de pouvoir, mais de légitimité des compétences et des expériences. A chacun son boulot, et il y en a suffisamment pour chacun, dans l’état de notre industrie !

Cette répartition des rôles ne sera réalisée et efficace que si elle se nourrit aussi d’un respect mutuel, à partir de la reconnaissance des compétences de chacun, petits et gros, du public et du privé. 

Un processus individuel et collectif à construire, petit à petit, mais pas trop lentement tout de même, au regard de l’urgence.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

Publié le 10 Septembre 2013

Derrière ce vocable managérial, et donc suspect en France, se cache tout simplement la capacité à travailler avec les autres. Apparemment une vraie difficulté « culturelle », que ce soit pour nos politiques comme dans beaucoup d’entreprises.

 

Sur le plan international, de multiples facteurs de repli

 

L’actualité internationale illustre la difficulté des représentants politiques de notre pays à accepter une décision collective (associer le Parlement, trouver un point d’accord avec nos alliés…).

 

Simple tactique politico-médiatique à usage interne, tradition monarchico-gaullienne,  prégnance de la vocation « universaliste » héritée de la fin du XVIIIe siècle, enjeux internationaux trop sensibles pour oser les partager, ou mélange de tout cela ?

11.04-Hollande-bashing-L-Express-Le-Point-460-300_scalewidt.jpg- dans un contexte politique interne tendu, et avec le précédent réussi de l’intervention au Mali, la tentation peut être grande d’envoyer nos soldats – en dépit d’une réduction continue de leurs moyens et grâce à un dévouement sans faille et silencieux  - pour gagner quelques points de popularité ;

- le système présidentiel français confère légalement une autorité sans équivalentdans d’autres démocraties à une seule personne, sans beaucoup de contre-pouvoirs. Consciemment ou inconsciemment, le Président peut donc être convaincu de sa « responsabilité » personnelle. Légalement, oui… mais légitimement ?

 - les déclarations du Président de la République et d’autres responsables politiques, de la majorité ou de l’opposition, font référence à des principes « sacrés », des valeurs « universelles », des responsabilités « particulières » – sans toutefois les énoncer. L’affirmation de cette « responsabilité particulière » doit-elle justifier la prééminence du point de vue ? En particulier lorsque les principes sont affirmés pour parfois dissimuler d’autres enjeux moins « nobles » ?

- car la politique, en particulier sur le plan international, ne peut être confondue à la morale. On défend des intérêts, on fait respecter des engagements, on ne « punit » pas – sauf lorsque la politique se confond avec une morale, quelle soit « religieuse », au sens des religions assumées, ou « laïque » lorsque cela est moins clair. Mais les démocraties occidentales séparent normalement ces deux aspects : on défend des points de vue, étayés par des convictions, et on respecte l’autre, car il ne s’agit pas d’un combat entre le « bien » et le « mal » mais de débat, jusqu’au désaccord assumé.
43764_gaz.jpgEt dans le cas syrien, assume-t-on vraiment, au-delà d’un grand jeu entre russes et américains qui rassure intellectuellement des élus ayant grandi dans le monde de la guerre froide et souvent totalement démunis de compréhension de notre monde multipolaire, la prise en compte des enjeux énergétiques, par exemple,  mais aussi politico-religieux, qui mettent notamment aux prises l’Arabie Saoudite, l’Iran et le Qatar, si présent en France ?

 

Une autre option pourrait être la gloriole traditionnelle de notre pays – d’autres parlent d’orgueil -, mais ce trait de caractère collectif touche un peu à la caricature.

Il est enfin une dernière hypothèse, non exclusive de toutes les autres, qui touche à la psychologie collective. En situation de crise, face à un contexte très hostile – la France, qu’on le veuille ou non, perd sa place sur le plan international, que ce soit diplomatiquement, culturellement ou économiquement -, le réflexe involontaire le plus habituel ne conduit pas à affronter la réalité à bras le corps, mais à le nier. De bonne foi. Ce que les psychologues dénomment « répression » ou « suppression ».

 

Et dans le monde du travail, aussi

 

Les études « culturelles » montrent que, parmi les peuples du monde, les Français sont particulièrement « politisés » : indépendamment de leur participation effective aux élections, la « politique » fait partie des sujets de discussion les plus émotionnels.

On peut donc aisément formuler quelques parallèles entre les observations faites sur les postures françaises sur le plan international, et les situations rencontrées dans le monde du travail (que ce soit dans les entreprises ou les organisations publiques et para-publiques).

 

En France, le « management » a plutôt mauvaise presse – on parle de « lost in management », de « livre noir du management », d’ « illusions du management ». On préfère évoquer la gestion, le leadership, voire même les « chefs » (ce qui est affligeant lorsque cette aspiration, voire cette revendication est formulée par un responsable pédagogique, et donc impliqué dans la préparation de l’avenir de cadres d’entreprises…).

La distinction entre management et leadership occupe des bibliothèques entières, et des débats passionnants – en tous cas dans le monde anglo-saxon, décomplexé dans ce type de débats d’idées appliquées au monde du travail.

Alors, puisque le vocable « leadership partagé » apparait, il peut être fécond pour s’insérer dans le schéma intellectuel national tout en ouvrant sur ces questions cruciales au « mieux travailler ensemble ». On rassure ainsi les admirateurs de « chefs » - pour qui le leadership ne peut être que charisme -, mais on ouvre le débat, on entrebâille des fenêtres de pensée et on trace des pistes d’action. On fait grandir.

 

De quoi s’agit-il ?

leadership-partage-11-512x240.jpgSi on comprend le « leadership » comme la capacité à formuler une vision, un objectif, et à entraîner les équipes dans un contexte souvent changeant, parfois « chaotique » comme l’est le monde, le « partage » de cette compétence et pratique a plusieurs conséquences, tant philosophiques qu’opérationnelles.

- Il s’agit notamment de croire en l’intelligence collective : on est plus intelligent à plusieurs que tout seul… Dans un pays dont les dispositifs pédagogiques formatent des générations successives à la compétition – de la meilleure école à la meilleure prépa pour arriver à la « botte » de la « meilleure grande école », afin d’obtenir le « meilleur poste » et graver sur sa carte de visite, jusqu’à la fin de sa vie, ce concours tant estimé, ce n’est pas gagné !

 - La tradition cartésienne de notre pays (« Descartes, inutile et incertain », comme l’écrivant joliment Jean-François Revel) ne dispose pas non plus à l’acceptation du point de vue des autres, en particulier lorsqu’il ne s’inscrit pas dans sa propre « rationalité » - et donc la seule possible, ou en tout cas, la seule vraiment « rationnelle ».

 - Si le leadership, c’est aussi donner du sens à une dynamique collective, le leadership partagé doit s’appliquer à l’élaboration d’un projet commun, fondé sur des valeurs communes. C’est un travail de fond. Et s’il est une autre caractéristique des relations de travail en France, il s’agit de la place unique du « pouvoir » (collectivement, entre « classes » ou « castes », et individuellement, entre pouvoir formel et pouvoir informel).

 Alors qu’ailleurs, le monde universitaire explore aussi les autres facteurs d’influence au travail, les relations sociales professionnelles sont examinées trop souvent exclusivement en France au regard des enjeux de pouvoir : « le prochain poste, combien de collaborateurs sous mes ‘ordres’, et/ou quel budget  à ma signature ? ».

 Alors, quand on a le pouvoir, ou quand on le cherche, et quoiqu’il en soit, dès lors qu’on raisonne uniquement en termes de pouvoir, à quoi bon « perdre du temps » et surtout pourquoi exposer ses aspirations profondes, au risque de décevoir ou effrayer. Au pire, on sacrifie à la mode communicationnelle en faisant du changement justifié par ses propres enjeux un spectacle, superficiel lorsqu’il n’est pas manipulatoire.

Unknown-copie-2.jpeg - Le leadership partagé, c’est enfin « mieux travailler ensemble », tisser du lien entre les acteurs, au-delà des silos, des attributions, voire même des structures, lorsqu’on ose se projeter dans l’ « entreprise élargie ». Comme l’on très pertinemment exprimé Yann Algan et Pierre Cahuc il y a quelques années, la France est devenue une « société de défiance » - l’échec à prendre véritablement en compte ce qu’Alain Pierrefitte décrivait il y a près de vingt ans comme le « tiers facteur immatériel ». Comment donc travailler ensemble, si l’on ne perçoit pas la nécessité de construire la confiance qui, on le sait, « ne se décrète pas ». On est souvent bien loin, alors, des enjeux de l’intelligence émotionnelle, relationnelle, et des « soft skills » pourtant promus très largement ailleurs, y compris dans les meilleures écoles d’ingénieurs – hors de France.

 

 

Pourtant, sous des influences diverses, le contexte des entreprises rend nécessaires le leadership partagé, la collaboration efficace (et pas seulement la coopération), entre organisations et entre individus.

- Influences « sociétales » tout d’abord, et pas seulement sous l’effet de « nouvelles générations », X, Y ou Z… L’information circule, le système éducatif entraîne de plus en plus de jeunes à jouer avec les idées, se familiariser avec les concepts, se préparer à d’éventuelles responsabilités – même si le marché réel du travail les fait rapidement déchanter -, les réseaux sociaux et les pratiques médiatiques facilitent, habituent et encouragent à la « participation »… Et il faudrait que, dans le monde du travail, tout cela s’arrête ? Ou se limite, comme dans la « démocratie participative » vantée ici ou là, à une fonction en fait « consultative » ? La déception entraîne alors la révolte, ou la fuite (au moins morale lorsqu’elle n’est pas physique), au détriment du succès du projet collectif, et au prix de gâchis immenses, pour l’entreprise comme pour les individus.

 - Influences « organisationnelles » aussi, avec des mouvements divers mais confluents. Mondialisation, tout d’abord, et rationalisation des structures sous l’effet de la crise économique, qui fusionne les organisations et oblige des équipes auparavant concurrentes à partager un même avenir. Agilité aussi, avec des logiques de « start-up », de « free-lance », d’entreprises « élargies », pour s’adapter au marché en échappant à la bureaucratie, ou tout simplement pour gagner sa vie. Et structures matricielles, enfin, qui visent à installer un mouvement permanent de balancier entre fonctions expertes et centres de profit, dans une logique d’ « équilibre des pouvoirs » consubstantiel à la tradition démocratique anglo-saxonne mais si étranger à l’approche monolithique française…

 

 

La France en échec ?

 

Sur le plan politique, la transformation culturelle et institutionnelle française n’est pas achevée, et les options de sortie des structures communes exprimées de part et d’autre montrent que, devant la difficulté, la fuite est souvent privilégiée. Parfois à raison, mais à condition qu’il ne s’agisse pas d’un abandon funeste.

Pour sortir de la crise, les entreprises françaises – ou les structures françaises des entreprises mondialisées – n’ont pas d’autre choix que celui de s’adapter, de changer. La « croissance » ne reviendra pas nous bénéficier, au nom de notre « vocation universelle » ou de nos « atouts uniques ». Dans un monde concurrentiel, il n’est pas de place durable pour les « passagers clandestins », qui bénéficieraient du travail des autres.

L’adoption des conséquences mentales et pratiques du « leadership partagé » est une des clés d’une agilité et d’une dynamique retrouvées, ou à conforter. Les résistances sont plurielles, et diverses selon les origines, les formations, les fonctions (nous avons réalisé l’année dernière une étude révélatrice sur ce thème, en France et en Europe, auprès de plus de 200 professionnels).

C’est sans doute une transformation « culturelle », à moyen et long terme. Mais les premières actions peuvent être menées rapidement. Et ça, c’est rassurant.

 

 

Voir les commentaires

Publié le 4 Avril 2013

Beaucoup d'entreprises recherchent des moyens de renforcer la cohésion de leurs équipes, et les modes varient en la matière : expériences extrèmes eurent leur temps, certains ont recours à des militaires, d'autres à la méditation et au bien-être, d'autres encore à la dégustation de grands crus, ou encore à l'assemblage de vins... les possibilités semblent infinies.

A Kaqi, nous pensons que le meilleur des team-building est celui qui réunit les équipes autour de ce qui les rassemble : leur activité professionnelle, leurs enjeux, leurs difficultés et leurs succès.

 

Unknown-copie-1.jpegAsics France réalise ces jours-ci une très belle opération de team-building pour ses équipes (environ 80 personnes), avec la participation du team Europe : armer le magnifique stand qui ouvre et occupe une grande partie du salon adossé au Marathon de Paris, où passent tous les participants pour retirer leur dossard.

Une nuée de personnels apparemment très connaisseurs des courses et des matériels vous accueillent, vous proposent de tester votre foulée pour vous prodiguer quelques conseils d'équipements, et bien sûr vous présenter leurs produits.

Performants, informés, intéressés... on se dit qu'ils ont bien choisi leur agence d'hôtesses et hôtes d'accueil !

 

La surprise - et elle est vraiment bonne - est que ce ne sont pas des prestataires, mais les personnels du siège, du DG au commercial, de l'informaticien au logisticien. Pour me conseiller des chaussures, la responsable grands comptes; pour analyser ma foulée, le spécialiste d'une gamme de produits; pour encaisser mes achats, le responsable informatique, et à côté de lui, l'assistante commerciale.

 

L'effet est réussi : ce ne sont pas des commerciaux intéressés aux ventes du jour, ce sont des personnels qui investissent sur l'avenir de leur marque, de leur société. Et notre expérience est aussi intéressante que la leur, car ils rencontrent des interlocuteurs différents, autour pourtant de ce qui fait leur quotidien, le sens de leur engagement professionnel : leurs produits.

C'est économique (pas de prestataires), c'est utile (des expériences croisées), c'est efficace commercialement et c'est un moment d'émotion partagée - car les milliers de visiteurs qui passent sont sans doute à la fois porteur d'énergie, d'attentes, de messages.

Alors, l'Asics Team, chapeau !

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

Publié le 18 Mars 2013

Ce week-end encore, une participation à un trail... l'Eco-Trail de Paris, qui proposait plusieurs distances.

Cette année, j'ai choisi le 50 km.

 

Tout au long de ce parcours - enfin, quand il me restait encore un peu de lucidité, pour rejoindre l'arrivée -, je me suis surpris à me demander ce qui motive ces centaines de concurrents à dépasser leurs limites...

Et plus encore que l'épreuve elle-même, ce qui me frappe, plus généralement, est l'augmentation des distances proposées.

 

Il y a quelques années, les marathoniens étaient une poignée. Il s'agit désormais d'épreuves sélectives, qui rassemblent des dizaines de milliers de concurrents, pour les courses les plus connues, dans toutes les capitales du monde.

Les trails semblent vouloir conserver un état d'esprit particulier, puisqu'ils se déroulent en pleine nature le plus souvent, et compliquent les comparaisons de résultats, tant les aléas climatiques ont un impact sur le déroulement de l'épreuve.

 

Mais si les marathons vont au gigantisme de la participation - et à l'intervention de professionnels de l'événementiel sportif -  la tendance des trails semble être à l'augmentation des distances : on voit désormais fleurir les ultra-trails... des épreuves qui dépassent les 100 km..., et ceci de jour comme de nuit, et loin de l'asphalte des grandes villes.

 

Le mois dernier, en courant le Défi Glazig, j'écoutais un podcast - il faut bien se donner un peu de distraction tout au long des heures de course... - qui évoquait précisément cette tendance.

L'interviewé - je n'ai pas eu la présence d'esprit (ou surtout la disponibilité) de noter son nom - attribuait cet accroissement des distances au consumérisme actuel - qui pousserait chacun à vouloir plus, plus vite, plus fort, et au besoin avec des stimulants.

Il me faudrait réécouter ses arguments pour y répondre précisément. Mais je n'y souscris pas totalement, spontanément.

Quand je regarde mes compères de course - et il y en a toujours beaucoup plus devant que derrière -, les idées  suivantes me viennent à l'esprit de façon récurrente :

- beaucoup sont mus par l'esprit de compétition, et la tranche d'âge de ces garçons et filles (même si le gros du peloton est plutôt masculin) est aussi celle de l'âge des "challenges" dans les entreprises : les 30-35 ans, qui veulent marquer leur territoire, faire leurs preuves... Mais ce n'est pas la motivation principale, et beaucoup d'exemples démontrent que l'objectif n'est pas, pour la grande majorité, d'arriver en tête;

- la France dispose encore de ressources de résilience. En cas de crise majeure, je me prends à espérer que cette belle énergie pourrait être mise à disposition - et se mettrait spontanément à disposition -  des nécessités de sauvegarde et de solidarité - la vraie, pas celle des allocs';

- et puis je pense à ces dizaines de manuels de consultants et de "sociologues" qui dépeignent une France déprimée, des "élites" fatiguées, des "managers" démotivés... Je ne sais si c'est une forme de pessimisme, ou un argument commercial. Mais en tous cas, je me dis qu'ils devraient venir faire un tour dehors, sur les falaises des Côtes d'Armor, dans les bois de l'Ouest parisien, et sur tous les formidables terrains de jeu offerts à l'expression des volontés individuelles, et du plaisir de se retrouver pour partager un défi - car dans ce cas comme dans d'autres, on passe beaucoup de temps à se raconter les épreuves précédentes, et envisager les prochaines.

 

Cette énergie, on ne la retrouve pas seulement dans les épreuves sportives. Elle est présente dans la vie professionnelle, dès lors qu'on se donne la peine de regarder, d'écouter, et de construire ensemble une dynamique collective, avec ses champions, ses contributeurs, ses participants... et puis aussi, ses soutiens, ses bénévoles. Car tout autour de chacune de ces courses, se déploient des dizaines de bonnes volontés sans qui, rien de tout cela ne se ferait. Et c'est un signe de plus que le "mercantilisme" est sans doute aussi un oripeau agité par certains, faute d'avoir de meilleure idée.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

Publié le 19 Août 2012

Surf.jpgEnseigné par un professionnel passionné et pédagogue, le surf est un loisir sportif dont chaque manager peut avec profit s’inspirer dans sa vie professionnelle. En effet, pour le pratiquer avec plaisir, que l’on soit débutant ou un peu plus expérimenté, on peut retenir quelques principes clés.

Le sens de l’observation

Lire la mer, observer les vagues, être à l’écoute de ses perceptions : c’est le premier temps de la session. Et un moment renouvelé tout au long de celle-ci, que la mer soit paisible, afin de saisir la moindre occasion, ou qu’elle soit forte, pour prévenir le danger. Rationaliser a priori l’environnement est inutile, il faut avant tout le saisir, le comprendre. Le sens du vent, le temps de la marée, mais aussi la forme des vagues et, avec l’observation des autres partenaires, le courant : autant de facteurs qui façonneront, à un moment donné, l’environnement. Les professionnels « lisent » la mer en quelques secondes, les néophytes peinent pendant quelques minutes, avec l’aide des premiers… mais l’exercice décidera de la réussite et du plaisir, avant toute chose.

L’humilité

Quelque soit la détermination et la condition physique du surfeur, l’océan demeure le plus fort. Entre vagues et courants, les éléments sont toujours dominants. La force de la mer n’est pas la seule variable : une vague « fermée », un shore-break avéré, éloigneront le surfeur avisé, et briseront, y compris physiquement, celui qui, par manque d’observation ou par orgueil, aura voulu s’exposer.

Même la température de l’eau est à prendre en compte : même si le short et le tee-shirt peuvent répondre à l’image d’un surfeur accompli, les heures passées dans l’eau finiront bien, quelque soit la température de celle-ci, par avoir raison du corps…

L’adaptation

La mer est toujours changeante. D’un jour à l’autre, et au cours d’une même session, les conditions changent avec la marée, le vent. Ce qui est vrai à un moment ne l’est plus quelques minutes plus tard. Et une stratégie esquissée en un temps donné n’est plus adaptée le temps de sa mise en œuvre. Inutile donc de bâtir des plans pour cet environnement mouvant, c’est au moment même de l’action que l’on prend une décision, que l’on déploie ses talents, ou qu’on les retient.

Le choix du matériel est une variable, pour ceux qui savent passer d’un surf à un longboard, ou pour le choix de la tenue en néoprène. 

Mais le positionnement sur la mer, juste au fond, au moment donné, et sur cet espace pourtant mouvant, sera la garantie d’un moment de plaisir et de vitesse, par-delà la zone de danger.

La patience

Corollaire des principes précédents, la patience doit aussi inspirer l’action. Face aux éléments, inutile de chercher à s’imposer si le moment n’est pas là. Les surfeurs passionnés attendent parfois « la » vague pendant de longs moments, après une longue et difficile approche. Mais plus généralement, tous sont concernés,  ne serait-ce que pour aller « au fond » : là où les conditions seront optimales pour prendre la vague. Attendre l’accalmie, puis concentrer ses efforts pour passer le front de vagues un instant disparu… Ou tout simplement renoncer, pour attendre le jour suivant…

Le lâcher prise

Ce principe est sans doute un des plus puissants, en termes d’inspiration professionnelle. En effet, le surf est avant tout un sport de sensations. Regarder sa position sur la planche, c’est regarder ses pieds. Et regarder ses pieds, c’est tomber. Se retourner pour regarder, juste derrière, où est la vague, c’est se déstabiliser. Et se déstabiliser, c’est tomber. Pour prendre la vague, il faut prendre la pente, prendre de la vitesse. Ni trop, ni trop peu.

Pour identifier ces moments, il n’est pas seulement inutile de rationaliser, c’est tout simplement inutile. Inutile en effet de « checker » des indicateurs de vitesse, de stabilité, de positionnement… Pas le temps ! Pour acquérir le « contrôle » de la situation, ou plus exactement pour la « maîtriser », nulle autre possibilité que de lâcher prise, de laisser place à ses sensations, bref, de (re-) devenir humain, avec toute sa part d’irrationalité, voire d’animalité, de se faire (à nouveau) confiance.

La solidarité

Au-delà des apparences, le surf n’est pas un sport solitaire. Face aux éléments, la solidarité est un principe fort et structurant : pas de survie en solitaire. Si l’action est exercée individuellement, la (relative) maîtrise de l’environnement ne s’exerce qu’à plusieurs.

Le respect mutuel

Enfin, même fondé sur l’action individuelle, le surf est régi par des règles de respect mutuel qui, pour le moment en tout cas, reposent sur l’éthique de chacun et non sur la judiciarisation de notre société. Par souci de sécurité, par équité, chacun observe et anticipe l’action de l’autre, et s’y adapte, y compris en « sacrifiant » son moment.

Lié au principe de solidarité, ce respect entre les hommes est le ciment social d’une société d’individus épris de liberté, et respectueux de celle des autres.

Des principes de conquête

Enfin, le surf peut apparaître comme un sport passif, éloigné des principes de l’action professionnelle, lorsqu’il convient d’aller conquérir des marchés, par exemple. Attendre la vague ? Pas question ! 

Pourtant, et en raison des principes énoncés plus haut, il nous semble que l’analogie n’est pas si mauvaise. Car plutôt que d’essayer de bénéficier de chaque vague, l’observation, la patience, l’adaptation, le lâcher prise et tous les autres principes nous paraissent parfaitement adaptés pour inspirer l’action professionnelle : celle qui permettra de saisir les opportunités et mobiliser les énergies afin d’accomplir le geste efficace, économe et esthétique, avec plaisir et aisance – bref, d’atteindre l’objectif en optimisant l’usage de l’ensemble de ses moyens.

 

PS : Si vous avez l'occasion de passer du côté d'Anglet (64), je vous recommande vivement Iban et son équipe : www.ecole-surf-uhaina.com

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

Publié le 20 Juillet 2012

Avec ses diatribes contre les actionnaires de Peugeot, le ministre du "Redressement Productif" témoigne d'une violence commune à celle des candidats Mélenchon et Arthaud (voire le "sympathique" Poutou ?) au cours des dernières campagnes.

 

patron.jpgDevant une telle agressivité de la part d'un notable politique - un ministre ex-député dans un cas, un sénateur de l'autre -, on peut se demander quel phénomène psychologique les mène à susciter, potentiellement, une violence qui pourrait dépasser la simple expression politique pour entrer dans le champ physique (en illustration, un logo vu sur le tee shirt d'un "père de famille" dans le TGV...).

 

Si Montebourg est avocat, Mélenchon fut journaliste. Chacun a donc eu l'occasion de savoir que l'argent ne tombe pas du ciel. Dans un pays où la plupart des élus sont issus de la fonction publique - qui ne vit que de l'impôt prélevé, et non d'une création de richesse immédiate -, cela surprend d'autant.

Plusieurs pistes s'ouvrent donc à notre réflexion, au-delà de la simple gesticulation qui dépasserait les convictions profondes - car en cette période de tensions économiques et politiques extrèmes, on ne saurait envisager une telle irresponsabilité ni de l'un ni de l'autre.

Répression psychologique ?

La première piste est celle de la "répression" (ou "suppression") psychologique. Notre pays est formidablement endetté. Cette dette n'est pas seulement virtuelle, aux mains de banquiers apatrides et cupides dont il suffirait "d'annuler" la créance, comme le demandent certains. Elle est, chaque jour, creusée par notre déficit commercial. Pour répondre aux "besoins" (ou envies) de consommation de produits high tech, de textiles, de machines mais aussi d'énergie notamment, nous achetons à l'extérieur. Malheureusement, nos exportations de produits et de services ne suffisent pas à compenser ces achats. Nous avons, apparemment, plus besoin des produits des autres qu'eux ont besoin des nôtres...

Et pour maintenir le train de vie de l'Etat, pour payer des prestations sociales, puisque nous ne générons pas de bénéfices, nous empruntons à ceux qui, eux, exportent plus qu'ils n'importent. Non seulement nous sommes en déficit au quotidien, mais en plus nous endettons les générations à venir.

Ce que nous connaissons est un retournement historique de situation. La France, et le monde occidental avec elle, ne domine plus. Mais elle en garde la posture... Il est vrai que le constat est rude à accepter, car il s'agit bien d'accepter que la "croissance" continue n'est pas réelle, et qu'il s'agit désormais d'ajuster nos dépenses à la production de nos richesses. Quitte à s'endetter un peu pour investir pour l'avenir, mais dans une mesure acceptable...

La violence exprimée par Arnaud de Montebourg peut donc témoigner du combat psychologique qui l'habite - car il est intelligent -, et de son refus inconscient de ce constat du réel. C'est de la "répression".

Ou répression politique ?

L'autre piste est différente, et il nous faut absolument l'écarter car c'est la voie albanaise, ou nord-coréenne, par exemple. En bref, la voie de tous les totalitarismes du XXe siècle et de celui-ci qui, plutôt que de chercher en eux-mêmes les ressources pour prendre acte des difficultés et trouver des solutions, préfèrent chercher des coupables, des ennemis - de race ou de classe. Et envisagent de se lancer dans des guerres de conquêtes territoriales, car les matières premières sont bien les ressources les plus facilement "captables" (les services, eux, ne se produisent que librement). Et cette piste commence par la répression à l'interne : des voix dissonantes, des pensées non conformes, des avis divergents.

La politique fiscale à vocation rétroactive n'a pas été écartée spontanément, elle a même été tentée alors qu'il s'agit manifestement d'un abus de droit, au moins dans l'esprit des lois que "nul n'est censé ignorer" - encore faut-il qu'elle soient promulguées.

Souhaitons donc que cette répression là ne soit qu'une vue de l'esprit, car les véritables changements - ceux qui reposent sur l'appropriation de la transformation, ou de la rupture -  ne peuvent être vraiment accomplis que grâce à des dynamiques qui excluent toute violence.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

Publié le 1 Février 2012

Avec la campagne électorale en cours en France, les discours des dirigeants politiques et les prises de parole des représentants du monde économique soulignent le prisme mental dominant, soit par habitude, soit par nécessité : comment organiser la fiscalité - c'est à dire la contribution aux dépenses publiques - des producteurs de richesse. Ponctionner les entreprises, ou les préserver de l'aspirateur à phynances, l'approche politique l'emporte, avec ses clivages et ses anathèmes.

 

L'indispensable maîtrise des approvisionnements miniers

Les Échos de mardi 31 janvier ont relaté la création, par les industriels allemands et avec le soutien du gouvernement, d'une initiative commune visant à sécuriser leurs approvisionnements en terres rares : des éléments indispensables à l'industrie hi-tech (cf nos articles précédents). En France, le BRGM, une structure publique, est chargé de cette mission stratégique... Structure publique vs mobilisation partagée; quelques experts d'un côté, l'alliance entre grandes entreprises, avec leurs moyens dédiés de l'autre.

Mais, en France, certains pourraient penser, haineux de l'initiative privée, souci de l'intérêt général contre soif du capital... Le match du "Géoportail" national, lancé avec publicité, retards et fonds publics, pour "concurrencer" Google Earth, pourrait bien malheureusement illustrer les faiblesses de l'approche idéologique, "à l'albanaise version Enver Hodja" (nous sommes des victimes et nous avons raison contre le reste du monde), face au pragmatisme partagé qui pousse à l'action.

Lorsque les dernières chaînes de production s'arrêteront faute d'avoir garanti l'approvisionnement en matières premières, il sera sans doute toujours question de se révolter contre la cruauté des marchés, l'iniquité des chinois ou des russes qui gardent leurs ressources pour leur industrie, l'arrogance des allemands qui continuent à produire, à nos frontières... Et de pleurer.

 

Et aussi, la fin de la suffisance alimentaire ?

Espérons que la prochaine étape ne sera pas, après la fin de l'indépendance stratégique minière, celle de la suffisance alimentaire. Car si la France fut un pays agricole, l'expansion galopante des "maisons de maçon" autour des centres urbains provoque la disparition des meilleures terres agricoles. Il peut être en effet fécond de considérer que les centres de vie, historiquement, se sont créés là où la terre était la plus fertile - puisqu'on cultivait son champ à deux pas de chez soi. Et qu'il ne s'agit pas seulement, pour produire des ressources alimentaires, de planter un champ, là où on n'a pas envie de construire...

Pavillon contre nourriture, tel sera peut-être le débat de demain, étape suivante de nos constats d'impuissance... En la matière, l'annonce de l'assouplissement des contraintes publiques à la construction de logements aurait pu s'inscrire dans la prise en compte de cet enjeu là... Peut-être pourra-t-il s'agir, au mieux, d'un bénéfice collatéral.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #CIMIC

Publié le 12 Décembre 2011

Mains okEn 1995, Alain Peyrefitte écrivait "La société de confiance" (1), pour illustrer comment ce lien psychologique entre acteurs était indispensable au développement économique.

En 2007, deux chercheurs décrivaient dans "La société de défiance" (2) comment l'incapacité croissante des Français à vivre ensemble menaçait leur prospérité et, tout simplement, leur bonheur. Et ils commençaient leur ouvrage en citant l'ouvrage de Peyrefitte. L'actualité de cette journée illustre tristement la pertinence de leur analyse.

Pour la prospérité européenne

Crise européenne ? Alors que les dirigeants européens renforcent l'Union pour faire face aux actions spéculatives et aux tensions sur les marchés mondiaux du crédit (un autre mot pour parler de confiance...), trop d'analystes français recherchent des coupables à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. Escrocs grecs, dilettantes italiens, ogres allemands, traîtres britanniques... Endettés jusqu'au cou, importateurs de biens mais exportateurs de leçons de morale voire d'économie, nous témoignons bien plus souvent de notre arrogance didactique que de nos capacités pourtant réelles d'innovation et de production de qualité. Où sont donc la confiance, ou au moins le crédit d'intention envers nos alliés européens, et envers nos dirigeants pourtant tous élus grâce à des mécanismes démocratiques certes imparfaits mais en tous cas plus vertueux que les systèmes autocratiques ?

 

Pour la pérennité de nos entreprises

CollaborationDans nos entreprises, et nos écoles, le travail est trop souvent décrit par le chômage, la souffrance au travail, le harcèlement, la fatigue, le droit de retrait, l'enfer du management... Et trop rarement comme un nécessaire moyen de subsistance - il ne faut pas l'oublier car, comme en témoignent tous les jours ceux qui travaillent la terre ou la matière, l'argent ne tombe pas du ciel... Ou bien, aussi, comme une opportunité de développement personnel et collectif - à moins qu'on ne soit convaincu que la consommation de programmes télévisuels ne contribue plus à élever l'âme que la satisfaction du travail bien fait, qu'il concerne la production ou les services. Dans don dernier ouvrage "Lost in management" (3), le sociologue François Dupuy décrit comment les organisations matricielles, pourtant conçues comme des structures collaboratives (selon nous, dans l'esprit des "checks and balances"), deviennent, en se superposant aux bureaucraties en place, des lieux de pouvoir... nécessairement inefficaces, en particulier de par le "sous-travail" qu'elles favorisent. Là encore, la nécessaire collaboration est mise à mal par des mécanismes de défiance mutuelle. Pourtant, et dès lors que l'on se convainc que "l'on n'a pas raison tout seul", la collaboration, l'animation ou le "management de toutes les parties prenantes" démontrent à la fois leur utilité et leur efficacité, que ce soit pour la performance collective comme pour la satisfaction individuelle.

 

Et pour l'aménagement de nos territoires

RailsActualité du jour, enfin, avec le grand "big bang" ferroviaire... Des démarches de concertation ont été mises en œuvre, institutionnalisées ou volontaires. Les premières répondent souvent à des objectifs de moyens. Les autres, comme les "Clubs" que nous aidons à animer, tentent, sans doute imparfaitement, de contribuer, par la pédagogie mutuelle, au renforcement d'une confiance réciproque. Ces changements profonds des services ferroviaires sont a priori justifiés par des objectifs de bien-être collectif, ou de service public, si l'on préfère ce terme: - la mise en service du TGV Rhin-Rhône, qui transformera les territoires désormais reliés entre eux (il suffit de constater l'enthousiasme des Belfortains et le renforcement à venir des synergies entre Alsace, Franche-Comté et Bourgogne, sans oublier la Suisse et l'Allemagne voisines pour s'en convaincre); - le programme de travaux engagé pour accompagner la croissance du transport public et répondre aux défaillances (a-t-on déjà oublié les ruptures en série des caténaires ?); - au "cadencement" retenu comme solution pour optimiser l'occupation du réseau ferroviaire.

Là encore, la pédagogie a peut-être manqué vers le plus grand nombre des relais d'opinion. Mais sans doute la défiance facile a-t-elle également généré les malentendus et les a-prioris entre les parties... "Pourquoi expliquer des contraintes d'expert à des utilisateurs par nature néophytes qui, in fine, n'y comprendront rien, ou ne voudront pas comprendre" ? Et "pourquoi faire part de nos préoccupations à des technocrates qui, de toutes façons, n'ont que faire de nos enjeux" ? Pourtant, de part et d'autre, on trouve de nombreux témoignages de bon sens et d'intelligence. Là encore, l'expérience prouve que la confiance mutuelle et la collaboration sont les clés du succès collectif, même s'il faut pour cela accepter les différences de point de vue et trouver des voies médianes, parfois moins brillantes conceptuellement mais tellement mieux partagées et appropriées.

 

L'envie, la jalousie et la défiance systématique sont des comportements frileux d'enfants gâtés, qui comptent sur leur propre patrimoine, à titre individuel ou familial, ou à titre collectif, lorsque des mécanismes de rente, d'appropriation ou de redistribution, selon le point de vue adopté, permettent de "mutualiser" la richesse. Le pays est endetté au-delà du raisonnable, et beaucoup d'entreprises françaises sont en situation de grande fragilité. Il serait temps de siffler la fin de la récréation, ou de faire sonner le réveil, pour passer de la cour des écoles au chemin de la responsabilité individuelle et collective.

 

1. Alain PEYREFITTE. "La société de confiance. Essais sur les origines du développement". Odile Jacob, 1995, en poche depuis 2005.

2. Yann ALGAN Pierre CAHUC. "La Société de défiance. Comment le modèle social français s'autodétruit". Collection du Cepremap. 2007. En libre téléchargement sur internet.

3. François DUPUY. "Lost in management". Seuil, 2011.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

Publié le 1 Novembre 2011

"Le commerce, c'est mal", entend-on régulièrement à propos de l'ouverture des commerces le dimanche ou les jours fériés. Aujourd'hui à Paris, de nombreux commerces étaient ouverts.

Mais le Louvre était fermé.

"Un mardi" répondrez-vous avec compréhension ou dépit, selon vos convictions sur le sujet. Et si les touristes étrangers, venus pour plusieurs jours, intègrent sans doute - et en tous cas par obligation - cette particularité dans leur planning de visites, on pourra amèrement regretter que le touriste de proximité - parisien ou francilien - ne puisse accéder à cette offre culturelle un jour de repos.

Pourtant, aucun argument n'est raisonnablement opposable : il existe d'ores et déjà plusieurs équipes pour ouvrir six jours sur sept - 35 heures obligent... -, et ce ne serait donc que créations d'emplois et organisation du travail.

Mais la culture se mérite-t-elle sans doute... En ce jour pluvieux, donc, reste aux "gueux", qui travaillent en semaine et ne sont pas maîtres de leurs horaires, la télévision ou le supermarché...

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

Publié le 14 Septembre 2011

Dans un projet de société comme dans un projet d’entreprise, il est impossible de construire une dynamique pérenne en la fondant uniquement sur des intérêts.

Sans valeurs ou vocation partagées, comment dépasser en effet les périodes de turbulences ? Devant le naufrage redouté, les passagers clandestins sont toujours les premiers à quitter le navire.

 

On est toujours le pestiféré de quelqu'un

Dans une entreprise, chacun peut assez facilement trouver le coupable d’une situation difficile : les équipes de ventes qui ne se mobilisent pas assez, le marketing qui impose des campagnes inefficaces, l’informatique qui change encore de système, les ressources humaines qui ne réussissent pas à attirer ou retenir les talents…

CriseAujourd’hui, la Grèce est en difficulté, montrée du doigt pour sa gestion désastreuse des finances publiques. Mais les Français seraient-ils suffisamment exemplaires pour se poser comme des donneurs de leçons ? Car après la Grèce, qui sera le plus mauvais élève ? L’Espagne, l’Italie, le Portugal… ou la France ?

Par ailleurs, l’action publique ne se limite pas aux grands équilibres économiques, entre perception de l’impôt et dépenses collectives. Lorsqu’il s’agit de la capacité à affirmer, y compris par l’action armée et en dehors de nos frontières, le respect de valeurs fondamentales, comme les libertés individuelles et les libertés publiques, il est sans doute possible d’établir un autre classement.

 

Mourir pour Dantzig, ou pour Thessalonique ?

Dans une entreprise, la cohésion entre entités est souvent naturelle, même si les tensions sont fréquentes : chacun a une mission et, a priori, une contribution.

Si l’Union européenne est réduite à une solidarité financière entre Etats, il devient alors aisé de dénoncer l’impécuniosité des uns ou, a contrario, l’absence de générosité des autres, et d’encourager à la sécession, monétaire, économique voire politique.

Mais si la (re)construction européenne est récente, il peut être utile, en ces temps troublés, de se remémorer sa vocation.

Les deux guerres mondiales du XXe siècle ont été, en Europe, des guerres civiles, et la volonté des pères fondateurs de l’Union Européenne était avant tout d’empêcher qu’à nouveau, les nations européennes ne s’affrontent, au prix de millions de morts et de la perte d’un leadership jamais retrouvé.

Faute de trouver un accord sur la Défense, les Européens ont fait le pari que les échanges économiques généreraient suffisamment d’intérêts partagés pour qu’ils ne se fassent plus jamais la guerre.

Et puis, au cours des quinze dernières années, la Défense européenne a connu un nouvel essor avec les bouleversements géostratégiques du continent mais, aussi, sous la pression des contraintes économiques. Aujourd’hui, les Européens combattent ensemble, sous le drapeau bleu et or ou au sein des opérations de l’OTAN, pour affirmer leurs valeurs et leurs intérêts communs.

 

Réaffirmer un projet commun pour dépasser les crises

images.jpegDans une entreprise, lorsqu’une situation de crise menace la survie collective, le rappel aux fondamentaux de l’entreprise est un levier puissant pour remobiliser les énergies.

Pour redynamiser les équipes et leur redonner du cœur à l’ouvrage, les dirigeants doivent alors « monter sur le tonneau », et rappeler la vocation de l’entreprise, le projet commun. Et actualiser, aussi, le socle de la dynamique collective: les objectifs et les règles, la stratégie et les fonctionnements partagés.

Pour beaucoup, la monnaie n’est pas qu’un simple instrument au service des échanges, un prolongement physique de la libre circulation des citoyens, des marchandises et des services. C’est au moins aussi le symbole d’une puissance publique – et donc partagée.

Alors, à ceux qui la considèrent comme telle, faisons observer que la pièce grecque de deux euros n’est pas à l’effigie d’un monument ou d’un héros national, mais à celle de la figure mythologique d’Europe. Ce tout petit morceau de métal rappelle donc, dans toute sa fragilité, nos racines communes, fondatrices, au-delà du simple instrument.

Aujourd’hui, face à la crise européenne, on peut regretter que les décideurs politiques ne rappellent pas beaucoup la vocation, le projet et les règles de stabilité de l’Union européenne. Ils en appellent aux intérêts. Pas aux passions communes. Pourtant, l’enjeu est de taille.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

Publié le 27 Mai 2011

Le consensus annoncé sur la candidature de Christine Lagarde à la direction du FMI peut être rapproché de la confirmation, au cours de cette même semaine, de la "prime sur dividendes" imposée par le gouvernement français aux entreprises.

D'un côté, le signe que la France, malgré ses difficultés économiques, réussit à promouvoir ses représentants à des postes de responsabilité dans les instances internationales (cf l'édito de Jean-Francis Pécresse dans les Echos du 26 mai).

De l'autre, le fâcheux sentiment d'une grande méconnaissance, par nos élus et décideurs publics, du fonctionnement des entreprises, et/ou leur manque d'intérêt pour celui-ci. Macro-économie contre micro-économie, ou économie dirigée contre responsabilité entrepreneuriale ? La culture économique française est sans doute un sujet inépuisable d'observations et d'analyses.

 

L'annonce de cette "prime", au-delà même de sa réelle mise en oeuvre, est en effet susceptible de générer une multitude d'effets pervers, pour les "petites" entreprises (présentées comme étant non concernées par cette mesure), comme pour les "grandes" (a priori "obligées" de verser cette prime).

Pour les "petites", tout d'abord :

- une difficulté supplémentaire pour attirer des talents, face à des grandes entreprises qui peuvent proposer des "packages" de rémunération globale alléchants (stabilité, mobilité et évolution professionnelle, formation, temps de travail, et donc maintenant, "prime garantie" - on verra plus loin pourquoi...);

- un impact sur leurs propres politiques de rémunération, car il est à prévoir que les salariés demanderont des systèmes analogues, limitant ainsi la marge de manoeuvre managériale. La question n'est en effet pas de savoir si les dirigeants de petites structures doivent intéresser leurs salariés aux résultats de l'entreprise car, plus que les dirigeants des grandes entreprises, ils sont au contact quotidien de leurs troupes, et ne peuvent ni ne veulent oublier ce levier de mobilisation de leurs collaborateurs. La différence, désormais, c'est qu'ils vont devoir sans doute subir le doute quant à cette volonté, et se justifier.

Dans les grandes entreprises, les conséquences vont être différentes :

Dans l'immédiat, les équipes RH, ou Comp&Ben, vont devoir se plonger à nouveau sur la composition des politiques de rémunération - et c'est bien le moment, puisque les négociations annuelles 2012 se préparent dès maintenant. Car il faut être bien naïf pour croire que cette "prime" viendra mécaniquement et systématiquement en ajout des rémunérations existantes. Dans une grande entreprise, les paramètres de rémunération sont si nombreux qu'il sera sans aucun doute possible, dans la grande majorité des cas, de "flécher" sur cette "prime" des volumes de rémunération qui auraient été affectés, sans cette obligation, à d'autres leviers.

Et c'est bien là le premier effet pervers de la "prime" : une réduction de liberté managériale quant aux leviers de motivation et de reconnaissance.

Dans toute dynamique d'entreprise, l'équilibre entre rémunérations individuelles et collectives est un exercice subtil et difficile, et un choix managérial important. En imposant la "prime", le gouvernement donne un signe de préférence - sans doute involontaire - pour les systèmes de rémunération collective, au détriment de la reconnaissance des contributions individuelles à la performance de l'entreprise, dont les enveloppes seront de fait réduites. A l'heure où la fonction publique essaie d'encourager la prime au mérite, cela laisse songeur...

Il existe au moins un deuxième effet pervers. D'aucuns défenseurs de cette "prime" rappelleront que ses conditions d'attribution sont définies et qu'il ne s'agit pas d'une "charge" fixe. Les habitués des négociations salariales apprécieront... Car dans un pays où, malgré les tensions extrêmes sur les finances publiques et l'équilibre économique de nombreuses entreprises, la simple évocation d'une remise en cause de certains "acquis" est un exercice de haute voltige, on peut sans aucun doute prévoir que, lorsqu'une une entreprise envisagera de ne pas verser cette "prime", il faudra aux DRH et DRS bien du courage, de la ténacité et sans doute une habileté à générer des miracles pour faire en sorte que ce nouvel "acquis" ne soit pas perçu comme tel. Ce deuxième risque est donc que cette "prime" soit en fait, d'ores et déjà, un impôt supplémentaire.

Voir les commentaires

Publié le 29 Mars 2011

Dans sa première intervention devant les médias jeudi dernier, notre nouveau Ministre de la défense, Gérard Longuet, a évoqué, en faisant référence à des "écoutes", la fragilité du moral de l'entourage du colonel Kadhafi face à l'offensive militaire alliée.

Cette référence explicite au "moral" des chefs libyens est particulièrement intéressante.

La "guerre psychologique" n'est en effet pas une nouveauté dans l'arsenal militaire et politique, même si elle s'est institutionnalisée au travers des "PsyOps", avec la Révolution dans les Affaires Militaires qui a accompagné les transformations des armées occidentales de l'après mur de Berlin.

Mais alors que les médias évoquent plus souvent des volumes d'interventions aériennes, ou vantent la supériorité de la technologie, cette référence explicite au "facteur humain" est originale, en particulier lorsqu'elle concerne l'adversaire.

La question est de savoir si c'est l'expression de la sensibilité particulière d'un homme, de culture moins technocratique que ses prédécesseurs, ou s'il traduit, en la ressentant dès sa prise de poste, une nouvelle culture de l'institution militaire, qui prendrait de plus en plus en compte dans les approches opérationnelles le "facteur humain", et pas seulement pour ses propres forces, ou pour en réduire la fragilité, dans des armées numérisées et connectées.

En tous cas, c'est aussi un message pour les managers du monde civil, qui peuvent ainsi se dire que, dans le monde a priori le plus accoutumé à "l'exécution", la cohésion d'une "équipe de direction" peut être identifiée comme un facteur majeur de risque - et donc a contrario, de succès.

Plus que jamais et en toutes circonstances, le "management non hiérarchique" et l'animation managériale sont des compétences clés au service des performances.

Nous n'irons jamais aider Kadhafi. Mais nous pouvons vous aider...

Voir les commentaires

Publié le 17 Mars 2011

Les événements dramatiques du Japon auront de multiples conséquences, mais il en est une à laquelle on ne pense pas spontanément, à moins de vivre la situation très directement : la qualité des relations entre japonais et occidentaux.

Beaucoup d'expatriés ont rapidement pris la décision de quitter le pays, pour leurs familles et pour eux-mêmes. Il n'est nullement question de remettre en cause ces décisions, et surtout pas depuis Paris, bien à l'abri, et n'ayant des séismes, raz-de-marée par temps hivernal et menaces nucléaires de ces derniers jours qu'une "expérience" indirecte au travers des écrans.

Mais on peut imaginer que cet éloignement physique est aujourd'hui perçu par certains japonais comme un abandon, alors qu'ils continuent à s'atteler aux "affaires courantes" (assurer les décisions politiques, les flux économiques, les services indispensables...) voire aux conséquences des événements de la semaine dernière, malgré les chocs subis et les menaces en cours.

 

Quelles solidarités avec le Japon ?

La nature des manifestations de solidarité est toujours porteuse de sens : on ne perçoit pas de la même façon une aide lorsqu'elle est financière, matérielle ou humaine.

Le financement de la reconstruction des zones sinistrées et la stabilisation de l'économie japonaise sont déjà au programme des travaux et c'est indispensable. Mais la financiarisation de l'économie limitera la portée de ces décisions : que valent des milliards lorsqu'ils peuvent être "créés" par des Etats déjà surendettés ?

Les matériels de lutte contre la contamination nucléaires commencent à être envoyés au Japon (produits borés, combinaisons...) et c'est heureux. Car c'est un combat extrêmement consommateur en matériels qui a commencé, pour confiner les éléments radio-actifs et s'en protéger, tout au long des travaux. Et quelque soit l'état de préparation des forces japonaises, civiles et militaires, leurs stocks ne doivent pas être éternels...

nrbcMais il y a aussi l'élément humain. Les techniciens et désormais les militaires affectés aux opérations sur le site vont également être soumis à une "usure" liée à l'exposition à la radio-activité. Sans mettre en danger leur santé, ils peuvent travailler en recevant une dose donnée de radiations, acquise par cumul et en évitant les "pics". Lorsque la dose maximale est atteinte, ils ne peuvent plus être exposés, et il faut leur trouver une relève... On entre dès lors dans une problématique de "réservoir de forces" disponibles. Les robots expérimentaux que français et américains envoient sur place seront sans aucun doute utiles pour combattre là où l'exposition est trop forte. Mais il faudra des hommes pour travailler à la périphérie. Qui ira ?

Lorsqu'il s'agit de maintenir la paix partout dans le monde, nous savons envoyer nos soldats, au péril de leur vie, et sans beaucoup de soutien ou de respect de la part de nos concitoyens. En sera-t-il de même, alors qu'il ne s'agit pas de faire usage des armes, mais de réaliser des opérations "civiles" en milieu hostile ? On a déjà vu les armées sur nos plages, après les marées noires, ou sur nos routes, après la tempête : "opérations intérieures", c'est désormais une mission des forces armées... Mais irons-nous jusqu'à les projeter dans un contexte aussi sensible pour la psyché collective - et pourtant, les talibans ne sont pas moins meurtriers que les rayonnements ionisants...

Et puis, si ce sont nos soldats, le symbole ne sera pas le même : comme en Afghanistan, s'ils se mettent en danger, c'est parce que c'est leur métier... piètre image de cohésion nationale où l'engagement se mesure au salaire versé.

 

La solidarité, pour quoi ?

Avant la suspension du service national, il existait la possibilité - toute théorique dans le contexte d'après 1989, on le vit dès 1991 avec l'opération Daguet au Koweit - que la nation s'engage solidairement, en envoyant ses fils défendre nos valeurs, nos libertés. Mais avec la réallocation des priorités de dépenses publiques à d'autres postes - prestations sociales, emplois publics... - et la grogne de ceux qui ne voulaient pas "perdre leur temps", on passa à une armée de professionnels.

Le temps "libre" parait trop précieux désormais pour qu'on le donne à la dynamique nationale - ou européenne, comme cela pourrait être le cadre aujourd'hui : loisirs, télévision, formations universitaires sans débouchés, autant de temps alloué "volontairement" à des projets personnels... La solidarité ne se mesure plus, désormais, qu'à une contribution financière - impôts et taxes -, mais pour quel projet de société ?

Ces considérations hexagonales peuvent paraitre loin du drame japonais... et pourtant.

solidarite.jpgSi la solidarité dans le contexte national est déjà ébranlée, quelle sera notre capacité à démontrer que nos relations internationales ne sont pas seulement économiques, contractuelles, mais qu'elles s'inscrivent dans un projet commun, où la realpolitik s'appuie aussi sur des valeurs partagées, comme la démocratie, les libertés individuelles, le développement des hommes et des techniques ?

Car dans un monde où les ressources physiques et technologiques sont rares, et en particulier celles qui permettent de réaliser les supports physiques de nos "sociétés de l'information", les relations commerciales ne pourront plus être indépendantes des synergies politiques, et tous les financements possibles - que nous n'avons plus - ne serviront à rien s'il n'y a pas la volonté mutuelle. Car commercer, ce n'est pas qu'acheter, c'est avant tout échanger.

 

Clients-fournisseurs ou partenaires ?

Notre capacité à nous engager aujourd'hui dans le drame japonais marquera sans doute durablement les relations d'Etat à Etat, mais aussi de peuple à peuple.

Certains pensent que les expatriés ne s'intègrent jamais, et qu'en restant, ils n'auraient rien changé. Alors que les poussières radioactives atteignent Tokyo, on ne peut que se féliciter, pour eux qui pouvaient partir, qu'ils aient anticipé le risque pour mettre leur famille à l'abri.

D'autres, malgré tout, ont fait le choix de tenir leur poste, pour que la vie continue au Japon, autant que possible. Dans ce combat réel sur le champ économique, sans lequel il n'y aurait guère de projet politique pérenne, ils ne sont plus seulement engagés dans une relation contractuelle de clients-fournisseurs, mais témoignent de leur qualité de véritables partenaires, qui continuent à apporter leurs compétences et leurs valeurs au-delà des frontières.

Avec ceux qui interviendront physiquement dans le combat contre le feu nucléaire et les conséquences des fléaux qui frappent le Japon depuis la semaine dernière, car il faudra reconstruire et peut-être reconfigurer les infrastructures, ils incarneront véritablement les solidarités que nous serons capables - ou non - de mettre en oeuvre.

Nos responsables politiques et nos chefs d'entreprise prendront donc, au cours des jours prochains, et chacun dans son champ de responsabilité et d'action, des décisions lourdes de conséquences. Et quand ils les exprimeront, qu'ils n'oublient pas que, sur le terrain électoral comme dans les ateliers et les bureaux, et bien entendu à l'international, sur un théatre de conflit ou de catastrophe, un message n'est véritablement crédible que lorsqu'il est porté, physiquement, malgré les distances et le recours possible aux réseaux et médias, et qu'il doit surtout être relayé, après l'annonce, l'émotion et la communication, sur ce même terrain, dans la mise en oeuvre.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

Publié le 22 Février 2011

Dans une "Opinion" publiée dans les Echos le 15 février dernier ("Pourquoi la SNCF regarde passer les trains"), un peu rude mais bien argumentée et illustrée, le sociologue François Dupuy pointe les difficultés de la SNCF à réussir sa "révolution du service". Pour lui, l'entreprise publique est une organisation endogène (tournée vers elle-même), qui ne réussira cette "révolution" qu'en touchant "à l'essentiel : son organisation ou, pour être clair, les modalités de travail de ses agents.

Le statut particulier de l'immense majorité des cheminots (il en est quelques-uns qui y échappent...) et les modalités de l'organisation du travail de beaucoup constituent, nous en sommes également convaincus, des handicaps considérables dans le contexte d'ouverture à la concurrence des transports. Et nous attendons avec curiosité voire gourmandise intellectuelle (mais aussi inquiétude) les solutions réglementaires qui permettraient à de "nouveaux entrants" sur le transport ferroviaire régional, de prendre en charge les personnels SNCF habituellement affectés au TER... Car ce qui existe sur le transport urbain (le transfert de personnels dans le cadre d'un changement d'attributaire d'une Délégation de service public) pourra-t-il être transposé aux "vrais" cheminots ?

On imagine la perplexité de Veolia/Transdev (ou de la DB, ou des CFF...) face à l'enjeu managérial et économique que ce transfert "forcé" de personnels représenterait... et, si ce transfert n'était réalisé, les craintes de la SNCF qui doit déjà, depuis trois ans, trouver des solutions pour "reclasser" les personnels du Fret, par exemple, dont les marchés ont été pris par la concurrence.

Mais il existe, selon nous, d'autres difficultés que le coût du travail cheminot, que doit prendre en compte la "révolution du service", et en particulier les trois suivantes :

 

Le cheminot n'aime pas les sciences molles

La première difficulté tient à la nature profondément "ingénieuriale" de cette entreprise, qui se décline et se renforce en "culture de la sécurité" (heureusement pour nous autres voyageurs).

Faire rouler des trains peut paraître simple, c'est en fait d'une complexité incroyable, lorsqu'on y pense un peu. Cela commence par s'assurer que des roues en métal passant sur des rails permettent de déplacer des tonnes de matériel et de passagers à grande vitesse, avec un bilan énergétique satisfaisant... et cela se poursuit, par exemple, par l'organisation des déplacements dans les "sillons" (l'espace-temps de disponibilité de l'infrastructure) d'un réseau maillé qui voit passer, dans la plupart des cas, des TGV, des Corail, des TER voire des RER, des trains de fret... et donc des convois se déplaçant à des vitesses différentes. A ce titre, la visualisation d'un "graphique de circulations" est une révélation pour le néophyte...

scesmollesLe talent des ingénieurs de la SNCF est donc à la fois réel et nécessaire. Mais cette dominante historique, que l'entreprise tente d'équilibrer depuis plus de dix ans, en recrutant des Sciences Po, des commerciaux - des marchands de yaourt disent certains - a aussi ses inconvénients.

L'ingénieur français n'aime pas les "sciences molles" (cf les propositions de l'Institut Montaigne pour "adapter la formation de nos ingénieurs à la mondialisation") car elles sont par nature incertaines... Et quand l'incertitude touche à la sécurité des personnes, cela conduit à un rejet absolu de cette approche.

Cela est plutôt rassurant quand il s'agit de l'exploitation. Mais lorsqu'une telle "culture" imprègne tous les secteurs de l'entreprise, cela peut conduire à des rigidités voire à des situations de blocage. Lorsqu'on doit travailler sur des flux de personnels, dans un contexte de marchés ouverts, de réforme des régimes de retraites, de transformation des métiers, on doit nécessairement pouvoir travailler dans un contexte d'incertitude - et une information imprécise n'exprime pas nécessairement une volonté de dissimulation. Et lorsqu'on souhaite travailler en véritable partenariat avec des acteurs externes à l'entreprise - collectivités, entreprises, associations... -, on ne peut attendre d'eux qu'ils aient un comportement parfaitement prévisible, "rationnel" (selon les enjeux de l'entreprise) ou obéissant...

Dans ces deux cas comme dans tant d'autres, il faut pouvoir travailler dans i'incertain : identifier les risques, imaginer différents scénarios, adopter une posture souple, ouverte, non dogmatique, pour saisir les opportunités, favoriser les synergies...

Tel est donc, selon nous, une transformation profonde que doit accomplir l'entreprise, avec ses personnels : accepter de travailler dans l'incertitude qui caractérise le monde des "sciences molles" - et le monde des hommes, tout simplement, quand celui des machines essaie de trouver, sans y réussir parfaitement, la perfection des "sciences dures".

 

Comment privilégier la relation client sans avoir la conviction de devoir le gagner

La deuxième difficulté est celle de l'ouverture aux autres, au sens du client - lorsque celui-ci d'ailleurs ne paye que rarement le coût complet de son transport et qu'il se sent, à juste raison, propriétaire de l'entreprise, sans que ceci d'ailleurs ne puisse justifier un comportement arrogant de "possédant" (mais ceci est un sujet plus vaste...).

La SNCF a investi massivement dans l'Université du Service, les personnels sont accompagnés et les outils applicatifs multipliés pour apporter aux voyageurs / clients une plus grande qualité de service.

Au-delà de ces progrès notables - car si l'information reste sans doute encore imparfaite, ceux qui ont le privilège de l'âge ne peuvent que constater que, à bord des trains comme aux guichets, la qualité de contact est incomparable à ce que nous connaissions (et rencontrons encore, par exemple, auprès des "vendeuses" de grands magasins) -, il reste sans doute à accomplir une révolution douloureuse : celle de la conquête du client.

concurrence.jpgL'ouverture à la concurrence n'apparaît en effet aujourd'hui, à beaucoup de personnels de l'entreprise, que comme une perspective lointaine et/ou improbable. Inconscience ou déni ? L'arrivée des concurrents sur le trafic voyageurs est pourtant une réalité, comme elle l'était sur le fret. A l'époque, on entendait au Fret "personne ne viendra, c'est trop compliqué, ce n'est pas rentable"... Aujourd'hui, les réponses sont du même ordre, ou elles relèvent du tabou, de la tétanie.

Pour expliquer les réticences à cette inéluctable évolution, il n'y a pas de coupables, seulement un passé qui imprègne les esprits, et une propension naturelle des hommes à repousser le moment de la rupture, du changement, lorsqu'il oblige à se remettre en question.

France Telecom / Orange l'a vécu, et douloureusement en France. Je me souviens d'une "vendeuse" en boutique, partant se réfugier en pleurs, en hurlant devant les clients ébahis "mais je n'ai jamais demandé à être en contact avec les gens..."

Entre distribuer des billets lorsqu'on est opérateur unique - avec le sourire, c'est mieux - et apporter au client (on ne parle plus d'usager) les arguments et services pour qu'il choisisse votre offre plutôt que celle du concurrent, c'est un changement de monde que des formations aux techniques de ventes ou de relation client ne peuvent totalement accompagner.

Pour réussir cette révolution, il faut aussi prendre conscience que son emploi, sa rémunération, ses conditions de travail, ses perspectives de carrière... sont liés à la qualité du service apporté, et avoir envie - certains disent qu'il faut "avoir faim", d'autres privilégient le sens du service à l'autre - voire du service public -. Et puis aussi (et surtout ?), il faut avoir envie du contact et de l'échange avec l'autre, alors que ce ne sont pas des propensions naturelles à tous.

 

Le statut plutôt que l'engagement

Le troisième enjeu de transformation est lié aux points évoqués par François Dupuy. On ne peut ignorer que certains cheminots "au statut" ne le sont pas par vocation (les mobilités, le service public, l'aménagement du territoire...) mais par attrait de l'emploi garanti (y compris, et sans doute mécaniquement avec le système d'avancement, parmi les cadres et peut-être parfois cadres supérieurs).

Dans un contexte économique tendu, l'emploi public devient pour beaucoup un Graal, et les postes de la SNCF sont perçus comme de tels havres de sécurité et de stabilité. La mobilisation de ces personnels "opportunistes" devient alors un sujet absolu d'incertitude, et pèse alors autant sur les chiffres que sur la capacité des équipes à remplir leurs missions, dans le contexte d'une organisation "idéale", pensée par les têtes bien faites de l'entreprise et leurs super-consultants porteurs des meilleures pratiques de "benchmark" à l'international...

Comme pour les services de l'Etat et les collectivités qui doivent faire face à la réduction des moyens avec des contraintes analogues en termes de gestion des ressources humaines, la SNCF ne pourrait, dans un monde "normal", écarter la piste de la fin de l'emploi "au statut". Mais aujourd'hui en France, on n'imagine pas vraiment cette perspective...

On pourrait considérer qu'il s'agit donc là d'une contrainte plus que d'une révolution nécessaire. Considérons plutôt qu'il s'agit là d'un enjeu managérial majeur, de l'embauche à la gestion de carrière, dans ses bons comme dans ses mauvais moments.

 

Enfin, François Dupuis pointe la posture d'une SNCF "figée sur son produit" (transporter les voyageurs par le rail). Si les autres points de l'article sont justes, celui-ci minore les efforts faits par SNCF - le groupe... Mais il est vrai que cette révolution là reste aussi à parfaire. Et là encore, les transformations organisationnelles ne seront pas suffisantes pour encourager la révolution des esprits, corollaire indispensable à celle des pratiques.

Alors, pour mener cette entreprise dans ces nécessaires transformations, et avec ces contraintes majeures, on comprend pourquoi son Président a été désigné comme "manager de l'année", malgré les réactions de certains syndicats et les perturbations de l'hiver... sachant que son talent sera bien utile pour les années à venir.

Voir les commentaires

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management