Publié le 13 Septembre 2018

La gouvernance à l’ère numérique

Au risque de le répéter, la transformation numérique n’est pas (seulement) technologique, mais avant tout humaine et organisationnelle. Et puisque les grandes organisations aiment parfois à parler de « gouvernance », il peut être intéressant d’évoquer les enjeux actuels de ce terme.

 

Tout d’abord, qu’évoque la « gouvernance » dans un langage simple de chef d’entreprise ? Pour certains, il s’agit de « gouverner », c’est à dire de donner un avis éclairé, de démontrer son intelligence, d’administrer… Mais plus opérationnellement, c’est la capacité à prendre des décisions au regard des éléments du contexte, et à les mettre en œuvre, en contribuant à leur bonne réalisation.

Dès lors, la gouvernance des organisations, et en particulier celle des plus grandes, doit se transformer radicalement pour s’adapter aux changements de notre ère dite « numérique ».

 

Ce qui est nouveau, ce ne sont pas les outils

Car ce qui est nouveau, ce ne sont pas les outils, en dépit des promesses et fantasmes qui font les délices des SSII et des start-uppers accros aux levées de fonds. Enfin, si, mais cela est le cas depuis des décennies au moins, et même si le rythme d’apparition semble s’accélérer.

Ce qui est vraiment nouveau, c’est que les nouveautés peuvent venir de « nulle part », c’est-à-dire de nouveaux entrants, et non des acteurs dominants, que l’on surveille, que l’on connaît. Et que certains de ceux-ci captent de beaucoup de richesses, avec des levées de fonds et des capitalisations boursières sans commune mesure avec celles du « monde ancien ». Et de talents, cruciaux dans l’économie de la connaissance comme dans toutes les autres, plus traditionnelles.

Ce qui est nouveau aussi, ou en tous cas, extrêmement structurant, c’est l’appétence partagée par tous de l’immédiat. Conséquence des nouveaux outils numériques, ou poursuite d’un fantasme ancien, qui a poussé à la création de ceux-ci ? La poule et l’œuf… En tous cas, au quotidien, nous n’acceptons plus d’attendre, quand l’information est au bout des doigts, et l’objet convoité dans la boite aux lettres…

En se combinant, cette pluralité d’intervenants et de parties prenantes, et cette pression de l’immédiat ont conduit à une complexité accrue des systèmes technologiques et humains auxquels doivent faire face les acteurs de la « gouvernance » d’une organisation.

 

Depuis des siècles, l’esprit cartésien (et outre-manche, newtonien) a permis un formidable essor scientifique et technologique, et préside à la plupart des démarches organisationnelles en cherchant à simplifier la compréhension des systèmes et, partant, les systèmes eux-mêmes. On organise la production et sa gouvernance, on conçoit des systèmes parfaits auxquels la nature et les hommes devront se conformer, y compris à l’aide de chausse-pieds.

Cela a toujours fait la vie de la mise en œuvre des transformations, lorsqu’il faut réconcilier l’objectif idéal et la réalisation, passer de l’idée à l’action… Gouvernance, donc, avec comités de pilotage et comités techniques, boucles de décisions, et souvent délais et surcoûts, frustrations de part et d’autre, par exemple entre ceux du siège et ceux qui ne comprennent pas, ou ne veulent pas, ou plus généralement, entre experts qui savent et ceux qui devraient écouter…

 

La pression de l’immédiat

Mais à l’heure du mail, de twitter et de l’IOT, de cette pression et aussi dans certains cas, de ce confort de l’immédiat, alors qu’il semble si facile de « fabriquer » une image, voire un objet 3D en temps réel, chacun d’entre nous trouve, consciemment ou inconsciemment, inconcevable d’attendre une décision ou une modification… Puisque les nouveaux outils sont si puissants, puisque la technologie nous rendrait omniscients, comment expliquer, si ce n’est par la mauvaise volonté des hommes, que l’immédiat ne soit pas à portée ?

Face à cette pression de l’immédiat que chacun d’entre nous s’est parfaitement appropriée au quotidien, le réflexe cartésien classique, dans les organisations, est donc d’accroître la pression sur le « facteur humain » en charge de la « gouvernance », comme sur celui qui doit mettre en œuvre. Au niveau de la « gouvernance », ce sont des demandes accrues de reporting, de consolidation. Toujours plus de pression... Avec pour conséquence des Codir ou Comex épuisés ou désengagés, souvent fascinés par leurs tableaux de données et indisponibles pour ce qui faisait leur plus-value : les échanges et le partage entre fonctions antagonistes mais complémentaires, la réflexion stratégique et le pilotage à moyen terme de l’entreprise. Et s’il n’est plus possible pour eux de prendre le temps de prendre des décisions ? Patience, il y aura sans doute des offres technologiques pour sous-traiter à de l’IA cette contribution pourtant si humaine, à base d’expérience mais aussi d’intuition et d’émotions… On modélisera le réel, en espérant qu’il accepte ce carcan, orgueilleuse domination rêvée de l’intelligence conceptuelle sur la complexité du vivant.

Toujours plus de pression donc, toujours plus de la même chose… Face au mur qui se rapproche, accélérer en espérant le briser.

 

Remettre le facteur humain au cœur de la gouvernance

Et pourtant… Le monde de la « transformation numérique » doit nous conduire, presque paradoxalement, à remettre le facteur humain au cœur des entreprises. Parce qu’il n’est pas un facteur de faiblesse, mais l’élément clé de la résilience des organisations en environnement complexe. Avec les outils dont il a su s’équiper, au fil de siècles de progrès technologique, mais aussi avec toute sa dimension « irrationnelle ». Ses tripes et ses intuitions, qui émergent de ses compétences, de son expérience et de l’extraordinaire complexité humaine.

Les grandes organisations se sont alourdies au fil des décennies pour centraliser les compétences et les moyens. C’était « rationnel », y compris au prix des « coûts de structure ». Car il fallait capter le savoir et les moyens. Aujourd’hui, à l’heure d’une économie de la connaissance dispersée, d’appétences et de pratiques individualisées, des nouvelles dynamiques économiques, quelle est la plus-value des organisations bureaucratiques, à part pour ceux qui y participent ? Max Weber n’avait sans doute pas imaginé la possibilité des entreprises élargies, des éco-systèmes, de l’intelligence distribuée… 

Et alors que ce monde est celui de l’immédiat, la bureaucratie créée son propre rythme. Dans un monde totalitaire ou monopolistique, ce fonctionnement peut perdurer. Mais dans un monde avide de transparence, de démocratie et de concurrence…

 

Une nécessaire humilité

Alors, la gouvernance à l’heure numérique ?

C’est (tout simplement) faire confiance aux femmes et aux hommes qui produisent la richesse des organisations et que l’on recrute pour cela. C’est aussi les animer et les faire grandir pour les aider à faire face à l’inévitable incertitude qui accompagne les systèmes vivants, complexes. C’est renoncer aussi, au moins en partie, au mythe cartésien (Descartes, inutile et incertain, écrivait JF Revel) qui nous laisse entendre, consciemment ou inconsciemment, que la complexité est toujours, in fine, réductible à l’entendement humain. C’est prendre aussi du recul face à ses déclinaisons, comme le Lean Management, en en gardant sans doute le souci d’améliorer l’efficacité des systèmes, mais sans écarter la possibilité de s’être trompés, et aussi d’accepter que les choix d’hier n’étaient pas erronés, mais ne sont plus adaptés à un monde qui change de façon non linéaire – pivoter. Car l’émergence est une caractéristique clé des systèmes complexes. 

C’est donc, aussi, retrouver une nécessaire humilité, qui ne se substitue pas à l’effort ni à l’intelligence, et parfois au génie. Mais qui rend sa dignité au travail humain. Des transformations organisationnelles et humaines, collectives et individuelles donc, avant tout.

 

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Transformation 3.0

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Publié le 3 Mai 2018

Marque employeur : osez la cohérence !

Avec la guerre des talents, toute entreprise souhaite donner la meilleure image possible d’elle-même. Au détriment parfois de la vérité, mais souvent au prix de la cohérence de ses différentes politiques. Au risque de le payer à moyen, si ce n’est à court terme.

 

La marque employeur est valorisée comme un concept marketing, un outil pour mieux vendre son image. On parle bien de communication de marque, d’image de marque, voire même de valeur de marque. Alors, quand on doit se faire choisir dans un contexte concurrentiel, la « marque employeur » doit faire vendre. Et on cherche la meilleure étiquette possible, en particulier à l’heure des réseaux sociaux qui diffusent, amplifient, mais parfois déforment à très grande vitesse. 

Un autre marketing de soi, au niveau organisationnel.

 

Un marketing de soi

 

Le marketing souffre depuis toujours d’un procès d’intention. Elaboré par les premiers de la classe des meilleures écoles de commerce, à l’interne comme dans les agences, ses productions sont parfois perçues comme décalées de la réalité des produits, et ce décalage se mesure pleinement dans les équipes de vente et celles de production.

Alors, bien sûr, la communication de la marque employeur est généralement pilotée par la direction des ressources humaines. C’est un levier pour le recrutement : on le confie donc aux recruteurs.

Qui ne sont pas toujours les meilleurs vendeurs. Et s’appuient donc sur des spécialistes de la marque… retour aux « marketeurs », directement ou indirectement, en fonction des entreprises et de leurs équilibres internes.

 

“Espoused theories” et “theories in use”

 

Mais contrairement à certaines critiques, le décalage perçu n’est pas toujours affaire d’idéalisme synonyme de déconnection entre le « central » et le « terrain », de manque de rigueur professionnelle, voire de malhonnêteté. 

La vie des entreprises est toujours animée par la co-existence de deux mondes, au plan personnel comme au plan collectif. Ce que Chris Argyris appelle les « espoused theories » et les « theories in use » : chacun se perçoit facilement, en toute sincérité, comme correspondant à une image voulue, mais décalée de la réalité.

Et la réduction efficace de cet écart passe toujours par un regard tiers bienveillant, externe ou interne (même si on peut toujours suspecter le collègue d’un autre service d’avoir des objectifs antagonistes). Car une totale prise de recul est a priori impossible (à moins d’entretenir une parfaite schizophrénie).

Pour les équipes en charge de concevoir et promouvoir la marque employeur, l’écueil est le même. Même de bonne foi, par manque de recul ou de confrontation au regard des autres, on a facilement l’envie de mettre en avant les aspects les plus flatteurs, les plus attractifs.

 

Pourtant, les conséquences négatives de l’adoption d’une marque employeur forgée « à l’idéal » peuvent être dangereuses, voire dévastatrices :

  • envers les futurs recrutés, cibles principales de l’action de marketing : une fois dans l’entreprise, ils seront confrontés à une réalité qui ne correspondra pas à ce qu’ils avaient « acheté ». Ils partiront – et on connaît le coût d’un recrutement raté tout comme celui d’un « client mécontent ». Ou ils resteront mais s’aigriront – au prix de leur capacité d’engagement et de contribution voire, éventuellement, d’une dégradation du climat social ;
  • envers les personnels en place, qui pourront vivre la campagne externe comme une action « hors sol » et dépensant de plus des ressources par nature rares, au détriment de celles qu’ils attendent au prix de la cohésion et de l’engagement de tous. Ou qui, plus encore, mesurant le décalage entre cet idéal présenté et leur réalité, en feront un objet de revendication sociale ;
  • envers les porteurs de projets internes dont les contenus seront négligés voire contredits par leurs collègues ;
  • envers les clients enfin, qui ne trouveront pas dans leurs interactions avec les représentants de l’entreprise les promesses faites.

Car, à l’heure du numérique et des réseaux sociaux, les « cibles » ne sont plus segmentées, mais perméables. Dès lors, tous les arguments doivent être cohérents, pour être partagés, le cas échéant, avec tous.

 

Associer experts et utilisateurs

 

La « marque employeur », si ce vocable à la mode devait perdurer, ne peut donc être un objet en soi, mais l’une des multiples expressions d’une identité professionnelle cohérente et vraie, partagée. Une marque, peut-être. Mais bien plus encore, une réalité commune. Et donc portée par tous, depuis la direction générale jusqu’aux équipes les plus opérationnelles. Non pas un objet technique, mais un levier de mobilisation.

Et pour être partagée par le plus grand nombre, en ce cas comme dans tant d’autres, cette identité doit être révélée et formalisée grâce à un processus dialectique associant experts et utilisateurs :

  • les experts du marketing, de la communication, et de tous les projets en cours que l’entreprise veut valoriser, y compris bien sûr dans le domaine des ressources humaines ;
  • les « utilisateurs » de ces ressources humaines à venir que seront, non les services experts mais avant tout leurs collègues, tout comme leurs managers, voire leurs partenaires et leurs clients.

Que souhaiteront-ils, et que pourront-ils porter et promouvoir ensemble ? Chacun dans leur domaine, chacun dans leur contexte :

  • les experts, dans les réseaux d’animation métiers, dans les filières professionnelles, dans le pilotage des projets transverses… ;
  • les utilisateurs, au quotidien, dans les opérations. Et aussi sur les réseaux sociaux, en contexte promotionnel organisé ou spontané ; ou parfois en situation défensive, lorsque l’entreprise est attaquée. 

 

Un facteur de résilience aussi

 

Car face à une « image » fallacieuse que voudrait imposer un acteur hostile et qui pourrait nuire à l’entreprise si elle s’imposait dans l’esprit du plus grand nombre, quelle meilleure réponse que la réalité incarnée et promue par les personnels eux-mêmes ?

Confier la marque employeur à des seuls spécialistes de l’image ou du recrutement, ce n’est pas seulement se priver de moyens d’action efficaces. C’est aussi fragiliser l’entreprise elle-même en la privant d’un facteur clé de résilience face aux « accidents » nés des inévitables aléas de la production, ou d’un environnement toujours incertain.

Alors, entre une marque employeur « idéale » et un terreau fécond d’atouts partagés, que préférez-vous ?

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 2 Février 2018

Transformation digitale : ne vous payez pas de mots

Il y a cinq ans, la transformation digitale était à la mode. Désormais, elle est affirmée comme acquise ou en cours d’acquisition. Et la tendance est à l’intelligence artificielle. Et dans trois ans ? Au-delà de ces modes qui animent les discussions et permettent de vendre des prestations technologiques et parfois intellectuelles, qu’en est-il vraiment de ces « transformations » ?

Un des bénéfices des réseaux sociaux est de pouvoir démultiplier rapidement les idées. Ce qui était autrefois l’objet de publications dans des magazines spécialisés et de débats entre experts se répand rapidement dans les nouveaux médias numériques puis, par rebond, dans les médias classiques numérisés (« presse » écrite et audio-visuelle) et, enfin, grâce à ces vecteurs complémentaires, dans le grand public, professionnel ou non.

Il y a quatre ou cinq ans, la grande mode était à la « transformation digitale ». Les grandes entreprises affirmaient se mettre à la « mode start-up », elles se dotaient progressivement de CDO (chief digital officer), qui devait se positionner entre fonctions de direction générale, de systèmes d’information, de marketing ou de communication au sens plus large. Et parfois, avec un rôle plus innovant de facilitateur à durée de mission limitée.

Cette mode tenait globalement à trois facteurs. 

Tout d’abord, les fantasmes d’ordre financier, avec l’image des « start-ups » globales valorisées dix ou cent fois plus que les entreprises traditionnelles après quelques années seulement d’existence (avec un soigneux oubli, ou déni, des milliers de tentatives avortées et des pertes des investissements liés). 

Ensuite, les fantasmes d’ordre égotique, avec l’image d’une création d’entreprise purement « intellectuelle » et donc d’un porteur nécessairement « intelligent », répondant à la désaffection de notre temps pour les métiers « sales » de la production manufacturière pourtant nécessaire et souvent en salle blanche. 

Et enfin, les opportunités perçues par les fournisseurs de systèmes d’information et de prestations liées qui, confrontés aux échecs répétés d’une mythique intégration parfaite de toutes les informations (avec les « ERP »), ont vu dans cette « transformation digitale », un nouveau marché porteur. Ces opportunités étaient d’ailleurs aussi des occasions, pour les entreprises démarchées, de démontrer aux actionnaires, aux personnels et aux clients, avec les niveaux d’investissements liés, leur « modernité » - le choix du terme « digital », plutôt que « numérique », concourant également à cet objectif par recours à un anglicisme nécessairement « moderne ».

Cette modernité affirmée par cette « transformation digitale » visait à répondre aux menaces de « disruption » portées par de nouveaux entrants, « pure players » du monde numérique, start-ups à croissance hyper-rapide. Des menaces directes sur certains services pour lesquels ces derniers étaient plus rapides, plus experts, moins chers. Des menaces indirectes, en captant les investissements et les talents nécessaires à toute création de valeur.

Mais ce qui permettait aux nouveaux entrants de réussir la « disruption » n’était pas la modernité des outils – puisque la puissance économique des acteurs existants aurait permis de gagner la bataille des investissements. Elle était, et est toujours, de nature organisationnelle et humaine, avec des qualités et des pratiques recherchées, expérimentées et parfois mises en œuvre par des entreprises classiques, mais que les nouveaux outils numériques et les évolutions sociales (le lien entre les deux étant semblable à celui qui existe entre l’œuf et la poule) permettent désormais.

Ces évolutions sont, globalement, ce qui caractérise l’abandon du taylorisme et de ses évolutions, qui considèrent toujours l’homme comme une machine ayant vocation à être optimisée (mais nécessairement moins performante et donc, à terme, remplaçable) : mécanisation, organisation scientifique du travail, déploiement d’une solution idéalement conçue, lean management…

Les limites de cette utopie scientiste et rationaliste sont notamment démontrées depuis le début de l’ère industrielle par les accidents et parfois les catastrophes, y compris dans le monde numérique, mais le fantasme de l’hyperfiabilité ou du risque zéro a toujours ses croyants, bien qu’il soit aujourd’hui heureusement remis en cause par les approches relatives à la résilience.

Les pratiques des nouveaux entrants du monde numérique ont été décrites par de multiples auteurs, au cours des dernières années, avec plus ou moins de talent et de succès. Mais elles répondent aussi, par-delà les effets de mode, à des noms assez classiques : l’entreprise étendue (le réseau de contributeurs plutôt que le monopole, les API plutôt que les ERP, la plateforme plutôt que l’intégration verticale…), l’orientation client et les pratiques collaboratives, le mode projet (le design thinking, par exemple, en étant l’assemblage), ou encore l’expérimentation associée à la réactivité (l’agilité d’aujourd’hui, mais aussi le « pivot » ou la pratique du « minimum viable product »).

Le point commun du succès de ces nouvelles pratiques est la prise en compte des deux volets des théories de l’information – puisque le numérique, c’est avant tout de l’information : un volet technologique, ingénierial, et un volet humain, avec une dimension organisationnelle et fonctionnelle qui permet de mieux animer les talents.

La « disruption » culturelle du passage à ces deux dimensions de la transformation digitale, si elle est voulue, est un choc extrêmement brutal pour toute organisation. Car elle implique à la fois des changements profonds et complexes, technologiques et humains. La question est d’ailleurs de savoir si, honnêtement, on souhaite et on peut passer pas d’une organisation rationalisée, issue de l’ère de la production manufacturière, à un mode « start-up ». Ce qui veut dire se séparer des talents anciens pour en recruter d’autres, transformer profondément ses organisations, ses vocations, ses cultures, bref, d’entrer dans une « vallée des larmes » longue et coûteuse, alors qu’il s’agit d’aller vite face à une concurrence agile et désormais puissante, par sa multiplicité, ses moyens et ses compétences.

Par honnêteté intellectuelle, ou par perception de la terreur et donc des dysfonctionnements inévitables que ces changements massifs, même seulement annoncés, entrainent chez la plupart des parties prenantes (dirigeants, personnels, investisseurs, institutionnels, régulateurs…), de grandes entreprises ont assumé d’abandonner le slogan de la « transformation digitale » et d’adopter des termes décrivant mieux leurs transformations : accélération technologique, nouvelles pratiques managériales, animation d’un éco-système partenarial…

Ces enjeux, a priori plus limités, sont en eux-mêmes de vrais défis de transformation. Plus raisonnables, ils ne garantissent pas de ne pas être concurrencés (voire « disruptés ») par de nouveaux entrants. Mais ils demandent malgré tout de vrais efforts. Mettre en place des pratiques de management transversal, ou de leadership post-héroïque, demande un vrai courage et souvent, une remise en cause profonde de tous. Travailler avec des partenaires externes plus novateurs, plus efficaces, et résister à la tentation de les absorber et donc de les tuer, demande de l’humilité et une lutte permanente contre les réflexes bureaucratiques. Accepter une conception incomplète de ses produits et services, mais rapidement perfectible grâce aux contributions de la multitude (la " crowd-culture ") remet en cause les dogmes de l'ingénierie infaillible.

Mais ces transformations assumées, au-delà des mots qui flattent l’ego, garantissent une certaine stabilité propice à la continuation d’activité, avec des améliorations significatives si les changements sont véritablement mis en œuvre.

Alors, avant de vous engager dans une « transformation digitale », demandez-vous ce que vous voulez vraiment.

Publié initialement dans le Cercle - les Echos 01/02/2018

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Transformation 3.0, #Management

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Publié le 18 Juillet 2017

Will our armies get lucky ?

Ce défilé militaire 2017 et la tension exprimée entre les chefs politique et militaire des armées auront été une intéressante illustration des transformations de notre société, et de ses fractures. Entre modernité, société du spectacle et attachement aux figures traditionnelles.

 

 

La condamnation du Président de la République de l’expression du chef d’état-major des armées a révélé deux camps au sein de la communauté de défense – ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à ces enjeux si particuliers.

Il y a ceux qui s’attachent au devoir de réserve, réglementairement ou moralement. Pour eux, le chef d’état-major des armées n’aurait pas dû, y compris face à un auditoire restreint mais auquel les médias ont donné une résonance publique, exprimer ses désaccords avec l’arbitrage donné par le politique. On peut agréger à ce camp des partisans politiques du gouvernement actuel, pour qui la contestation, ou même le doute, ne sont pas les bienvenus.

Et il y a ceux pour qui l’expression du chef d’état-major des armées était légitime, moralement, et réglementairement, au regard du lieu de celle-ci. Ajoutons-y celles et ceux qui considèrent que le budget des armées doit être sanctuarisé, voire augmenté, pour faire face aux menaces contre notre pays et ses intérêts, et aux engagements de nos forces. Et que l'urgence de la situation justifiait l'expression.

Sur les réseaux sociaux, sans doute dans les mess, et à venir après l’été dans les cocktails associatifs, le débat fait et fera rage. Entre « anciens » et « modernes », d’une certaine façon.

 

Les armées : entre particularisme et normalisation ?

 

Car une des questions importantes pour l’avenir de nos armées, technologiques certes, mais avant tout forces humaines, est celle de leur particularité, ou de leur normalisation. Alors que les outils et habitudes de communication font que la perméabilité est de plus en plus grande entre des organisations habituellement fermées – depuis l’entreprise jusqu’à la Grande Muette.

 

Cette question n’est pas subsidiaire car elle touche tant à la capacité des armées à recruter des talents et des volontés, qu’à des conséquences très opérationnelles, dans les opérations classiques comme dans la guerre de l’information.

Les armées doivent-elles préserver leur particularité d’obéissance aveugle à l’autorité verticale, y compris lorsque les conséquences sont dramatiques, individuellement et collectivement ? Ou doivent-elles intégrer les modalités de la communication libre, horizontale, du leadership partagé et de l’équilibre des pouvoirs ?

Le Jupiter/Zeus méditerranéen qui domine les autres dieux ? Ou l’Odin nordique et anglo-saxon, qui doit concilier les forces antagonistes ? L’organisation verticale, qui incarne la fonction, ou l’organisation matricielle, qui fournit les moyens à la mission ?

 

Sur le terrain militaire, avec le développement des technologies de l’information qui a donné lieu à la « révolution des affaires militaires » il y a plus de vingt ans, la question de l’autonomie du combattant, et celle de l’autorité du chef, se posent avec acuité. Le chef de terrain doit-il conserver ses capacités d’initiative, ou faut-il dédier au chef suprême, omniscient devant son écran, le choix tactique ?

 

La French Touch, dans les armées aussi

 

Alors, la séquence finale du défilé militaire de ce 14 juillet a été ponctuée par un ballet effectué par les musiciens des armées, pour jouer et illustrer le tube des Daft Punk.

Entre anciens et modernes, certains ne manqueront pas de se réjouir de cette image de légèreté et d’adaptabilité, qui a réjoui le chef de l’Etat. Et peut-être en était-ce l’intention, de proximité avec la société civile, et la « French Touch » qui associe créativité et succès économique.

Une « French Touch » qui, dans les affaires militaires, se caractérise plus, cependant, par le pragmatisme et la capacité à travailler en proximité avec les populations que par celle à s’affranchir de la rigueur traditionnelle.

D’autres s’émouvront, ou se scandaliseront, de cette prestation qui, selon eux, peut porter atteinte à l’image, à la rigueur, à la mémoire. Et au-delà des sentiments personnels à la vue de cette prestation, on trouvera aussi dans les jugements et postures à venir les choix partisans.

Alors, faut-il demeurer sur le pré carré traditionnel des armées, dans ses missions comme dans ses expressions ? Ou faut-il en sortir, pour illustrer par la proximité le lien armées-nation ou même normaliser la nature de l’engagement militaire, pour faciliter les recrutements ?

 

Tout comme la question du devoir de réserve, celle de l’image des armées est un débat de fond, sans fin, avec ses fractures, liées aux convictions profondes, et aux choix complexes de chacun.

Mais ce qui est particulièrement intéressant, en ce 14 juillet, est la juxtaposition des deux.

 

En assénant un « je suis le Chef » jupitérien à ses chefs militaires, et au grand public par l’intermédiaire des médias, le Président de la République revendique et s’inscrit dans la tradition. Celle de la « Grande Muette », du fonctionnaire obéissant et du chef militaire désigné en conseil des ministres.

Alors pourquoi ce choix d’une séquence musicale et visuelle en rupture avec les traditions ?

Certains pourront y voir la trace d’une schizophrénie. D’autres la manifestation d’un ego. D’autres encore le signe d’une pensée complexe.

 

La transformation des armées : un facteur humain

 

Une première hypothèse est celle d’une disjonction assumée entre la société du spectacle et le monde des décisions. Un temps pour l’amusement et un temps pour le travail – même si la continuité médiatique n’aide pas à la séparation des séquences.

Une autre est celle d’une société qui peine à se transformer, et qui ne donne pas toute sa place aux facteurs humains, et aux pratiques qui donnent aux organisations complexes l’agilité et la résilience nécessaires.

Après tout, le service de l’Etat est encore, à ce jour, celui d’une structure monolithique, alors que les individus, les entreprises et les nations doivent vivre et survivre dans un monde multipolaire.

Et si l’avenir de nos armées en a été ces jours-ci le point d’application, souhaitons que ces transformations en cours, et les réactions qu’elles suscitent, n’en brisent pas durablement la cohésion et l’engagement.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Transformation 3.0, #Management, #CIMIC

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Publié le 13 Octobre 2016

Après Samsung : êtes-vous "connectés" à vos clients ?

L’accident industriel et financier que connaît Samsung avec son Galaxy Note 7 est une crise telle qu’en rencontrent beaucoup d’entreprises. Au-delà des impacts immédiats sur le cours de bourse et, demain, sur la « réputation » de la marque, cet événement peut aussi permettre d’évaluer la qualité de la relation d’une entreprise avec ses « territoires ».

 

Les entreprises négligent trop souvent, en matière de relation client, l’affectif. Ou bien plutôt, elles réduisent cette relation au volet affectif de l’acte de consommation. Elles convoquent les études sociologiques, et maintenant le neuromarketing, elles élaborent des packagings, des campagnes de communication, pour stimuler les perceptions, les sens, voire les « émotions » afin de susciter, in fine, un acte d’achat.

Avec les technologies numériques, cette « relation » est projetée dans le monde virtuel : on anime des « communautés », on entretient l’apparence d’une interaction, que l’on confie déjà à des programmes d’intelligence artificielle, qui imitent – et tentent d’influencer - les comportements en ligne.

Mais le consommateur est, par nature, volage et infidèle. Car aucun marché n’est vraiment monopolistique, et la concurrence – et en particulier celle qui n’existe pas encore -  saura toujours trouver le moyen de gagner des parts de marché. Quant aux « communautés » virtuelles, elles n’ont de qualité que celle que l’on veut bien leur imaginer… jusqu’à une stimulation concurrente en fait. Car, en dépit des fantasmes projetés sur le big data et d’une hypothétique relation permanente, grâce aux objets connectés, aucune marque n’est propriétaire de ses clients.

Et puis surtout, lorsque survient une crise due, selon le style et les tropismes de chacun, au « destin », au « manque de bol », ou tout simplement, à l’accident ou l’imprévu, cette relation est mise à l’épreuve des émotions, les vraies. Celles qui provoquent des ruptures.

Aujourd’hui, avec Samsung, il n’y a pas de morts. Pas plus qu’il n’y en a eu avec les crises rencontrées par Deutsche Bank ou Volkswagen (en tous cas, pas directement). Ce n’est malheureusement pas le cas avec des accidents de transports aériens ou terrestres. Et les conséquences sont moins visibles que celles des événements catastrophiques de l’industrie pétrolière (Total, BP…).

 

Les accidents révèlent la qualité d’une relation

Pourtant, au-delà des victimes des accidents dont le traitement relève souvent seulement de la compensation financière, et trop rarement de la vraie compassion, tous ces événements révèlent la qualité de la relation d’une entreprise avec ses « territoires » : tant physiques que numériques.

Tout événement grave, et donc générateur d’émotions vraies, sera en effet perçu au regard d’une relation existante. La première réaction du spectateur – et encore moins de la « partie prenante » est rarement objective : elle se construit sur un crédit ou un procès d’intention. On « comprend », on peut même « excuser » l’événement tragique subi par une entreprise que l’on apprécie, peut-être même y compatir - personne ne peut prévoir l’imprévisible. Mais, en raison du « biais de confirmation », on est impitoyable avec une entreprise à laquelle on prête des intentions ou des pratiques « coupables » (chacun pouvant y mettre le sens qu’il souhaite).

 

Beaucoup d’entreprises, dans leur anticipation des crises, prennent donc en compte leur « réputation ». Et elles flattent, souvent, des « relais d’opinion » afin que, le moment venu, elles puissent compter sur eux. Mais soutiendrez-vous une entreprise en difficulté parce qu’elle vous a offert un cocktail, ou même des échantillons de ses produits ? En matière de relation, il n’y a aucune de « reconnaissance du ventre ».

Une deuxième étape, dans la construction d’une relation, consiste à mieux se connaître. A l’heure numérique, les entreprises se flattent de mieux connaître leurs clients et, avec les algorithmes du big data, affirment pouvoir, demain, mieux les connaître qu’eux-mêmes… Mais pour se faire connaître, c’est l’affaire de la « communication ».

Pourtant lors de l’accident, par nature imprévu, les perceptions se réalignent avec les réalités. Et tout décalage se traduit en déception et en défiance. Car le client ne se blâme jamais lui-même d’une confiance mal investie, il en fait porter la faute à l’autre.

Une relation ne se construit pas seulement de l’information que chacun fournit à l’autre, volontairement ou non. Elle se nourrit de ce que chacun y apporte, et de ce que les deux parties prenantes partagent, au-delà de la relation commerciale et contractuelle de client-fournisseur.

 

Construire mieux qu’une relation : une connexion

Une relation peut être à sens unique. Une connexion relie les deux parties.

Toute entreprise a ses territoires, même pour les acteurs du numérique : un lieu où se noue le contact. Et ces territoires sont, potentiellement, des lieux où une action commune peut prendre forme, pour construire un présent et un futur communs. Car la plus solide des connexions est celle de la construction partagée : la co-construction, pour reprendre le terme en vogue.

Lors d’une crise, ces acteurs ne sont alors pas seulement des spectateurs, ils sont des parties prenantes, et s’engagent comme telles. Relais d’information, pédagogues, défenseurs et promoteurs.

Mais la construction de cette connexion nécessite de vrais choix stratégiques et opérationnels. Car construire avec, c’est ouvrir ses portes avec sincérité, et inclure l’autre. Ne pas le considérer seulement comme consommateur. Ni même comme « consomm-acteur », où le client génère lui-même une partie du service qu’il paie. C’est le considérer comme un partenaire.

A l’heure du numérique, alors que la proximité peut s’affranchir des contraintes physiques, les entreprises connectées à leurs « territoires » ont la chance de pouvoir renouveler les dynamiques des « entreprises élargies » : des réseaux de partenaires fiables et fidèles, avec leurs compétences et leurs capacités de démultiplication, mobilisables en fonction des besoins, des projets.

Et au premier rang de ces partenaires se trouvent les clients. Ces partenaires-clients-fournisseurs constituent le plus proche écosystème de l’entreprise. Sa première ligne d’action et, le cas échéant, de défense. Et son premier vivier de recrutement, à l’heure de la « guerre des talents ».

Alors cela nécessite bien sûr de l’agilité – pas la « méthode », mais bien la qualité -, pour s’adapter à des acteurs d’autres cultures organisationnelles et les intégrer pleinement, et de l’humilité – pour reconnaître et bénéficier de leurs compétences -. Ce sont peut-être là les vrais changements stratégiques que l’entreprise connectée doit opérer.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Territoires

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Publié le 13 Juillet 2015

En s’attaquant au marché parisien des transports avec leur service UberPop, les dirigeants d’Uber ont commis, en plus des infractions pénales qui pourront leur être reprochées, deux erreurs : l’une est tactique, sinon stratégique ; l’autre est méthodologique. A croire que les génies du numérique oublient les bases…

UberPop : une bonne idée au mauvais endroit ?

UberPop : peut-être illégal, et en tous cas une erreur

Le service Uber Pop part a priori d’une bonne idée : compléter l’offre existante (taxis et VTC) par un service économique que vous et moi pourrions apporter ou dont nous pourrions bénéficier (sous réserve du respect des lois bien sûr). Avec cette offre, tout conducteur pourrait, moyennant une contribution financière, conduire n’importe quel passager à sa destination. Ce service a pu d’ailleurs être présenté comme un « co-voiturage » occasionnel et de courte distance quand Blablacar, par exemple, propose des trajets de moyenne et longue distance, et ID-Vroom se positionne sur le domicile-travail, avec un usage régulier.

Cette nouvelle offre a provoqué d’inadmissibles violences à Paris, et des réactions politiques fortes, indépendamment des poursuites pénales à l’encontre des dirigeants de l’entreprise, qui démontreront ou non l’impéritie des conseils juridiques sollicités, on l’imagine, lorsqu’il s’agit d’une offre aussi « audacieuse ».

Au crédit de ceux-ci, écartons tout de suite les accusations de fraude fiscale. Avec une totale centralisation des paiements sur les serveurs de l’entreprise, la traçabilité des transactions est sans commune mesure avec celle des espèces exigées par des « professionnels » qui refusent tout autre mode de paiement.

Mais on peut faire à UberPop d’autres reproches.

 

La cupidité ne paie pas

L’implantation d’Uber « classique » avait été difficile à Paris et dans les grandes villes. Et les plaies étaient à peine refermées que les dirigeants de l’entreprise ont apparemment voulu aller plus loin dans leur conquête du marché de la capitale. Difficile de comprendre leur « tactique », à moins qu’il ne s’agisse même de leur « stratégie ».

En termes de « stratégie des alliés », Uber a commencé par s’aliéner ses propres relais d’opinion et d’action: les chauffeurs VTC qui avaient réussi à s’implanter et qui, sans doute, ont considéré cette nouvelle offre comme une véritable trahison. Car s’ils n’avaient pas à s’acquitter d’une licence de taxi, ils devaient notamment obtenir une autorisation de transport de personnes et acquérir ou louer un véhicule récent. Ce qui n’est pas le cas des « chauffeurs » UberPop .

Et puis surtout, en s’attaquant au marché parisien – probablement choisi comme tel comme potentiellement le plus rentable -, les dirigeants d’Uber ont négligé la force des symboles et des acteurs auxquels ils se confrontaient.

 

Unis face à la transformation digitale

La France est à la fois étatisée et centralisée. Ce qui signifie que l’immense majorité de ses décideurs publics, ou assimilés, est terriblement et parfois exclusivement sensible à des pratiques privilégiées, quand elles ne sont pas anachroniques, de déplacements en hyper-centre, avec des recours à des prestations de taxis, quand la densité de transports publics existants intra-muros fait envie à beaucoup de nos voisins.

Et puis surtout, ces « décideurs publics » sont intimement proches des détenteurs de ces « privilèges » ou, pour être moins polémique, de ces « quasi-monopoles ».

Ecartons vite les suspicions liées à la proximité historique voire personnelle entre les dirigeants des sociétés de taxis et leurs « clients » publics ou assimilés. La proximité qui les lie est, plus que tout, ontologique.

En effet, la transformation digitale fragilise directement tous ceux qui tirent leur « pouvoir » de ressources redistribuées et de la maîtrise d’une information centralisée.

Avec la mondialisation des échanges et les difficultés économiques, les services de l’Etat centralisé et des collectivités, et leurs dirigeants élus, voient disparaitre jour après jour leur première raison d’être. Sans aller jusqu’aux dérives clientélistes, les élus dotés des meilleurs sentiments se voient de plus en plus opposer leur « inutilité » quand, après les promesses de jours meilleurs, vient le jour de payer et que les caisses sont vides, voire pleines de dettes…

Mais surtout, avec la désintermédiation offerte par les outils et pratiques du monde digitalisé, beaucoup de prestations publiques démontrent soit leur inutilité soit leur incompétence dans la capacité à apporter une plus-value dans la gestion des informations utiles au public. Qui se souviendra des millions investis par l’Etat français pour tenter de concurrencer Google Maps ? Et au quotidien, de nombreux services peinent à justifier leur existence alors qu’une part croissante de nos concitoyens peut, avec les outils numériques, obtenir, y compris en dehors des serveurs publics, les informations nécessaires et réaliser soi-même les démarches utiles, plus vite, gratuitement et à toute heure, quand la disponibilité des agents publics est limitée par les statuts et les moyens disponibles.

Dès lors, face à la menace de la « disruption numérique », les partisans et bénéficiaires de l’ordre bureaucratique s’allient dans une réaction naturellement violente puisqu’il s’agit, tout bonnement, de leur survie. Aux taxis les actions d’influence et les battes de base-ball, aux politiques les déclarations moralisatrices (payer pour un service, c’est mal…) et les actions légales. Au mieux, on peut compatir…

 

Les territoires ruraux et « rurbains », oubliés par tous

A contrario d’une implantation parisienne, UberPop aurait pu rendre un vrai service à des territoires oubliés tant des dirigeants de la société californienne et de leurs relais français sans doute très urbains, que des décideurs publics parisiens.

En effet, nombre de nos concitoyens vivent loin des grandes villes : soit historiquement, soit parce que la pression des prix immobiliers les pousse, après les « première » et « deuxième » couronnes, là où il n’existe que peu de services de transports publics. Et parce que leurs ressources sont faibles, un véhicule un luxe souvent inatteignable, alors qu’il est indissociable de l’emploi et de la socialisation.

Pour ces populations, les taxis ne sont pas une option possible. Et si certaines collectivités proposent de très vertueux services de « transports à la demande » en complément des transports publics réguliers, la bonne gestion des ressources publiques n’en permet pas la généralisation.

Dans ces territoires, une solution de type UberPop serait à la fois utile et vertueuse. Des mécanismes inter-individuels d’entraide existent, fort heureusement. Mais ils ne sont assurément pas suffisants, quand la vie moderne accroît la pression sur la disponibilité de chacun ou, tout simplement, parce que la pudeur existe encore, empêchant certains de solliciter leur environnement au-delà de ce qui leur paraît possible.

Dans ces territoires plus qu’à Paris, ces solutions de mise en relation faciliteraient la mobilité à bas coût de personnes démunies de moyens de transports, ou qui souhaitent tout simplement être économes écologiquement.

Et elles permettraient à d’autres d’équilibrer les frais d’entretien de leur véhicule, au gré de leur disponibilité et parce que pour eux, chaque euro compte, et sans concurrencer des taxis qui ne se positionnent pas sur ces marchés, à moins d’être subventionnés ou payés par la collectivité, par exemple pour des transports « para-médicalisés ».

Par-delà les services rendus aux habitants, les difficultés d’accessibilité facile et à coût raisonnable empêchent aussi le développement économique et social, quand ce n’est pas la pérennité, de nombreux territoires.

Avez-vous souvent envisagé un déplacement en zone non urbaine, sans utiliser votre voiture, après un voyage en train ou en avion, par exemple ? Pour ces déplacements « de bout de chaîne », le coût d’un taxi professionnel, ou la location classique d’un véhicule, peuvent rapidement égaler celui du déplacement à longue distance. Dissuasif donc. Des  systèmes de location alternative, auprès de particuliers, apparaissent. Mais là encore, pour des transports ponctuels, un système de type UberPop pourrait permettre le maintien d’activités en zone rurale et « rurbaine », et réduire l’usage solitaire de véhicules motorisés, tout en contribuant, là encore, à accroître, même modestement, les revenus de leurs habitants.

Certains suggéreront que ce doivent être les collectivités qui se chargent de ces solutions, parce que le secteur public est toujours vertueux quand les initiatives privées sont mercantiles et donc condamnables ? Au-delà du débat idéologiquement contestable, pourquoi tenter de réinventer des solutions techniquement à la pointe et amorties par des marchés plus porteurs ?

Alors bien sûr, les volumes d’affaire ne seraient sans doute pas faramineux. Mais, lorsque l’application est développée, le coût de maintenance et d’évolution est marginal et, surtout, mutualisé.

 

Le digital, c’est la multitude et l’émergence

La transformation digitale, c’est avant tout la multitude et l’émergence.

Et c’est là la deuxième erreur des dirigeants d’Uber. En choisissant le « gros marché » des transports parisiens pour lancer UberPop, ils ont péché par ignorance et/ou cupidité, oubliant ces fondamentaux méthodologiques.

Le potentiel du « big data », ce n’est pas l’intérêt de vos données individuelles, mais l’agrégation de toutes vos données avec celles des millions d’autres utilisateurs. La rentabilité du digital, ce n’est pas de s’attaquer frontalement à des marchés mûrs. C’est de multiplier de façon exponentielle des services peu rentables unitairement mais aussi peu coûteux, pour faire que, démultipliés, les centimes deviennent des millions. Et que la multitude comble ou submerge, en s’adaptant, les inévitables lacunes des structures monolithiques, peu réactives et encore moins créatives.

 

Uber, pourtant pionnier de la disruption digitale, a apparemment fini par adopter les tactiques frontales des dinosaures monopolistiques.

Espérons, pour la pérennité voire la revitalisation de notre tissu territorial, que des acteurs fidèles aux principes et atouts de la transformation digitale illustreront le second principe de ce nouveau monde : l’émergence rendue possible de nouveaux services, au plus près des besoins de chacun.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change, #Transformation 3.0

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Publié le 11 Juin 2015

La transformation digitale : entre fantasmes et changement de paradigmes

Le digital, c’est (seulement) de l’information, mais immédiatement et partout, et c’est là sa nouveauté. Loin des fantasmes que le secteur génère, plus qu’une accélération, c’est potentiellement un changement de paradigme. Et au moins un changement de pratiques, dans la répartition des rôles.

Le digital fascine, au point de devenir un fantasme pour certains, et ceci au moins de deux façons.

Le fantasme de l’enrichissement facile

Le secteur numérique et ses « start up », nécessairement « digitales », sont devenus les nouveaux fantasmes de l’enrichissement « facile », avec les capitalisations considérables de quelques entreprises. Aux « génies de la finance » ont succédé les « génies du numérique », aux golden boys les hippies-geeks : à chaque époque ses figures de proue... Et dans les grandes entreprises, l’autorité du CFO, qui tenait les cordons de la bourse, est concurrencée par l’arrivée du CDO, qui connaît la carte de l’île au trésor.

Un des problèmes de fond est que le modèle de la start-up numérique est devenu, pour beaucoup, le synonyme d’un enrichissement rapide. L’objectif, assumé ou non, semble moins de créer de la valeur, de l’emploi, que de lancer un produit qui, mature ou pas, mais toujours alléchant, fera l’objet d’une acquisition sonnante et trébuchante, souvent par un mastodonte soucieux d’absorber les concurrents émergents. A moins que ce ne soit par une grande entreprise « classique » convaincue que l’absorption de cette « pilule magique » lui en confèrera les qualités. Fantasme…

Et le fantasme du travail immatériel

La fin du XXe siècle a vu l’accélération de l’avènement, au moins dans les esprits, du secteur tertiaire. Ecoles de commerce ou grandes administrations (et parfois les deux…) étaient alors les points de mire des bons élèves. Quant aux ingénieurs, ils visaient les fonctions financières, elles aussi synonyme de travail immatériel. Aujourd’hui, le numérique permet la poursuite de cette quête fantasmatique du travail « intelligent » puisque dématérialisé : avatar toujours prégnant d’une hiérarchie perçue entre fonctions « intellectuelles » et fonctions « matérielles », utopie cartésienne d’une orgueilleuse maîtrise de l’esprit sur le monde physique. « Descartes, inutile et incertain »…

Le principal problème de ce fantasme, outre qu’il nie totalement la diversité des compétences humaines, est qu’il néglige les dimensions matérielles de la création de richesses, et souvent les méprise. Mais sans route, sans voiture, sans train, à quoi serviront les « applis » qui facilitent les déplacements ? On ne voyage pas sur un smartphone ! Et comment échangerons-nous des informations, instantanément, lorsque nous n’aurons ni les compétences ni les moyens de construire machines et téléphones, et tous les « objets connectés » ? Et comment fabriquer les composants électroniques, supports bien physiques de ces échanges immatériels, lorsque nous n’aurons plus accès aux terres rares ? Les fantasmes ne sont pas la « vraie vie ».

Du « green washing » au « digital painting » ?

En jouant sur ce double fantasme, beaucoup d’organisations habillent leurs politiques classiques, relookent leurs produits.

Les années 2000 ont été celles du « green-washing », la décennie suivante sera peut-être, seulement et pour certains, celle du « digital-painting ». Avec, au mieux, une « accélération digitale » : plus de la même chose mais plus rapidement, plus aisément. C’est déjà bien, cela dit.

Dans le marketing par exemple, la diffusion massive et rapide de l’information permet d’aller au plus près du consommateur, avec des messages jusque dans son téléphone ou sur sa montre, et de connaître plus finement ses habitudes grâce aux informations qu’il cède, consciemment ou non. En combinant ces flux montants et descendants, cela permet de personnaliser le message commercial, pour plus d’efficacité – « parlez moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse »…

Et dans l’industrie, le big data et les objets connectés permettent d’entrer au plus profond du processus de fabrication, parfois au cœur de la matière, en permettant un suivi voire un pilotage en temps réel – que ce soit pour contrôler la qualité ou même, avec la fabrication 3D, organiser l’assemblage des particules, déjà au niveau moléculaire.

La valeur ajoutée de l’accélération numérique est incontestable. Mais cela ne fait que reposer la question millénaire de la valeur de l’information, et de sa traduction dans un monde jusqu’à présent hiérarchisé, centralisé, monopolistique. « L’information, c’est le pouvoir ». Et donc ?

Aujourd’hui, les organisations formelles, publiques et privées, sont fondamentalement remises en cause par la numérisation de l’information, par la diffusion facile de celle-ci, à la portée de chacun, dès lors qu’il bénéficie des outils (téléphones, ordinateurs…) et des infrastructures nécessaires (câbles, relais de diffusion, satellites…).

Pour les entreprises, le défi du lâcher prise

Pour les entreprises « traditionnelles », la réflexion à mener est similaire.

La transformation digitale consiste à s’interroger sur la place de l’information dans leur production de valeur, et sur leur capacité à la valoriser elles-mêmes, à la sous-traiter ou, nouvelle piste intéressante, la co-traiter.

Si l’information n’est qu’un moyen au service de leur production, une « accélération » suffit : on continuera à produire toujours la même chose, mais avec d’autres outils, plus modernes. Mais si l’information est au cœur de la production de valeur, ou si elle représente un « levier de croissance » significatif, une simple accélération ne suffira pas à faire face à la vitesse des pure-players et à leur capacité à mobiliser des moyens, seuls ou avec des challengers.

Cette capacité à réussir la transformation digitale dépend de trois facteurs liés entre eux.

Un volet organisationnel tout d’abord. En fonction de leur taille et de leur culture, les entreprises sont régies par des fonctionnements plus ou moins bureaucratiques. Que ce soit pour maîtriser les risques liés à des opérations d’envergure ou, plus prosaïquement, pour justifier l’existence de strates organisationnelles, toutes les organisations mettent en place des mécanismes de « contrôle ».

Avec la transformation digitale – y compris dans son esquisse de seule « accélération » -, les mécanismes de contrôle sont contre-productifs : perte de temps et d’agilité, déresponsabilisation d’acteurs hétérodoxes mais moteurs, incapacité à innover en sortant du cadre… Cet obstacle organisationnel n’est pas à négliger. Le digital, c’est de l’information ; mais si l’information ne peut circuler facilement dans l’organisation pour permettre la réalisation des projets, c’est peine perdue. Car quelque soit la volonté d’un dirigeant d’entreprise à engager une véritable « transformation », l’infrastructure organisationnelle se charge souvent d’en faire échouer la mise en œuvre.

Le volet humain est la deuxième condition de succès. Les métiers du digital nécessitent de nouvelles compétences, qu’il ne suffit pas sous-traiter et de « piloter ». Ces compétences sont à la fois des savoir-faire et des savoir-être : compétences techniques mais également relationnelles.

La transformation digitale est aussi celle des comportements, des pratiques, des modes relationnels et donc de management. Et si les entreprises se rassurent en affirmant la volatilité de générations X, Y ou Z, elles ne font ainsi que nier leur incapacité à se transformer. Les « digital natives » ne sont pas fondamentalement instables ou désengagés. Par contre, quand ils n’ont pas choisi la fonction publique française pour la stabilité de l’emploi, ils fuient les entreprises qui demeurent enkystée dans des fonctionnements « du siècle dernier » - ceux de leurs dirigeants bien souvent.

Le digital, c’est de l’information. La transformation digitale, c’est donc aussi la capacité à créer, transmettre, partager et utiliser l’information. L’information ne doit plus être considérée comme un attribut du pouvoir, mais comme un ingrédient clé de la création de valeur. Et on ne crée pas de la valeur tout seul, ou en l’enfermant dans un coffre.

De la chaîne au réseau : un changement de paradigmes

La dimension « culturelle » est la troisième condition de succès, et elle est transverse aux deux premiers car la culture s’exprime à la fois dans les fonctionnements (organisationnels) et dans les pratiques (humaines).

Et en matière de « culture », la transformation digitale impose un véritable changement de paradigmes. Car si le taylorisme, y compris dans sa version la plus récente (post ou néo), peut s’illustrer par une chaîne de valeur que l’on cherche à « optimiser », le vecteur de l’information est le réseau.

Dès lors, les fonctionnements et pratiques issus d’un siècle de taylorisme sont profondément inadaptés. On ne pense plus structuration mais émergence, déploiement mais opportunités. Ce ne sont plus des « méthodes » mais des « principes d’action ». On ne partage plus des objectifs, toujours dépassés ou inadaptés, mais un sens, un projet commun. Et l’ingénierie s’inspire des principes d’humilité et de réalisme poppérien (le « piecemeal engineering »). Enfin, le « leadership » n’est ni autoritaire ni bienveillant, il est surtout post-héroïque et partagé.

Ces transformations sont profondes, elles touchent à l’identité de l’entreprise et de ses personnels.

Changer les organisations, adapter les hommes, transformer la culture sont trois chantiers lourds, difficiles, sources d’efforts et de déceptions. Mais ces changements de paradigme peuvent être à l’origine de réussites majeures, et tout simplement de survie.

Des entreprises monolithiques aux coalitions ad hoc

Néanmoins, il existe aussi pour les entreprises confrontées à ce challenge un autre scénario que la transformation profonde. Moins « glorieux » intellectuellement certes, mais moins risqué. Celui du partenariat, de la co-construction.

D’une logique de domination, de monopole, les organisations de l’ère digitale sont, à l’image de l’information qui est leur fonds, des réseaux et des coalitions ad hoc. Avec des centres d’expertises légers, adaptatifs, et des « réservoirs de forces », pour la mise en œuvre. A l’échelle individuelle, les professionnels indépendants ont d’ailleurs ouvert la voie, pour pouvoir participer à une production de valeur ad hoc, construite à la demande. Ils ne sont pas des « précaires », ils sont l’avenir.

Dès lors, les entreprises qui ne voudraient ou pourraient affronter une véritable transformation digitale devront néanmoins réussir un changement important : celui de l’ouverture et du renoncement au pouvoir. Absorber une start up enrichira son fondateur mais en tuera l’esprit et la valeur. Par contre, une répartition équitable des contributions et des plus-values garantira le succès de tous. Mais accepter cela, c’est aussi un vrai enjeu de transformation.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Transformation 3.0

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Publié le 5 Novembre 2014

Qu’il soit décideur privé ou public, un dirigeant doit à ses salariés, partenaires, électeurs, d’inscrire régulièrement leur chemin commun dans un récit. Il se le doit également à lui-même lorsque face aux incertitudes de ce monde, il doit prendre des décisions. Car en écrivant sa page, il reconnecte les points et réassure les bases de son action. Sans cela, il n’a ni crédibilité ni efficacité.

« Président(e), raconte nous notre histoire »

Le management a ses modes, et l’art du récit, exercice narratif ou « storytelling », en est une, en cours ou peut-être déjà passée. Les causes de cette évanescence probable sinon programmée sont diverses.

 

Le « storytelling » ne peut être le récit du réel

La dénomination anglo-saxonne utilisée pour promouvoir ces techniques en est une première raison, dans un pays où les particularismes sinon l’arrogance poussent à s’affranchir des leçons étrangères, surtout quand elles ont une saveur anglo-saxonne. Après une phase au sommet, inspirée par un « benchmarking » savant, on se lasse, et on s’en passe, en attendant la « mode » suivante. La production de concepts managériaux suit, depuis les trente dernières années, une courbe exponentielle…

Une autre raison est la référence classique du schéma narratif : le conte. « Raconte moi une histoire » renvoie à l’enfance, période de la vie perçue comme naïve voire crédule. Et lorsqu’on est dans la « vraie vie », et que l’on s’inscrit de plus dans la tradition cartésienne d’une connaissance dite « scientifique », il n’est guère « sérieux » de revendiquer la part du rêve, de l’imaginaire, de l’émotion. On suit les chiffres, les objectifs, et on a au mieux des « espoirs ».

De plus, les réticences voire le rejet de cette pratique pourtant utile reposent sur l’acception négative des « histoires » que l’on nous raconte…

Mais surtout, le schéma narratif classique, très codifié, est inadapté au monde réel, parce qu’il doit s’achever par un dénouement et une situation stable, pérenne. Dès lors, à moins d’être mû par un constructivisme idéologique, ou de s’attribuer des compétences d’expert es-manipulations, il est impossible de narrer une situation réelle au travers des étapes codifiées du récit.

 

L’avenir est ouvert, mais il faut en dessiner le chemin

En effet, le monde est par nature incertain et, selon le titre d’un bel ouvrage, « l’avenir est ouvert ». Alors qu’il est soumis au « brouillard de la guerre », qu’elle soit militaire, culturelle ou économique, ou tout simplement à l’imprédictibilité intrinsèque aux systèmes complexes – et les systèmes humains en sont naturellement -, le dirigeant ne peut donc, en toute honnêteté, assurer son auditoire d’une « fin de l’histoire ».

Néanmoins, s’il ne peut en écrire l’issue, il doit, en toute humilité, dessiner les finalités de l’action commune, et les partager. Raconter la quête – le sens des actions engagées - , inscrire le présent entre passé – le chemin parcouru – et les perspectives de l’« à venir »…

C’est un travail d’introspection difficile, mais le retour sur investissement est garanti, car l’écriture, aux fins de partage avec autrui, oblige à clarifier ses perceptions, ses convictions, ses arguments.

Ce travail est encore plus difficile lorsqu’il s’agit d’une aventure collective, car il est impératif de la partager, afin que chacun s’y retrouve, et y prenne ou conforte sa place.

Mais s’il ne le réalise pas, à quoi ce dirigeant sert-il vraiment ?

A décider ? Mais s’il n’a pas le fil, s’il n’a pas le sens, il ne peut tenir face aux tempêtes des événements, fortuits ou inspirés par d’autres, concurrents ou adversaires. S’il parle, il bafouille. S’il dessine, il gribouille.

Et quelle est donc sa légitimité à décider s’il n’expose pas honnêtement le sens qui nourrit vraiment ses actions, et doit mobiliser l’énergie de chacun ? Un sens dont le partage se concrétise par le contrat de travail signé, ou le mandat donné.

S’agit-il de générer un maximum de profits, pour la satisfaction des actionnaires ? Ou de mieux servir le client, ne serait-ce que pour rechercher une rentabilité pérenne ? Chacune de ces deux aventures a du sens, et aucune n’est « moralement » supérieure à l’autre.

Il en est de même pour l’action politique. S’agit-il de réussir son élection, ou sa réélection, par exemple pour contribuer à la stabilité des institutions, ou de mettre en œuvre une transformation radicale, au risque d’un conflit social et de son propre rejet ? Là encore, pas de supériorité intrinsèque d’une quête sur l’autre. Juste des différences radicales.

Mais quelque soit le choix, il convient de l’assumer, avec les parties prenantes concernées.

 

Sans récit partagé, le risque d’une route de la servitude

Car, encore une fois, le récit ne vaut vraiment que s’il est partagé, en toute sincérité.

Un dirigeant d’entreprise ne peut dissimuler le chemin pris à ses actionnaires pas plus qu’à ses salariés et partenaires. S’il tente de le faire, il s’expose à des risques considérables. Et il se prive aussi d’opportunités, et d’énergies qui feront le succès de son projet, le plus difficile à mener soit-il. Car on n’a jamais « raison » tout seul. A moins de vouloir mener les autres sur la route de la servitude, fut-elle « éclairée ».

La transformation digitale engagée dans tous les domaines de l’activité moderne signe la fin des intermédiations auto-justifiées. Toute information est désormais susceptible d’être partagée, livrée, au-delà du cercle des initiés. Ce n’est pas une tyrannie de la transparence qui s’annonce, mais une exigence de cohérence.

La confidentialité de décisions, de stratégies, de projets est, et sera toujours légitime, et nécessaire. Et la ruse n’est pas le mensonge. Mais le dirigeant doit se préparer, à tout moment, à assumer publiquement la cohérence entre ses discours et ses actes. Pour s’y préparer, il doit donc écrire le récit de l’aventure collective, et l’actualiser régulièrement, au regard des réalisations passées, et de l’avenir qui s’ouvre progressivement.

Et puis, au-delà des risques de la dissimulation exposée involontairement – et sans préjuger des aspects moraux de tels comportements -, le dirigeant sans récit se prive de ses leviers de mobilisation d’énergie et de talents : des ressources indispensables, en particulier lorsqu’il doit mener des projets de transformation, difficiles techniquement et sensibles humainement.

 

En période de transformations, le récit (ré-)conforte

En inscrivant les actions passées dans un fil cohérent – y compris lorsqu’elles ont été motivées par des événements imprévus -, le récit réassure.

Individuellement, nous n’avons qu’une perception parcellaire du passé. Certaines actions nous apparaissent comme les conséquences de décisions prises, perçues comme légitimes ou arbitraires ; d’autres comme les effets du hasard. Cette perception partielle est naturelle et normale – personne n’est omniscient –. Elle est aussi influencée aussi par ses propres prédispositions psychologiques, selon que l’on privilégie la « destinée » ou la main de l’homme.

Faire le récit des batailles livrées, gagnées ou perdues, glorieuses ou discrètes, permet à la fois de rappeler (ou donner, parfois) du sens aux efforts consentis, et aussi de les reconnaître. Cela permet de renouer un fil entre des événements disjoints, et de rétablir un continuum rassurant, de donner une perspective sur le chemin déjà réalisé. Et si le récit ne peut permettre de garantir le chemin restant à faire mais seulement en dessiner certains obstacles attendus – sans garantie qu’ils arrivent ni que d’autres adviennent -, il rassure aussi par sa seule existence en déroulement : car chacun sait qu’en faisant partie de l’aventure, ses efforts auront un sens.

 

Assumer les émotions, aussi

Enfin, le réconfort apporté par le récit donné tient aussi à sa capacité à produire des émotions, à reconnecter chacun à celles qu’il a vécues, qu’il vit, et connaîtra.

La réticence de beaucoup à assumer les « émotions » n’est pas nouvelle, et peut être illustrée par une des définitions du Larousse : « Sous l'Ancien Régime, révolte populaire non organisée et généralement de courte durée ». Les émotions seraient donc destructrices, chaotiques, éphémères. Tout le contraire d’une raison qui se voudrait constructive, organisatrice, pérenne – conservatrice, finalement.

Mais quand la raison déploie ces trois caractéristiques et devient bureaucratie, elle s’enlise. Et si dans un univers taylorien, ou post-taylorien comme le conçoit le lean management, l’approche organisationnelle peut rechercher l’optimisation systématique, cette quête est vaine dans un contexte mouvant, imprédictible, dans lequel la créativité, la réactivité et l’adaptation l’emportent, en termes de création de valeur et même de résilience, sur la programmation.

Et puis, chacun ne peut que constater que les émotions font partie de la vie. Mais lorsqu’elles sont perçues comme un « mal nécessaire », on les accepte canalisées, orchestrées lors de « grandes messes », souvent télévisuelles ou sportives, porteuses naturellement d’émotions « positives ». N’est-ce pas réducteur ?

Car les émotions, quelles qu’elles soient, peuvent aussi être porteuses de dynamiques positives dans l’entreprise ou, plus généralement, dans l’action collective. Ces émotions sont aussi les révélateurs des épreuves traversées, des succès obtenus. Les nier, c’est nier l’humanité de chacun, dans ses faiblesses et dans ses multiples forces. Les reconnaître, c’est accepter une évaluation vraie des compétences du dirigeant. Car on ne triche pas avec les émotions.

Offrir un lieu de convergence, qu’il soit écrit ou prononcé, pour reconnecter les émotions vécues par chacun (craintes, joies, enthousiasmes, déceptions…) aux émotions collectives, c’est aussi contribuer au renforcement du « pack », du collectif, de la solidarité vécue du corps social.

Le récit collectif doit donc assumer ces émotions, les raconter, les relier aux événements pour donner à ceux-ci de la chair, de la réalité vécue.

Sincérité dans la destination, authenticité des motivations, reconnaissance du chemin parcouru et des émotions vécues par chacun et par tous : telles sont quelques-unes des clés d’un récit collectif mobilisateur et responsable, en particulier pour accompagner des changements difficiles.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 14 Octobre 2014

Le « digital change » est sur les lèvres de beaucoup de décideurs, et au cœur des préoccupations de beaucoup d’entreprises (surtout les grandes). Alors, oui, le numérique bouleverse nos habitudes, nos pratiques, voire nos goûts, que ce soit dans nos vies professionnelles ou personnelles. Mais au-delà de l’effet d’actualité, les changements annoncés et vécus sont-ils vraiment originaux ?

Digital change : le meilleur est à l’intérieur !

La fébrilité générée aujourd’hui par le « digital change », dont les effets sont si nouveaux qu’ils ne sont encore que très peu analysés par les chercheurs, peut fasciner : premiers colloques universitaires, blogs dédiés, apparition de « Digital Chief Officer » au plus haut niveau des grands groupes, offres d’expertises, déploiement de nouveaux outils... Mais elle a aussi un goût de « déjà vu », par delà la nouveauté intrinsèque aux objets auxquels le « digital change » s’adosse, a priori à la pointe de la créativité technologique.

« Déjà vu » ? De la RSE au RSE…

Ce sentiment rappelle tout d’abord la vague de transformations qu’ont connues les entreprises et grandes organisations lors de la traduction dans le monde économique des principes du « développement durable », il y a bientôt vingt ans, avec l’idée de RSE (responsabilité sociale des entreprises).

Actions réglementaires, déclarations politiques, créations de Direction du Développement durable, formations des personnels, élaborations d’outils de pilotage et de rapports annuels… Ce thème était alors un puissant levier de transformations pour les entreprises, et de croissance pour un marché de prestataires plus ou moins spécialisés.

Aujourd’hui, où en est la RSE ? Adoption réelle et pérenne par l’entrée dans les mœurs, ou bien banalisation par changement de mode ? La RSE a en tous cas changé de genre puisqu’aujourd’hui, grâce au « digital change », nombre d’entreprises se doivent de matérialiser leur modernité par l’adoption d’un RSE : un réseau social d’entreprise.

Et à travers ce terme, on retrouve plusieurs affirmations et attentes souvent exprimées dans la vie des entreprises au cours des dernières années, avec la fin (encore en cours) des logiques tayloriennes et l’apparition du « management » (et désormais du leadership) : la reconnaissance individuelle (connaître son voisin), la cohésion de groupe (le sentiment d’appartenance), le partage de pratiques (depuis la base documentaire à un « knowledge management » nouvelle formule).

Avec cette affirmation d’une attention soutenue portée au « digital change », et parce qu’il est agréable et utile de se projeter dans une modernité toujours technologique car plus visible que celle des comportements, il n’est pas à exclure qu’on y trouve aussi la tentative d’entreprises de concurrencer les appétences individuelles aux nouvelles pratiques numériques pour « re-capter » le temps de travail et la créativité alloués par leurs salariés à des réseaux extérieurs, non directement contributifs à l’objet de l’employeur.

Mais globalement, on retrouve, dans ce type de projets, nombre de préoccupations récurrentes dans la vie des entreprises.

Orientation client et entreprise étendue

Un des aspects de la « transformation digitale » tient à la réaffirmation de la relation client dans les priorités de l’entreprise. Pour une TPE ou une PME, le souci de l’orientation client est tellement naturelle – c’est une question de survie - qu’elle n’est pas souvent affirmée.

Pour un grand groupe, le client est parfois, pour certains, plus un concept qu’une réalité quotidienne, que les enjeux internes ont pu faire oublier. Et il est toujours utile de rappeler que, même dans les fonctions les plus éloignées du « front office », c’est toujours le client qui paie les rémunérations…

Avec le digital, le client se rapproche à nouveau de l’entreprise. Directement, car les outils et surtout les pratiques quotidiennes placent la transparence et la réactivité au cœur des attentes du consommateur/client, qui veut une solution personnalisée, tout de suite, à sa porte. Mais aussi indirectement, car les gisements de croissance que recherchent beaucoup d’entreprises, en cette période de crise économique, se trouvent souvent dans des domaines sur lesquels émergent des concurrents nouveaux, innovants, agiles. De parfaits inconnus deviennent, en quelques années, des leaders et captent, plus encore que l’attention, des investissements qui suscitent soit le vertige soit l’envie (ou les deux).

Pour reconquérir le client, deux stratégies coexistent : l’entreprise intégrée ou l’entreprise étendue. Avec une préférence en France pour la première.

Vieil héritage des temps tayloriens, le choix de l’intégration a néanmoins un peu muté. Alors qu’on envisageait hier l’intégration verticale, on envisage aujourd’hui les acquisitions par extension horizontale : faute de pouvoir rattraper une petite entreprise agile qui crée de la valeur sur des marchés connexes, on la rachète. La relation traditionnelle au client n’est pas remplacée, elle est complétée, de façon à compenser la diversification des dépenses du consommateur par celle des revenus de l’entreprise.

Pourtant, la pratique alternative de l’entreprise étendue a beaucoup d’avantages. Car pourquoi préférer la relation de propriétaire à celle de partenaire, si on réussit à s’affranchir du goût pour le « contrôle » voire le « pouvoir » ?

Ce principe organisationnel et fonctionnel a été adopté au cours des années passées de façon défensive par certains acteurs industriels, notamment lorsque les incertitudes du marché rendaient trop risqué le maintien d’une partie de l’activité dans le périmètre légal et financier. Par « spin off » ou autres mécanismes techniques, les entreprises ont donc externalisé le « risque ». Et ces jeunes pousses ont parfois pris leurs ailes.

La vraie faiblesse de ce choix est liée à la réalité des hommes. Car les « externalisés » savaient toujours pourquoi ils avaient dû partir et que, le jour venu, ils n’avaient ni reconnaissance ni envie de partager leur succès avec ceux qui les avaient, plus ou volontairement, « chassés ».

Alors, si le « coût de sortie » pour passer d’une entreprise intégrée à une entreprise étendue est souvent humainement – et économiquement – élevé, pourquoi donc ne pas conserver le fonctionnement en entreprise étendue, sans chercher le contrôle capitalistique et (on le croit souvent…) humain de l’entreprise intégrée ?

Sans doute l’empreinte culturelle de la pensée taylorienne de beaucoup de décideurs, pour lesquels il « suffit » d’ordonner et déployer… à rebours du fonctionnement de l’économie numérique, émergente, multiple, complexe.

DCO : une nouvelle lutte pour le pouvoir ?

Les nominations de « Digital Chief Officer » et les enjeux qui émergent sont, et seront révélateurs de la capacité des entreprises à réussir leur transformation digitale.

Cette nouvelle fonction est souvent placée au plus haut niveau de l’entreprise. Est-ce un choix de communication, pour matérialiser la « modernité » de l’entreprise ? Ou bien le signe de nouvelles luttes pour le « pouvoir » ? La fin du XXe siècle avait vu le renversement des fonctions de production par celles des marketeurs – avec une priorité donnée au produit souhaité par le client plutôt qu’à celui produit par l’entreprise. Puis l’apparition de la gouvernance des financiers, avec un pilotage très marqué par la rentabilité à court terme. Ce début de XXIe siècle sera-t-il celui des « digitaliseurs » ? Manifestement, la fonction reste encore à définir. Le DCO est-il le successeur – ou le chef - du directeur des systèmes d’information ? Ou bien le concurrent du PDG ?

Dans notre monde de services (y compris industriels), les fonctions technologiques sont peu, presque paradoxalement, reconnues. Car l’outil ne fait pas tout, et la spécificité (voire l’étrangeté) des compétences de « geeks » les exclue souvent des mécanismes décisionnels – en tous cas dès lors que le stade de la start up est passé, et que d’autres fonctions plus « business » apparaissent.

Et puis, le « digital change » semble être partout dans l’entreprise : au marketing et au commerce, aux RH, aux finances, à la production… On ne saurait donc confier les « rênes » de l’organisation à un « informaticien », fut-il rompu aux technologies les plus en pointe ! Dès lors, le DCO semble plutôt trouver sa place au plus près du CEO – en attendant de lui contester, peut-être.

Plus qu’une question de hiérarchie, la question qui doit se poser est celle du rôle.

Si la digitalisation est perçue comme une opportunité de retrouver le contrôle perdu, l’échec est au bout du chemin. Il est vrai que le « Big Data » fait naître beaucoup de fantasmes : on pourrait précéder les désirs des « clients » (externes comme internes) au regard de leurs comportements passés, les prévoir et donc les contrôler… Au-delà des problèmes moraux que cette idéologie totalitaire sous-tendrait, c’est tout simplement une utopie inopérante, qui entendrait s’affranchir du libre arbitre et de l’imprédictibilité intrinsèque aux systèmes humains, grâce à une « rassurante » ingénierie sociale déterministe.

Animer la transformation digitale plutôt qu’espérer (en vain) la maîtriser

Connaître n’est pas maîtriser. Et les phénomènes digitaux partagent une caractéristique radicalement étrangère au contrôle post-taylorien : l’émergence.

A l’interne, la mise en place d’outils collaboratifs n’aura aucun réel retour sur investissement s’il s’agit seulement de nouveaux outils de « communication », comme l’ont été les « trombinoscopes », les journaux internes, les bases de données partagées… Nécessaires mais insuffisants pour justifier les nouveaux surcoûts.

A l’externe, les outils d’analyse du Big Data ne pourront, aussi rapides soient-ils, que constater les changements de pratiques a posteriori. Car comment maîtriser la multiplicité d’interactions auxquelles sont soumis les individus, consommateurs ou clients ? Les difficultés voire les abîmes d’angoisse que vivent les décideurs cartésiens face à la complexité d’un monde ouvert et interconnecté, et donc imprédictible, sont sans doute des opportunités pour les marchands de certitudes – mais c’est toujours un marché de dupes.

Le succès de la transformation digitale ne repose pas sur les outils, mais sur les comportements que ceux-ci facilitent, et qui émergent déjà depuis plusieurs années, avec à la fois le développement des technologies de l’information et, qu’on l’apprécie ou non, la diffusion du « paradigme démocratique » : collaboration, émergence, lâcher prise, leadership partagé…

C’est pourquoi, que la fonction soit directement assumée par le dirigeant de l’entreprise, ou par un DCO, la transformation digitale doit plus faire appel à des compétences d’animation des talents et des contributions qu’à celles d’un pilotage en force.

La cohérence plutôt que le contrôle

Le contrôle tue les contributions – parce qu’il génère le refus des responsabilités, la crainte de la sanction, parce qu’il néglige la reconnaissance, qu’il suscite la concurrence voire le ressentiment. En tous cas parce qu’il conduit à l’immobilisme et au désengagement. Et qu’il s’oppose manifestement aux talents et appétences de la « génération numérique » qui vivra le monde de demain.

Dans la société ouverte qu’offre et accompagne la transformation digitale, il convient plutôt d’identifier et d’encourager les contributions, à l’interne comme à l’externe, de garder l’esprit ouvert à l’identification des opportunités émergentes, de garantir des processus de décisions agiles.

Tout ceci n’est pas qu’affaires d’outils – même si ceux-ci sont utiles voire indispensables – mais bien de convictions, de postures, et aussi de pratiques qui à la fois entretiennent et mettent en œuvre les principes d’action précités.

Alors bien sûr, une entreprise ne peut être dirigée de façon anarchique, et il est toujours indispensable d’orienter les moyens et les énergies disponibles en cohérence avec une stratégie. Mais cette cohérence est toujours mieux garantie par l’appropriation par le plus grand nombre de cette stratégie, qui doit donc avoir été formalisée et partagée, plutôt que par des « censeurs » ou des « gardiens du temple ». Pour cela, encore faut-il avoir fait le choix de la confiance, de l’émergence, de l’engagement : des principes de management et de leadership qui ont montré, certes, leur complexité dans la mise en œuvre, mais leur extraordinaire plus-value.

C’est pourquoi le « digital change », plus qu’un nouveau phénomène technologique, est un nouvel attracteur de mobilisation et de transformation, au service de la performance collective.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Transformation 3.0

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Publié le 5 Septembre 2014

Que l’on s’en réjouisse ou que l’on le regrette, de très nombreuses organisations sont désormais confrontées à des situations dans lequel le lien hiérarchique n’existe pas. Souvent, cette absence de « chef » désigné donne lieu à des quêtes et manœuvres visant à en instituer un, malgré tout – ou à le devenir. Pourtant, il est à la fois vertueux et efficace de résister à cette « tentation totalitaire » et pratiquer un « leadership partagé ».

Sans lien hiérarchique, il ne reste plus qu’à mieux travailler ensemble !

On nous le répète à l’envie : la France est un pays monarchique, jacobin, centralisé. Il faut bien faire avec. Et si tout va mal, c’est parce qu’on manque d’un « chef », d’un leader dont le « charisme » et l’ « autorité » seront reconnus par tous. Et chacun de se référer à son « grand homme » (ou femme) providentiel(le), seul(e) à même de résoudre toutes nos difficultés.

Bien sûr, on trouve aussi des contre-exemples « révolutionnaires » que l’on s’empresse de porter au pinacle, et la visite ébahie auprès d’organisations « coopératives » semble avoir remplacé la visite initiatique à Saint Chamond de dirigeants désormais soucieux de gommer une étiquette « libérale » - bien que le lien entre le centralisme parisien et le libéralisme par nature décentralisateur soit encore à expliciter…

Mais une fois rentré, on revient bien vite à l’autorité centralisée, aux mécanismes classiques du pouvoir légal et institutionnel.

L’absence de « chef » semble être la maladie de ce temps

Dans beaucoup d’entreprises françaises, on résiste encore à la mise en oeuvre des organisations matricielles, dans lesquelles l’équilibre des pouvoirs cher à la tradition anglo-saxonne prend le pas sur l’omniscience des cartésiens hexagonaux. L’autorité serait « efficace », et les mécanismes de participation ne sont issus que de la contestation sociale – encore une lutte pour le pouvoir – quand ils ne sont pas une facétie de communicants, un effet d’ambiance. Quand il faut diriger, décider, il faut un « chef ». Et si l’organisation n’en a pas établi un, incontestable, les énergies peuvent vite se focaliser sur des luttes pour le « pouvoir ». Et si le monde politique vit à ce titre d’élection en élection, certaines entreprises s’épuisent alors entre attentisme et manœuvres, au détriment de l’attention portée aux clients, aux marchés, à la performance et donc à la pérennité de l’existence commune.

L’absence de « chef » est ainsi dénoncée pour être la maladie de ce temps, et toutes les énergies doivent être mobilisées pour apporter le remède, chasser les contestataires, faire taire les divergences, rétablir l’ordre, la discipline, l’acquiescement. Et tant pis si faute de clients oubliés, de marchés perdus et de talents gâchés, on finit par mourir. Morts mais « soignés ».

Le succès à l’international s’affranchit de l’autoritarisme hexagonal

En termes d’efficacité, il n’est pas certain que la tradition autoritaro-charismatique française soit la plus reconnue. Le « leadership » français reste à prouver sur la scène internationale, au-delà des coups de menton et des sermons moralisateurs, à l’heure des conflits en Ukraine, au Moyen-Orient, en Afrique, et de la tension croissante sur les approvisionnements en ressources stratégiques.

Quant aux entreprises françaises performantes, il semble que leur succès à l’international se soit affranchi de l’autoritarisme hexagonal pour adopter des fonctionnements dans lequel s’épanouissent les talents, et qui s’adaptent à l’instabilité et à l’imprédictibilité naturelles des équilibres stratégiques, de la concurrence mondialisée et de l’innovation technologique.

Pourtant, certains s’opposent aux formes de « leadership partagé » en se drapant dans un nationalisme « culturel ». Cet « équilibre des pouvoirs » serait étranger à la tradition française, et il serait, ou vain, ou détestable, d’adopter un modèle « importé ».

L’ « exception française » est sans doute une réalité dans bien des domaines. Et cela est vrai pour chaque peuple. Mais chaque individu appartient à de multiples cercles d’appartenance, dont la coexistence et l’interaction lui confèrent une identité unique : famille, territoire d’origine ou d’adoption, activité professionnelle et loisirs, tempérament, talents et appétences… Toute approche culturaliste intégrative est à la fois réductrice et totalisante. Voire totalitaire.

L’autoritarisme n’est pas immoral, il est inefficace.

Alors, puisque certains sont en droit de préférer des modèles autoritaires, plutôt que la « chienlit », il n’est ni pertinent, ni utile de condamner l’autoritarisme au regard de critères « moraux ».

Même si le « chef » est à la fois source et production d’une « pensée magique » dont la dissipation avait permis l’expansion industrielle et politique de notre vieux continent. Et qui ressurgit ici et là, hésitant entre messianisme et barbarie.

Quelque soit le groupe social et le contexte, l’autoritarisme n’est pas (seulement) immoral, il est (surtout) inefficace.

Il effraie et tétanise les énergies. Il dissuade la prise d’initiatives, et même l’expression d’idées. Et il est le moteur du désengagement. Car si l’homme (ou la femme) est providentiel(le), il n’est nul besoin de se mobiliser pour contribuer au projet collectif. Chacun peut alors devenir le passager clandestin d’une « reprise » dont il s’agirait alors de cueillir les fruits, plutôt que de se mobiliser pour en actionner les leviers.

A ceux qui observent le redressement économique de nos voisins européens, et la dynamique de nos concurrents internationaux, il peut être bon de rappeler que, à l’exception de territoires dotés de ressources naturelles qui leur confère une richesse de rentiers, aucun pays ne doit sa prospérité à un « chef », mais aux efforts et à la mobilisation de tous.

Certains ont fait une partie du chemin, et acceptent les fonctionnements « transversaux », « non hiérarchiques » pour des activités « marginales », mais les excluent des affaires « sérieuses ». A ceux-là, on recommandera la lecture des ouvrages de Christian Morel, qui vulgarise utilement dans ses descriptions des « décisions absurdes » les leçons des « organisations hautement résilientes ». Quand il est question de vie ou de mort (dans la santé, l’aéronautique, l’industrie pétrolière, les sous-marins nucléaires…), ce n’est pas le recours au « chef » et/ou à l’autorité des procédures (forme désincarnée du chef omniscient) qui garantit la sécurité de tous, mais bien la facilitation des contributions de chacun, dans l’interaction.

L’organisation idéale n’existe pas

La question n’est donc pas de se soumettre aux organisations non hiérarchiques ou d’y résister, mais de faire « avec ».

L’organisation idéale n’existe pas. Car au moment même où elle est imaginée, elle est déjà dépassée. Les hommes choisis sont partis, les produits ont évolué, la concurrence a bougé.

Une organisation n’est pas un cadre. C’est un « attracteur » : une image instantanée de fonctionnements souhaités, de répartitions des rôles adaptés à un moment donné, à des circonstances momentanées.

La tradition sociologique issue des travaux de Michel Crozier a permis de valoriser avec bonheur les sociogrammes, pour visualiser et comprendre les interactions interindividuelles réelles, qui l’emportent sur les organigrammes figés. Mais comprendre n’est pas agir, et le sociologue n’est pas, a priori, un homme d’action : ni entrepreneur, ni politique.

Dès lors, les nouvelles formes d’organisations qui s’affranchissent à de nombreux niveaux de décision des relations hiérarchiques, sont les mieux à même de permettre l’agilité des entreprises, et la mobilisation des énergies.

Bien sûr, les relations qui naissent de ces organisations sont complexes. Certains liens hiérarchiques sont clairs, d’autres sont en pointillés. D’autres encore inexistants, puisque décrivant une « co-existence » en théorie pacifique.

A ceci près que la vie des entreprises et des organisations génère inévitablement des tensions entre groupes sociaux, entre individus : des objectifs antagonistes, des approches différentes, des ambitions concurrentes, des résistances aux changements, conscientes ou inconscientes…

« Et la confiance, bordel ? », mais aussi les contributions !

La multiplicité de ces tensions génère une inévitable complexité. La tentation autoritaire revient alors en force, et trouve alors un allié dans la tradition cartésienne nationale : pour résoudre la complexité, il « suffit » donc de trouver l’organisation idéale, le chef omniscient et partant, omnipotent…

Les recherches et l’expérience de chacun le démontrent pourtant : on ne « résoud » pas la complexité, pas plus que le « brouillard de la guerre », fut-elle économique. On s’y adapte. Et en la matière, c’est parce qu’on partage des objectifs communs, basés sur une « vision », des « valeurs » ou toute autre « ambition » commune, et que l’on sait « mieux travailler ensemble » que l’on se donne des chances de réussir ensemble, en tirant profit de toutes les ressources disponibles, par nature rares.

Mais encore faut-il prendre la peine d’expliciter cette vision, ces valeurs, cette ambition. D’établir des habitudes de travail en commun, de construire des synergies et de nourrir la confiance mutuelle, qui donnera une véritable résilience individuelle et collective face aux difficultés. Cette confiance que décrivent avec talent les contributeurs à l’ouvrage récent de l’Institut Montaigne. Mais la confiance n’est pas un pari, c’est une production dérivée des contributions collectives.

Et puis, au quotidien, il faut aussi adopter et faire vivre des postures et des pratiques de facilitation de l’émergence d’idées, de projets. Et garantir leur mise en œuvre, en synergie, au profit de tous et de chacun.

Les débats actuels autour de « l’efficacité » du « design thinking » sont une illustration parmi d’autres de la difficulté à faire travailler ensemble les différentes fonctions de l’entreprise, ou les différents groupes d’une société. Les « experts » méprisent les productions de ces nouveaux « groupes de parole », où des Monsieur Jourdain remettent en cause les savoirs acquis. Et des ayatollahs d’une « participation » mal perçue y voient une bonne façon de prendre leur revanche sur ceux qui ne reconnaissent pas leurs talents, souvent localisés autour l’intelligence émotionnelle quand les « dirigeants » ont fait prévaloir, tout au long de la sélection imposée par le système éducatif français, leur intelligence conceptuelle.

Et si la vie de l’entreprise, la vie de la société, étaient autre chose qu’une lutte des classes, des expertises, des pouvoirs ? Et s’il fallait en fait, retrouver le goût et la pratique du vivre et travailler ensemble ?

Dans notre société post-taylorienne et notre monde en réseaux, on ne peut imaginer que les hommes s’alignent comme l’ont fait les chaines de production, et obéissent aveuglément aux « chefs » et aux « procédures ». C’est pourquoi la pratique du « leadership partagé » n’est pas une mode fugace, mais bien une nécessaire adaptation des fonctionnements collectifs, propre à animer efficacement toutes les dynamiques sociales. Une nouvelle forme de « socio-dynamique ».

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Transformation 3.0

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Publié le 26 Juin 2014

L’article « Comment la France est en train de tuer le TGV » paru le 23 juin dans les Echos a le double mérite d’attirer l’attention et de partager des éléments factuels sur les enjeux que rencontre la SNCF (et demain, avec RFF) avec l’offre TGV. Cependant, au-delà des enjeux économiques et organisationnels propres au système ferroviaire, le TGV révèle aussi des faiblesses collectives françaises et, en creux, des enjeux partagés.

Le TGV comme image, ou comme usage ?

Les Français, malgré une tradition cartésienne, adorent avoir recours à la pensée magique : une nouvelle organisation nécessairement idéale permettra de retrouver des synergies entre équipes, un homme ou une femme naturellement providentiel(le) adaptera 60 millions de concitoyens aux transformations du monde, l’inévitable retour d’un cycle économique favorable apportera une croissance retrouvée… Et, en cette fin de période de grèves ferroviaires, le TGV apportera évidemment à un territoire attractivité et emplois.

Et si on appliquait à ce sujet passionnant et passionnel des méthodes de décision et d’action issues de l’entreprise, en commençant par se poser la question : un TGV, pour quoi faire ?

Retrouver une cohérence entre investissements et offres de transport

Avant la création de RFF, la SNCF pouvait promouvoir, auprès de sa tutelle publique, la réalisation d’infrastructures sur lesquelles s’appuieraient ses futures offres de transport. Sans doute était-ce aussi d’autres temps, alors que la dette publique pouvait encore être acceptée, ou plus simplement négligée. Mais au moins, il y avait une cohérence entre les deux constituants d’une offre de transport à grande vitesse : l’infrastructure et les services.

Avec la création de RFF, la tentation est née de « saupoudrer » les investissements pour acheter une forme de « paix sociale », parfois presque indépendamment de la pertinence économique des futures offres.

De plus, et comme dans d’autres cas de création d’entités par scission, RFF s’est constitué « contre » la SNCF. On entendait en effet qu’il était indispensable de donner des gages d’indépendance dans la perspective de l’ouverture du marché ferroviaire à de « nouveaux entrants ». Intellectuellement, pourquoi pas. Et puis, on entend tellement qu’il faut toujours « tuer le père »… Mais dans la pratique, la SNCF était sur les trafics voyageurs, et est encore jusqu’à présent, pour la quasi-totalité des offres, l’opérateur unique, avec une connaissance historique du réseau et des marchés.

Refuser des synergies avec l’opérateur historique de transport, au moins prospectives et non exclusives de l’ouverture à d’autres, c’était alors se priver d’expertises naturellement rares (car en l’absence d’un marché concurrentiel, la formation est assurée par l’opérateur unique, c’est rationnel et économique). Et le recours à des prestataires externes, ou à des ingénieurs généralistes, ne pouvait qu’imparfaitement répondre aux besoins. Rajoutons-y les très français « conflits de castes » entre anciens élèves des différentes grandes écoles de la République, et le transfert de quelques cheminots désireux de « prouver » leur allégeance au nouvel établissement par une posture d’opposition radicale envers l’ancien employeur… Le manque de synergies était alors, si ce n’est inéluctable, hautement probable.

Bien sûr, on aurait pu objecter que la tutelle commune devait permettre de trancher des différents entre stratégies d’investissements. Mais a-t-on beaucoup vu de responsables politiques de premier plan, naturellement soucieux d’un « coup d’après » intimement lié à leur popularité, prendre le risque d’opposer un refus explicite ? Là encore, il a toujours été beaucoup plus prudent, et donc courant, de pratiquer le saupoudrage de projets, ou plus précisément le « phasage »… Un bout maintenant, un bout plus tard… au moins, vous pourrez dire que vous l’avez obtenu !

Alors, le regroupement des deux EPIC au sein d’une même structure résoudra-t-il les manques de synergie, et les enjeux de cohérence des infrastructures et des offres ? A la différence d’un cabinet ministériel dont les objectifs sont parfois contradictoires, un comité exécutif d’entreprise a vocation à adopter et surtout mettre en œuvre une stratégie cohérente, y compris (et surtout) en situation d’incertitude. Il n’est demeure pas moins qu’une unicité organisationnelle n’apporte pas de réponse magique aux enjeux d’interfaces et de synergies, qui reposent notamment sur les interactions humaines, la complémentarité des talents et des habitudes « culturelles », les process internes et les agendas propres… Et ceci d’autant, qu’à ce plus haut niveau des entreprises, on doit faire travailler ensemble des personnalités fortes, riches de leurs expertises succès et convictions : un vrai challenge.

Gageons que son Président, qui a déjà conduit avec succès de nombreuses transformations d’une SNCF encore percluse de rigidités statutaires, humaines et organisationnelles, réussira à animer une équipe élargie.

Plus que la baguette magique, la mobilisation de tous

Au-delà des critiques philosophiques qu’il peut susciter, le recours à la pensée magique a un inconvénient majeur : la déresponsabilisation de chacun et le réflexe du « passager clandestin ». Si tout finit par arriver par magie, pourquoi donc changer ses habitudes, se remettre en question, susciter la créativité, passer à la vitesse supérieure ? Il suffit seulement de trouver le bon magicien – ou le bon intercesseur.

Jusqu’à présent, et encore aujourd’hui, beaucoup des élus locaux ont toujours voulu « leur » TGV, perçu comme porteur de dynamiques positives.

Et si les projets TGV suscitent des oppositions, c’est le plus souvent en raison des impacts environnementaux des infrastructures, bien souvent liés à d’importants enjeux financiers de « compensation » des territoires traversés : des sujets traités pris en compte par RFF et la Commission Nationale du Débat Public dans le cadre des démarches institutionnelles de « concertation », et générateurs de millions d’euros de prestations de services, de transferts financiers et d’aménagements divers.

Aujourd’hui, on commence aussi à entendre des oppositions liées à l’étranglement financier de l’Etat et des collectivités, et à d’éventuels arbitrages entre projets d’infrastructures, mais aussi entre investissements de transports et dépenses sociales, ou tout simplement de hausses d’impôts…

Mais toujours, le TGV est revendiqué par ses promoteurs, implicitement ou explicitement, comme le vecteur d’un « coup de baguette magique » évidemment bénéfique.

Alors, lorsque certains élus justifient la nécessité de « leur » TGV en avançant que l’offre créera le trafic, il serait aussi utile de se poser les deux questions suivantes : prenez-vous vraiment le TGV pour le plaisir du voyage, ou le prenez-vous pour aller dans un territoire dans lequel vous voulez travailler, ou visiter ? Et qu’attendez-vous de « votre » TGV ? De vous permettre d’aller (où ?), ou de faire venir ? Des villes dortoirs aux gares-betteraves, les exemples d’échecs, au moins pendant quelques (dizaines d’) années, illustrent la limite de cette croyance en une création de valeur « automatique », et rappellent que le succès tient à la mobilisation de tous.

Passer du « en êtes-vous ? » au « que faites-vous ? »

Quand on évoque les offres ferroviaires, mais plus généralement tous les projets d’aménagement, le sentiment de « déclassement » que l’on perçoit tient à la place très française du « statut ». « En êtes-vous » ou pas ? Enarque (dans la botte ou pas ?), ingénieur (mais de quelle école), ville TGV ou pas….

Plutôt que d’évaluer l’autre au regard de ce qu’il « est » – et de s’auto-évaluer ainsi -, ne serait-il pas plus pertinent de se demander de ce qu’il « fait » ? De passer d’une vision statique, figée dans le passé, à une vision dynamique, tournée vers l’avenir ?

D’ailleurs, le TGV est-il encore « la France » ? C’est indubitablement encore un très bel outil, actualisé, modernisé, et que beaucoup nous envient. Mais faut-il que la France soit figée dans ses gloires passées pour n’avoir à afficher au plus haut qu’une invention des années 70, même actualisée.

Alors, bien sûr, le TGV est un vecteur d’image. L’est-il parce qu’on « en est » (ou pas) ?

Aujourd’hui, toutes les grandes villes voient s’arrêter le TGV, ne serait-ce qu’à vitesse « normale » - une des réalités que pointe l’article des Echos. Est-il donc désormais un critère discriminant ?

Vecteur d’image, il l’est au moins à l’occasion de la mise en service d’une nouvelle offre parce que, pendant un temps réduit, on met sous les feux de l’actualité un territoire desservi, qui devra se présenter sous son meilleur jour.

Ce moment de la mise en service est en soi un enjeu car les premières impressions sont souvent pérennes. Et si le quartier gare n’est pas convenablement aménagé, s’il est difficile de se rendre à la destination de son choix, par les transports collectifs ou en voiture individuelle, si l’offre touristique n’est pas à la hauteur de l’image projetée (la qualité des hôtels, de l’accueil, des services…), si les entreprises ne sont pas attractives, on oublie vite « l’effet TGV ».

De plus, après le premier moment de curiosité, les choix se font plus rationnels. Et le TGV n’est alors plus un vecteur d’image, mais un objet d’usage.

Le TGV comme usage : les nouvelles pratiques

A l’heure de la communication instantanée et de la démocratisation des transports (de proximité comme à grande distance), la mobilité physique se rationalise. On pense usage, et pas image. L’attractivité n’est plus liée au fait « d’avoir » le TGV, mais d’afficher un temps de parcours complet, de porte à porte : « à x heures de… ». Le voyage TGV n’est plus un événement, c’est une pratique, un moment.

Ce changement de paradigme de la grande vitesse est émergent, y compris dans les discours de certains décideurs politiques, une fois passées les premières déclarations, attachées à la dimension symbolique.

Un autre changement apparaît petit à petit. Historiquement, le TGV est fait pour aller à Paris, et dans l’idéal, en faire venir les partenaires et visiteurs.

Mais lorsque les métropoles régionales se développent au profit d’un grand bassin de vie, que les relations d’affaires se font avec les voisins européens ou avec des partenaires plus éloignés, l’enjeu est-il vraiment la liaison TGV avec Paris ?

Et quand il s’agit d’exiger des arrêts voisins sur une même ligne TGV, a-t-on vraiment pris conscience que, avec l’inertie de freinage et d’accélération, un TER est plus rapide qu’un TGV ? Là encore, faute de pédagogie, l’image perçue continue à l’emporter sur l’usage réel. Alors, si les perceptions sont importantes, et structurantes des rapports humains, il est aussi important de les actualiser, plutôt que de les considérer comme figées.

A l’heure des investissements, il est important de considérer la nature de l’effet TGV attendu : image ou usage ? Et de l’assumer alors comme tel.

Pour réussir les retours sur investissement : pédagogie et engagement

La grande vitesse ferroviaire est un objet complexe et passionnant car tenant à la fois au symbolique, individuel et collectif, et au technologique, dans de nombreux domaines.

Pour les passionnés du sujet, on ne peut évidemment que recommander l’ouvrage de référence réalisé par Michel Leboeuf « Grande Vitesse » (au Cherche Midi), qui permet de découvrir ou approfondir toutes les dimensions du sujet.

Pour tous, acteurs publics et privés, experts et utilisateurs, l’opportunité d’un investissement TGV gagne toujours à la confrontation des points de vue, des échéances, des perceptions, des projets. Car le débat, dès lors qu’il n’est pas revendicatif, mais contributif, génère de la cohérence, des synergies, de la création de valeur.

Et surtout, pour tous ceux qui font la vie d’un territoire, la clé du succès est de se poser la question centrale : et moi, que puis-je faire pour que cet investissement exceptionnel (parce que rare) s’inscrive dans un écosystème créateur de richesses, dont je serai moi-même acteur ? Puis de passer à l’acte, avec ses compétences, son énergie, ses capacités d’investissement, et de décision.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Territoires

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Publié le 3 Avril 2014

A l’occasion de la Journée nationale du réserviste (le 10 avril), il peut être utile de rappeler quelques caractéristiques de ces individus qui échappent, souvent, aux tentatives de classification, et donc de compréhension.

Les réservistes militaires : un bien curieux bestiaire

Par définition, un réserviste militaire est un citoyen qui alloue volontairement une partie de son temps aux Armées. Cette relation est obligatoirement régie par un lien contractuel : un engagement à servir dans la réserve (ESR), sorte de contrat d'intermittent à temps choisi par accord mutuel, et qui rémunère le temps passé ; ou au moins, un agrément de « collaborateur bénévole du service public » (CBSP), qui formalise et reconnait une contribution totalement désintéressée.

 

Les grands fauves

286928.ori.jpgIl y a d’abord les « grand fauves », seigneurs des lieux: les réservistes retraités du service actif. Après une carrière classique, souvent longue, pendant mais aussi après leur obligation de disponibilité (5 ans après leur départ), certains choisissent de prolonger leur engagement dans les Armées, à raison de quelques (parfois, quelques dizaines) semaines par an.

Avec eux et pour eux, c’est du gagnant-gagnant. Ils complètent leur retraite de jeunes retraités actifs, en forme et compétents. Et les Armées bénéficient, en particulier en des temps de réductions drastiques des formats, de personnels immédiatement employables, qui connaissent parfaitement le poste qu’ils occupent - puisque c’était parfois le leur quelques mois avant ce changement de statut -, ou en tous cas le contexte et les règles et enjeux spécifiques à ce monde professionnel. Pour les Armées, ce sont de vrais « professionnels à temps partiel », employables immédiatement et facilement.

A ceux qui, découvrant cette situation, souhaiteraient lire ici une critique d’anti-militariste primaire, prompt à chasser le soldat par nature suspect quand il n’est pas tout simplement dangereux, il convient de rappeler que les entreprises, mais aussi les services de l’Etat et les collectivités font de même, en employant comme consultants (le statut d’auto-entrepreneur est bien pratique), des jeunes retraités – ou « pré-retraités » - que les réorganisations ont poussées dehors, en pleine possession de leurs compétences, pour le plus grand malheur de tous…

Par bonheur, dans tous ces cas, l’ingéniosité des hommes l’emporte toujours sur la complexité des mesures administratives dès lors qu’il convient de faire tourner la boutique, en particulier les intérêts supérieurs du pays… Le glaive et la cuirasse, dans le bon sens cette fois.

Fins connaisseurs de la machinerie administrative – car les Armées sont une administration, rappelons-le -, ces réservistes la font fonctionner souvent directement pour eux-mêmes et la réalisation de la mission, passant du statut d’active à celui de réserviste sans que personne n’y voit rien… à l’exception de leur maître-tailleur, heureux de coudre quelques galons supplémentaires acquis tout naturellement du fait de la reconnaissance de leur ancienneté et de leur utile disponibilité de retraité actif.

Vu de l’extérieur, leur statut de « militaire » ne change pas : ils demeurent ceux qu’ils ont toujours été, mais seulement à temps partiel. Leur entourage le remarque, ou pas.

 

Les dinosaures

dinosaures-marche-dinosaures-big.jpgIl y a aussi les dinosaures. Depuis la fin du siècle dernier, et la suspension du service national, ils sont par nature appelés à disparaître… Après leur période obligatoire – désormais lointaine -, ils ont voulu continuer à servir au sein des Armées, d’abord de façon plutôt informelle puis, au fil des ans et des évolutions statutaires et réglementaires, avec un lien plus formalisé.

Si leur extinction est inéluctable, leurs motivations sont complexes. Ils animent les préparations militaires, les journées de citoyenneté et occupent des emplois divers dans les Armées, souvent sur le territoire national, et parfois en opérations extérieures. Ils portent l’uniforme, ont un grade, réalisent des activités très « militaires ». Chez eux, on les regarde parfois avec fierté, parfois aussi avec agacement, lorsque leurs absences se font au détriment de la vie de famille ou de l’activité professionnelle. Pour certains dinosaures, la discrétion est de ce fait devenue une habitude.

Certains voient d’ailleurs chez eux des « aventuriers », quand ce ne sont pas des « mythos ». D’autres leur attribuent des pratiques parasitaires (la solde, les décorations, l’uniforme…). Souvent, on les tolère, dès lors qu’ils ne perturbent pas trop le fonctionnement de services déjà très sollicités. Il convient qu’ils s’adaptent, et non l’inverse !

Il est vrai qu’ils sont difficiles à cerner. Ils vivent la plupart du temps dans le monde civil. Alors, bien sûr, ils ont passé un an dans les Armées (parfois un peu plus), mais c’était il y a longtemps… Ce ne sont donc pas des militaires professionnels. Mais puisqu’ils vieillissent, ils acquièrent aussi une certaine expérience. Au sein des Armées, car ils suivent des formations, parfois partagées avec leurs camarades d’active. Et puis dans leur activité professionnelle « civile», qui pourrait parfois être utile aux Armées. Leur légitimité, voire leur autorité, est parfois reconnue.

Mais au bilan, ce ne sont pas des « guerriers », et rarement des « spécialistes ». Alors, pourquoi s’en préoccuper, en particulier lorsqu’on n’a pas de temps pour réaliser les missions assignées ? Il suffit d’attendre qu’ils disparaissent… Mécaniquement, et au plus tard avec les limites d’âge. Et chez eux aussi, on attend qu’ils se lassent de ces « jeux d’enfants », à moins qu’on n’en redoute leur retour…

 

Les pique-boeufs

PiqueBoeuf.jpgSe développe depuis quelques temps l’espèce « pique-boeufs » (des oiseaux qui accompagnent les grands mammifères, comme les rémoras les requins) : les réservistes citoyens. Même si elle existe depuis plusieurs années, les Armées  voyaient dans cette espèce des « papys » souvent sympathiques mais aussi chronophages et parfois encombrants. Elles lui trouvent désormais, en ces temps de rude disette,  beaucoup d’avantages.

En effet, cette réserve citoyenne ne coûte rien tout en rendant des services divers : des actions d’environnement, en disant autour d’eux du bien de l’institution, et en contribuant à la résilience de la société, en contribuant à la diffusion d’une « bonne parole citoyenne ». Certains vont même plus loin, en apportant gracieusement aux Armées des expertises « civiles » précieuses.

Chacune des forces armées s’est donc lancée dans une quête auprès de personnalités emblématiques (artistes, sportifs…) mais aussi d’experts qualifiés dans des domaines professionnels utiles aux Armées. L’ambition désormais est de rajeunir cette population en recrutant une diversité d’acteurs de la société civile, plus jeunes, et de toutes origines.

Mais qu’est-ce qui motive ces « pique-bœufs »  ? Certains sont d’anciens grands fauves qui, avec les années qui passent, ne peuvent plus occuper de fonctions opérationnelles. Ils s’engagent alors dans les associations d’anciens, retrouvent leurs camarades et contribuent notamment au devoir de mémoire.

Mais ceux qui émergent sont une nouvelle variété… Ils n’ont aucune expérience militaire – le plus souvent en raison de leur âge, car impossible de devenir réserviste opérationnel passé 30 ans –. Mais ils souhaitent concrétiser un engagement civique, « citoyen » comme on dit aujourd’hui. Alors, ils donnent leur temps, leur expertise, leur énergie. Gratuitement. Certaines Armées leur attribuent même le droit de porter l’uniforme, d’autres seulement un insigne.

Leur action au profit de leur « hôte » est souvent réduite à son « environnement ». Ils rendent de menus services et servent aussi d’alerte, en cas de perturbation à proximité du grand corps. Ils peuvent un peu encombrer mais globalement, ils sont assez utiles et surtout, ils n’impactent pas l’intérieur du corps social – ils sont d’ailleurs gérés spécifiquement, souvent par les grands chefs.

Et puis, le lien Armées Nation est une directive du commandement. Alors, on les tolère, on les regarde même parfois avec bienveillance, curiosité, intérêt. Car ils ne coûtent pas grand chose, si ce n’est un peu de temps et d’écoute. Et puis c’est un peu de « relations publiques » avec des représentants d’un monde civil qui parfois, avec la reconversion de demain, pourra être utile, directement ou indirectement.

Vus de l’extérieur, c’est une population étrange. Pour les anciens « grands fauves », c’est simple, presque logique. Mais les autres ? Servir gratuitement ? Il y a tant d’associations et de causes humanitaires…

 

Les suricates

suricate_ld01.jpgLes « suricates », sont une espèce encore plus récente. Dans le bestiaire des réservistes, ils sont voués à succéder aux « dinosaures ».

Comme les « pique-bœufs », ils sont issus de la « société civile ». Mais ils acquièrent, de par une formation militaire initiale (deux semaines de formation et un mois de stage, en général), un « vernis militaire » opérationnel, un grade, un statut, un contrat.

Administrativement, rien ne les distingue des « dinosaures », ni des « grands fauves » d’ailleurs. Comme eux, ils sont titulaires d’un ESR et sont donc employés – moyennant rémunération – par les Armées, pour un emploi donné. Mais leur expérience du monde militaire est encore plus réduite que celle des « dinosaures » – et évidemment de celle des « grands fauves ».

Alors pour la plupart, les unités des Armées demeurent très perplexes quant à cette nouvelle population. Ces jeunes réservistes sont potentiellement des symboles du lien Armées-Nation, cher aux grands Chefs. Mais alors, pourquoi les distinguer des « pique-bœufs » ? D’autant plus qu’il faut les payer, les équiper, les entraîner, les employer… Et toutes les entreprises connaissent le problème : un « stagiaire », ça prend du temps, parfois plus que ça n’en « rapporte ». Ajoutons le fait qu’ils sont moins disponibles que les « grands fauves », puisqu’ils sont étudiants, ou jeunes professionnels. Alors, il est souvent difficile pour eux de répondre au coup de sifflet bref, ou de se libérer pour longues périodes.

Quant à leur « style », il est parfois étonnant pour l’institution. Enfants de la génération numérique, ils photographient, postent leurs « exploits » lors des préparations militaires ou actions d’entraînement… Difficiles à contrôler, donc, et pas assez disciplinés. Alors, bien sûr, le buzz qu’ils génèrent est plutôt positif, enthousiaste, généreux… Mais libre par nature.

L’avenir de ces « suricates » est donc très incertain, en dépit des investissements de formation initiale que font les Armées, au travers des préparations militaires et autres actions similaires. Les garder, les entretenir, les former… Pourquoi ?

 

Avec les réservistes, inventer une « gestion des compétences inversée » ?

reservistes-alerte-guepard.jpgEn dehors des « grands fauves », qui ont une utilité reconnue, et trouvent dans cet engagement post-active du sens et des intérêts partagés, la fonction du réserviste militaire est sujette à de multiples incertitudes.

Car ces réservistes militaires mais « civils » ne peuvent être pris en compte que de façon individuelle, alors que les Armées fonctionnent souvent par « grands flux » : pour les emplois (même si c’est de moins en moins vrai), et pour les formations, les filières.

De par leur nombre restreint (surtout quand on enlève les « grands fauves », majoritaires), les réservistes ne peuvent que difficilement entrer dans les catégories du monde militaire. Très concrètement, d’ailleurs, les systèmes d’information du ministère ne peuvent que très difficilement les suivre efficacement, quand bien même – et peut-être parce que -  la volonté est affichée de les traiter comme leurs camarades d’active.

Et encore une fois, en ces temps de réduction et de transformations massives, les personnels en place n’ont, a priori, pas la disponibilité suffisante pour prendre en compte leurs spécificités, quand le propre avenir du « cœur de métier » est déstabilisé, voire menacé.

Pourtant, leurs compétences individuelles pourraient certainement être utiles aux Armées. A condition de pouvoir procéder à une « gestion des compétences inversée », dans laquelle on ne définit plus les postes pour rechercher ensuite les profils, mais dans laquelle on identifie les ressources disponibles (qualitativement, quantitativement, spécifiquement), pour se demander ensuite comment elles pourraient être utile à la réalisation des missions. Un vrai changement de paradigme, certes, mais est-ce totalement inopportun, alors que la pression sur les ressources s’accroit ?

Enfin, au-delà du lien Armées-Nation, qui peut aider l’institution à mieux faire comprendre ses enjeux et contraintes, y compris au plus haut niveau de décision, les réservistes de toutes espèces contribuent à la résilience de notre société, individuellement et, lorsque cela leur est demandé, collectivement. Alors que « la fin de l’Histoire » n’est plus qu’un concept dépassé par les conflits et les tensions, ces ilôts de stabilité ne peuvent être que des atouts, à ne pas oublier et peut-être aussi, à entretenir. 

 

PS (après publication) : 

Certains se sont émus de mon "bestiaire" qui voulait, avec malice mais sans dénigrement aucun, décrire différentes contributions utiles et respectables.

Pour les réservistes citoyens, les actions d'environnement, en France et à l'étranger, et les apports d'expertise.
Pour les anciens d'active, la capacité et les compétences pour servir immédiatement, et avec toute leur connaissance des métiers, des processus, des enjeux.

Mais j'ai une affection particulière pour les deux autres catégories : les "dinosaures" et ceux qui, avec les années qui passent, les remplaceront avec l'expérience qu'ils acquerront et les responsabilités qu'ils prendront - les "suricates" - les réservistes opérationnels issus du monde civil.
Ainsi que le décrivent les sociologues, les interactions entre univers professionnels réussissent grâce aux "marginaux sécants" : ceux qui appartiennent à deux ensembles à la fois. Parce qu'ils comprennent et surtout pratiquent les spécificités de chaque ensemble.

Les réservistes citoyens ont une généreuse empathie pour l'institution, une envie de servir, et la découvrent grâce aux actions pédagogiques. Ils lui apportent leurs compétences "externes". Et c'est précieux.
Les anciens du service actif demeurent, même après leur départ de l'institution, imprégnés de leur culture d'origine, même si beaucoup réussissent à prendre un peu de recul. Cela dit, c'est aussi un atout, car ils sont un véritable réservoir de forces, immédiatement utile.

Mais les "marginaux sécants", "dinosaures" et "suricates", sont à l'interface des deux mondes - avec un "vernis" militaire, et surtout parce que, dans leur emploi opérationnel et les entraînements menés avec leurs camarades d'active, ils ont l'expérience concrète de la vie au sein des Armées, de leurs contraintes, de leurs spécificités.

Chaque réserviste est utile, et complémentaire : individuellement et collectivement, dès lors que chacun connaît et reconnaît les contributions de l'autre, les respecte et les apprécie.

PS 2 : et il y avait eu une suite sur le blog Défense animé par le journaliste Philippe Chapleau : http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2014/04/09/la-journee-nationale-des-reserves-une-occasion-pour-valorise-11561.html

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Rédigé par Alexis Kummetat

Publié dans #Social change, #CIMIC

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Publié le 27 Mars 2014

En France comme ailleurs en Europe, le métier d’ingénieur n’attire plus assez les jeunes talents, et cette pénurie met en péril mortel la capacité industrielle du Vieux Continent. Pour les attirer, on promeut le leadership traditionnel (« l’ingénieur premier de cordée ») et l’innovation, comme production de  l’intelligence ingénieriale. Dans les deux cas, le syndrome du « premier de la classe ». Et si les vrais enjeux étaient ailleurs ?

L’ingénieur collaboratif, leader de demain

Les pratiques collaboratives des ingénieurs français ne sont que peu étudiées par les chercheurs et auteurs hexagonaux. Pourtant, ailleurs, et en particulier dans le monde anglo-saxon, c’est un sujet important de préoccupation, tant pour les entreprises, qui exigent des formations d’ingénieurs qu’elles développent ces compétences et pratiques, que pour les enseignants, formateurs et chercheurs, qui multiplient et promeuvent les pratiques innovantes.

Poser la question des pratiques collaboratives dans le monde des ingénieurs français, c’est souvent s’attirer l’indifférence, le dédain, voire l’hostilité. Un tabou ou une question inutile ?

Pourtant, le travail collaboratif est vital pour les entreprises (et plus largement d’ailleurs), tant dans leur fonctionnement quotidien que pour leur capacité à trouver des solutions innovantes, en particulier lorsqu’il s’agit d’innover dans la rupture, en remettant en cause les approches habituelles qui ne répondent plus à un monde en perpétuel mouvement.

Les difficultés françaises sont multiples et imbriquées, et donc complexes, mais on peut en identifier trois, structurantes.

 

Le syndrome du « premier de la classe »

 

Tout commence par la définition de l’ingénieur français. Pour certains, il y a « les écoles de tête », qui recueillent le prestige et l’attention, et « les autres », que l’on compare avec distance aux « formations » allemandes, par exemple, qui nourrissent pourtant le tissu industriel le plus dynamique en Europe. Le propos n’est pas de disqualifier ici la formation exceptionnelle, et mondialement reconnue, des grandes écoles françaises d’ingénieurs. Mais ce regard sur « les autres » témoigne d’une approche ségrégationniste voire clanique, qui isole et affaiblit, en partie héritée d’un processus de sélection unique, redoutable. C’est en effet parce qu’ils auront franchi les barrières successives des meilleurs lycées, des plus rudes prépas et des concours les plus difficiles, que les « élus » pourront accéder à ces écoles d’élites, qui leur conféreront toutes les chances de succès professionnel. Ce résultat, ils l’acquerront à force de talent, de travail acharné, de résistance au stress, d’abnégation de leurs plus belles années de jeunesse.

Alors, il est facile d’imaginer que, consciemment ou inconsciemment, ces ingénieurs ont acquis, au fur et à mesure, la conviction d’être les « meilleurs » : les plus brillants esprits formés à résoudre les problèmes les plus complexes. Et c’est souvent vrai.

Pourtant, les problèmes les complexes ne trouvent pas toujours leur résolution dans des approches purement « intelligentes ».  Face à une situation vraiment « complexe », et en particulier parce qu’elle intègre des paramètres humains, il faut souvent « bricoler », admettre un écart à l’idéal, une part importante d’incertitude. Et ça, l’ingénieur d’élite n’aime pas…

Cette réponse à une problématique complexe ne peut être véritablement apportée que par un travail véritablement collaboratif entre des compétences diverses. Pas seulement par la conjonction de plusieurs approches ingénieriales (car la collaboration entre ingénieurs est une réalité opérationnelle, même si les interfaces entre spécialités sont parfois problématiques), mais entre des rationalités véritablement différentes. Et c’est là que les vraies difficultés commencent, en particulier lorsqu’il faut faire collaborer (et non pas seulement coexister) les experts des « sciences dures » - les premiers de la classe -, et les partisans des « sciences molles » (ont-ils vraiment choisi cette voie, ou est-ce par défaut, s’interrogent certains…). Car dans le système scolaire français, la prime est aux « matheux », même lorsqu’ils n’aiment pas ça…

Il ne s’agit pas là de recommander le nivellement par le bas, ou de souhaiter briser les filières d’excellence, en particulier dans les métiers d’ingénieurs, déjà insuffisamment valorisés. Mais d’assumer aussi, sans esprit de hiérarchie, que d’autres formations sont aussi utiles à la réussite collective. Encore faut-il que, dans les années d’orientation, les élèves aient accès à des conseils de professionnels qui leur fassent découvrir le monde de l’entreprise, au-delà de Zola, des risques psychosociaux et du taux de chômage.

En l’occurrence, bien loin des clichés et de l’ignorance subie ou acceptée, le monde des entreprises industrielles ne manque pas d’attraits, en matière de qualité de vie professionnelle, de réalisations concrètes et utiles, et d’évolutions tout au long de la vie.

 

La volonté de puissance : Descartes, inutile et incertain

 

Cette difficulté à « vivre ensemble », entre professionnels issus des sciences dures et des sciences molles, tient à une vieille tradition française, marquée par la philosophie cartésienne et ses dérivés dans les sciences dites « de gestion ».

Cette tradition est sans doute à l’origine de l’excellence des formations d’ingénieurs. Son projet est en effet de maîtriser la nature, d’imposer la volonté de l’homme. Cette volonté de puissance est un moteur extraordinaire pour chercher à déplacer les montagnes, à se dépasser. Elle est aussi un terrible handicap, car elle identifie la nécessaire humilité devant la complexité de notre monde à une condamnable faiblesse.

Face aux phénomènes complexes, cette posture n’est qu’arrogance. Là encore, une particularité française, qui donne des leçons au monde, et n’accepte d’en recevoir aucune… Pourtant, depuis le début du XXe siècle, les physiciens savent que le comportement d’un système à trois corps est par nature imprédictible. Alors comment imaginer maîtriser totalement des phénomènes dans lesquels la complexité de la matière s’enrichit des interactions humaines ?

Le progrès technologique est sans aucun doute source de bienfaits, et il est facile de critiquer le monde moderne, confortablement installé devant son poste de télévision… La compréhension du monde progresse chaque jour. Mais c’est par nature une quête inachevée.

La réalisation et la maîtrise de systèmes complexes doivent donc rechercher la fiabilité plus que le contrôle. Et cette quête ne peut s’inspirer d’un constructivisme à vocation omnisciente et omnipotente, car il est indispensable d’accepter l’incertitude, le brouillard de la guerre, la fumée plus que le cristal. Dans cette même logique, le facteur humain ne doit pas être perçu comme un « maillon faible », mais au contraire comme l’élément clé de la résilience des systèmes.

L’approche ingénieriale doit donc intégrer les apports des « sciences molles », à titre individuel, comme à titre collectif.

A titre individuel, cela peut se traduire par des apports dans la formation initiale qui dépassent la simple « culture générale », pour nourrir la capacité de résolution de problèmes, challenger la rigueur de l’ingénieur, et ses certitudes. Cela peut aussi se concrétiser par le croisement de parcours de formations, au-delà de la seule capitalisation de diplômes successifs – si possible d’excellence, pour être le premier parmi les premiers. A titre collectif, cela peut se traduire par la rencontre sur projets d’expertises diverses, combinées pour apprendre ensemble.

Le développement de filières mixtes, entre pôles de formation français, est un signe encourageant pour l’avenir, et les exemples à l’étranger ne manquent pas non plus, pour s’inspirer des meilleures pratiques.

Et puis, les pratiques collaboratives ne doivent pas seulement reposer sur les outils, mais sur les hommes, qui les façonnent. Dans le monde ingénierial d’aujourd’hui, les « systèmes collaboratifs » désignent exclusivement des outils informatiques permettant le partage de données, dans des environnements les plus complexes. Mais aussi ouvert que soit un système, il ne se nourrit que des données que les hommes veulent bien y intégrer, et qu’ils pourront y chercher, quelque soient les règles et directives, managériales ou automatisées…

Enfin, les pratiques collaboratives ne peuvent non plus reposer exclusivement sur des organisations pensées savamment, sur des processus gérés scientifiquement pour « obliger » à la collaboration… Les pratiques collaboratives sont des flux qui se nourrissent des pratiques individuelles, volontaires et contributives. Les organisations, les processus ne sont alors que des photographies instantanées, des repères à partager, à construire et déconstruire pour s’adapter aux objectifs du moment des hommes qui les font.

 

Le pouvoir comme objectif et comme statut : une logique Maginot

 

Les perceptions individuelles des enjeux collaboratifs se nourrissent des appétences de chacun mais aussi des facteurs collectifs, hérités du passé ou bien vécus. Pendant leurs années de formation et de pratique professionnelles, les ingénieurs ont dû faire la preuve qu’ils étaient les « meilleurs »… Et maintenant, ils devaient se convaincre que la solution, voire le « pouvoir » vient des « queues de liste », des inclassables, voire même des « universitaires » ?...

La société française souffre de la pérennité de « castes », qui s’affrontent et freinent les dynamiques collectives, quand elles ne les cassent pas.

Prenons rapidement trois exemples de grandes entreprises industrielles françaises, lorsque leur direction a été confiée à des non-ingénieurs : EDF, Orange, SNCF… Les réactions à l’externe trahissent, ou révèlent, nombre de réactions à l’interne, lorsque les transformations provoquent des difficultés, comme partout. Un choix « politique » (l’influence plus que la compétence), une entreprise qui abandonne sa vocation industrielle (noble) pour devenir une entreprise de services (les « marchands de yaourts »…)…

Force est de constater que ces affrontements existent aussi à l’intérieur des « grands corps », qu’ils soient d’ingénieurs ou issus de l’administration… Mais lorsqu’il s’agit de la perte d’un bastion « détenu » par des ingénieurs, au profit d’autres profils, c’est encore plus violent. Et à raison, car cela témoigne d’une évolution récente des organisations industrielles, partout dans le monde, qui touche à l’identité professionnelle de beaucoup.

Il y a encore peu de temps, l’ingénieur imaginait un produit pour répondre à un besoin identifié : se déplacer plus vite, plus loin, produire de l’énergie en toute sureté, et à un coup réduit, faciliter les échanges, partager les données à très haut débit...

Aujourd’hui, les producteurs de services, voire les marketeurs, imaginent des usages, pour lesquels il faudra produire des machines, des supports. Au Royaume Uni, comme l’exprimait James Dyson dans son interview récente aux Echos, les ingénieurs sont perçus comme des réparateurs de machines à laver alors qu’avant, ils les concevaient…

Ce renversement du processus créatif s’est fait à l’échelle d’une génération, et il est humainement compréhensible que cette inversion soit très difficile à vivre pour ceux qui détenaient le « pouvoir » jusqu’à présent, collectivement mais aussi, bien souvent, tout au long de leur propre parcours professionnel.

En réalité, lorsqu’il s’agit de produire dans un monde complexe, ou d’innover, l’approche « hiérarchisée » du pouvoir n’est plus adéquate. Elle est contre-productive. La question n’est pas de savoir qui, des ingénieurs, des énarques ou des commerçants, a pris le « pouvoir ». Elle est de rassembler ces énergies et ces compétences, vers un même objectif. Et ceci sans se poser la question insoluble de la « gouvernance » : pour faire simple, la question de savoir qui sera le « chef ».

Au-delà de la population des ingénieurs, la société française souffre de cette logique de bastions, de statuts : une logique figée dans le passée, dans l’immobilité. Alors qu’en matière de collaboration et d’innovation, le leadership est, par essence et par nécessité, partagé.

 

L’ingénieur collaboratif : des talents à mobiliser

 

La « technologie » ne fait peut-être plus rêver les jeunes, parce qu’ils pensent avant tout aux usages… Mais sans support matériel innovant, quels services ? Le « Cloud » lui-même illustre cette complémentarité entre de multiples expertises ingénieriales, du plus physique au plus virtuel, depuis la conception de supports performants, durables, économiques, jusqu’à la complexité des flux immatériels de données. Peut-être assimile-t-on les métiers d’ingénieurs aux métiers « manuels », dévalorisés… Sauf pour ceux qui mettent leurs capacités de raisonnement au service des flux financiers, eux aussi dématérialisés… Mais les écoles d’ingénieurs ont-elles une raison de former à ces métiers certes rémunérateurs, mais tellement éloignés de leur vocation ?

Les jeunes générations sont avides de mobilité, de fluidité, d’échanges ad hoc, informels.  Mais quelle plus belle occasion qu’une formation d’ingénieur, dès lors qu’elle ouvre au travail avec les autres, à la confrontation constructive avec d’autres rationalités, à la pratique d’autres expertises, dans le respect des contributions de chacun, plutôt que dans la recherche d’antiques hiérarchies, staliniennes statues qui n’attendent que d’être déboulonnées quand certains les maintiennent pour l’édification des masses.

Les jeunes font « leur marché »  dans les formations, les expertises, les expériences professionnelles ? Et qu’importe, dès lors qu’ils se rassemblent au service d’un objectif commun. L’enjeu n’est en effet pas de les corseter, de les contrôler, de les brider, il est de les mobiliser. Mais c’est évidemment plus compliqué…

L’ingénieur, leader de demain, ne sera pas un « chef », pas plus qu’il ne sera un « subordonné ». Il sera, comme d’autres, et peut-être mieux que d’autres, dans certains cas, un animateur de talents et de compétences, d’énergies et de projets.

La formation d’ingénieur n’est pas une échelle vers le « pouvoir », désormais inaccessible puisque partagé. Elle est une école de rigueur, de résolution de problèmes, de création de richesses. Elle ouvre sur le monde, pour aider à le comprendre, à y vivre mieux, mais sans chercher en vain à le dominer. Elle est donc, elle aussi, ouverte sur les autres. 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 28 Février 2014

Les entreprises, et désormais certains territoires, allouent des moyens importants à l’adoption de « stratégies de marque ». Quelle en est l’efficacité en termes de notoriété ? Sans doute variable, en fonction du talent des créatifs et des budgets alloués. Mais en termes d’appropriation, c’est toujours contre-productif.

 

Pourtant, la proximité et l’appropriation font partie des enjeux clés, et revendiqués comme tels, des entreprises et des organisations. Engagement, mobilisation, mais aussi crowdfunding, crowdsourcing, ou même co-construction… autant de concepts et de termes installés ou émergents qui témoignent, au-delà des systèmes de reconnaissance, de l’envie et de la nécessité des actions collectives. Pourtant, les marques font l’objet d’investissements importants, puis de déploiements souvent assortis d’injonctions managériales, de contraintes juridiques et de contre-parties financières. Autant de processus qui brident ou brisent les véritables dynamiques collectives.

 

L’intelligence contre la contribution

 

Le mode même de l’adoption d’une marque est significatif de l’éloignement que cette stratégie induira. Des « créatifs » travaillent à l’élaboration d’une marque message, à partir d’images perçues, revendiquées ou supposées comme telles.

Le choix peut-être ensuite finalisé par un collectif restreint : la communication est un « art », qui a ses experts, et parfois ses stars.

On associe toujours les « dirigeants », qui payent. Mais les écoute-t-on ? Et surtout, les sollicite-t-on vraiment, au-delà d’une déférence mercantile qui dissimule parfois le dédain du « sachant » pour les « novices ».

Parfois, on associe plus largement, dans le cadre d’actions « participatives », ou « d’intelligence collective ». Alors, lorsqu’il s’agit de donner un avis, et surtout en matière de « communication », tout le monde peut se prêter à l’exercice.

Mais quels sont les facteurs de choix ? Les mécanismes inconscients, nés de l’histoire individuelle et des interactions collectives, sont indéchiffrables. Et pourquoi pas ? Le handicap majeur de cette démarche est qu’elle s’appuie uniquement sur l’intellect. Et on est souvent « plus intelligent » que l’autre, surtout depuis qu’émergent, enfin, les formes alternatives « d’intelligence » (intelligence émotionnelle, relationnelle…).

Mais quelle est la pertinence d’une idée, si elle n’est pas mise en œuvre ? Sans action, l’intelligence est incertaine, mais surtout inutile. Alors, quelle est celle d’une marque, qui ne témoigne pas de dynamiques collectives, d’actions concrètes, de contributions, passées, en cours et à venir ?

En termes de processus collectifs, le succès n’est pas dans l’intelligence ; il est dans l’action.

 

La fugacité de l’image contre la pérennité de l’appartenance

 

Qu’évoquent pour vous aujourd’hui Apple ou Starbucks ? Un présent, une image. Et pourtant, ce sont aussi deux entreprises, avec leur histoire, leur capital génétique et les « valeurs » qui ont sous-tendu leur réussite – et auxquelles les dirigeants veulent revenir régulièrement, pour retrouver leur authenticité, leur cohérence d’action – leur proximité avec leurs employés et leurs clients.

De plus, parce qu’elle ne s’ancre pas dans l’action, le quotidien, la proximité, une marque peut être remplacée par une autre, au gré de la qualité des produits mais aussi des budgets de communication alloués. Apple ou Samsung ? On est loin de l’adhésion à une aventure collective…

Parfois, on retire l’article défini (le, la), pour capitaliser sur le passé. Cela peut paraître insignifiant. C’est un changement radical car il signe le passage de l’appartenance au symbole, de la reconnaissance par le vivre ensemble à celle du signe, du contenu au message.

On peut changer de marque, dès lors qu’on en a les moyens. Et même dans ce cas, la notoriété peut prendre du temps… La transformation d’une entreprise, d’un collectif, demande des années, du talent, de l’énergie. Et elle échoue souvent, pour de multiples raisons, et souvent parce qu’une solution « intelligente » n’a pas pu répondre à la complexité des organisations humaines, et de leurs interactions.

Alors, à moins de croire aux coups de baguette magique, comment imaginer qu’une stratégie de marque pourra remplacer la puissance de mobilisation des énergies collectives ?

 

A l’interne, une action contre-productive

 

On peut admirer une marque, et même la revendiquer, l’arborer. On est alors dans l’intellect, dans le signe, et éventuellement les symboles qu’on y rattache soi-même (plus que ceux qu’elle affirme « véhiculer »).

La marque encourage à la passivité : on marque les animaux pour les reconnaître, en revendiquer la propriété. Adhéreriez-vous à une marque ? Vous engageriez-vous, vous mobiliseriez-vous pour elle ? Contribueriez-vous à son développement, à moins d’être payés ou d’en tirer un bénéfice ?

Chacun travaille dans une entreprise, une collectivité, un territoire. On ne peut revendiquer son appartenance qu’en ayant le sens – et parfois la fierté – de contribuer à une aventure collective. On peut être fier d’un « label », dès lors qu’il témoigne de compétences, de valeurs, de pratiques.

Mais d’une marque ? Lorsqu’elle est signe de reconnaissance, elle peut valoriser « ceux qui en sont ». Mais c’est toujours en se distinguant de ceux qui « n’en sont pas ». Une fierté exclusive, et non pas inclusive. Et qui témoigne d’une appartenance à un collectif auquel la marque peut être associée un moment, pour un temps. La marque est signe. Elle n’est pas appartenance.

 

A l’externe : le marquage contre les interactions

 

On peut interagir avec les représentants d’une entreprise, d’une collectivité, d’une organisation. Et toutes les démarches « tournées clients » visent à faire de chaque représentant le porteur et l’acteur des compétences, des valeurs, et aussi de l’image que le collectif veut donner, pour nourrir la proximité, créer de la valeur avec les autres, clients, partenaires, parties prenantes.

On n’interagit pas avec une marque. On la revêt, volontairement, pour bénéficier de son image ou contre rétribution. Involontairement, on la subit souvent, avec le sentiment de n’être qu’un « véhicule » - panneau publicitaire mobile…

Dès lors, la « relation », si on peut la définir comme telle même lorsqu’elle est volontaire, est seulement intellectuelle, désincarnée. On l’accepte, on le revendique éventuellement. Mais c’est avant tout un processus mental. Et si les stimuli mentaux sont importants, ils ne sont pas pérennes, et ne sont pas des actions.

Alors, à moins de chercher l’enfermement par une captation permanente du « temps de cerveau disponible », une stratégie de marque est incapable de générer une relation pérenne, inscrite dans l’action, et se voue à la course éternelle et coûteuse au « zapping » du « consommateur ».

Car une marque témoigne aussi de relations commerciales : on l’achète ou elle vous achète. Mais les relations, y compris professionnelles, ne sont pas seulement faites d’échanges économiques. La qualité de relation est faite d’histoires vécues et partagées, d’interactions humaines, d’affinités.

A l’heure des « entreprises étendues », des groupements ad hoc, des coalitions de circonstance, une marque ne peut fédérer des acteurs libres car elle n’est pas une aventure.

Enfin, une stratégie de marque peut s’affirmer totalitaire, et tuer ainsi la « relation », qui se nourrit de la diversité des modes d’interactions, par nature inégales et variées.

Pour les lieux et les territoires, la dissonance générée par une stratégie de marque est encore plus grande. On grandit, habite, travaille dans une ville, une région, un bassin de vie. Pas dans une marque ! Lorsque les territoires décident d’adopter une « stratégie de marque », ils tentent de trouver – et souvent d’imposer – un signe commun… Mais comment réduire à un message la complexité des vies, des avis, des perceptions ?

Alors, pour vendre une « destination », pourquoi pas. Mais jamais une action de vente n’a mobilisé des foules, en dehors des commerciaux intéressés – et encore…

 

 

Les actions de communication ne sont pas inutiles. Le paquet cadeau embellit l’objet, et il est dans certaines cultures un élément constitutif du présent. Et le message qui accompagne le don porte tout le sens du geste, au-delà du transfert de biens.

Ainsi, une stratégie de marque peut accompagner la valorisation des productions d’une entreprise, ou d’un territoire, lorsqu’ils souhaitent « rénover la façade ». Mais elle ne permet pas de s’affranchir des vraies dynamiques d’action collective, qu’elle ne générera jamais.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 31 Octobre 2013

Etre soldat, c’est avant tout s’engager pour servir. Mais servir sans moyens : comment, et peut-être, à quoi bon ? Les budgets de défense ne sont pas des dépenses, mais des investissements. Dès lors, les militaires ne doivent pas avoir honte à parler « retour sur investissement ».

 

L’heureuse actualité de la libération d’otages français permet à la presse française d’évoquer aujourd’hui, parfois entre les lignes, les interfaces entre des enjeux perçus comme « sécuritaires », et des intérêts économiques.

Mais le traitement politique des conditions de résolution de cette prise d’otages entretient la schizophrénie – ou au moins la gêne – vécue en France en ce qui concerne les « intérêts » de notre pays.

 

« Grand principes » et argent

saint-cyrien-au-cnec-13.jpgA l’Etat, la défense des « grands principes », y compris au moyen de l’intervention armée ; aux entreprises les « basses besognes » de l’argent.

Sans l’actualité brûlante des armées françaises – qui fait moins de bruit que les portiques démontés en Bretagne mais concerne au moins autant de familles et d’emplois -, on pourrait, encore une fois, ignorer cette habituelle répartition des rôles. Mais les choix budgétaires imposés aux forces armées et à leur environnement résonnent avec cette libération sahélienne.

Les soldats français ne sont pas des mercenaires, et ils ne choisissent pas cette vie si particulière – qui implique par nature l’éventualité de la mort, donnée ou reçue – pour l’argent. Mais leur action collective ne s’exerce pas seulement au nom de « valeurs », souvent plus évoquées à l’appui de décisions ad hoc, qu’explicitées sur le long terme. Elle sert plus généralement les intérêts de la France : intérêts vitaux, intérêts stratégiques.

Les « intérêts » ont mauvaise presse en France, où on n’aime pas parler d’argent, et encore moins lorsqu’on voue sa vie à des principes bien supérieurs. Et pourtant, sans défense des « intérêts », pas d’approvisionnements en ressources énergétiques, minérales, voire alimentaires. Et ceci n’est pas un concept, mais une réalité bien tangible.

La cas sahélien de ces jours-ci permet d’évoquer les approvisionnements en uranium et en minerais stratégiques. Mais lors de la crise syrienne, top peu ont parlé gaz naturel, et lutte entre la Russie et les pays du Golfe pour l’approvisionnement, par le territoire syrien, des marchés européens – et donc des intérêts français.

 

Des élites parallèles

ued-2013-7.jpgLa France des grands décideurs est séparée en castes d’élites parallèles. A titre d’exemple, l’initiative conjointe HEC/ENA/Ecole de guerre, qui réunissait le 7 juin dernier avec un objectif vertueux pour les « étudiants » de ces trois filières de présenter des travaux communs, témoignait en réalité, par les échanges dans la salle, au mieux d’une coexistence polie, mais pas de réelles synergies. Enarques et HEC bénéficient de « doubles cursus » qui facilitent les relations entre grands corps de l’Etat et grandes entreprises… Mais où sont les PME, les TPE ? Et que sont-elles, finalement, dans ce « grand jeu » ? Quant aux militaires, ce sont des femmes et hommes étranges, pour les futurs cadres de l’économie qui pour la plupart ignorent tout de cet univers, depuis la fin du service national et en dépit des initiatives de promotion du lien armées-nation, y compris dans leur version « développement du leadership »… Pourquoi en effet dépenser de l’argent qui serait plus « utile » à la formation, aux grands investissements, aux entreprises,… Et du côté des jeunes énarques, on sait déjà la subordination du militaire au politique : alors, puisque les militaires sont là pour « servir », qu’ils écoutent d’abord plutôt que de parler…

 

Changer de paradigme : parler ROI

hall-amphi-foch.jpgLa modestie, la discrétion et le don de soi sont des valeurs structurantes pour les militaires. Mais lorsque les budgets sont réduits jusqu’à briser l’outil de défense, matériellement et bientôt moralement, et qu’il faut se justifier avec le sentiment de « tendre la sébile » pour limiter une « casse sociale », il faut changer de registre, voire de paradigme.

Les budgets de défense ne sont pas des dépenses mais des investissements, et à ce titre, génèrent des « retours sur investissements ». Des ROI immatériels,  avec la promotion de valeurs sociétales, démocratiques, de « visions du monde » d’ailleurs trop rarement explicitées lors des choix électoraux nationaux. Mais aussi des ROI bien tangibles, à court et moyen terme : des marchés, des ressources, des emplois. Et donc une pérennité des valeurs, aussi. Car les valeurs ne vivent que si l’on a des moyens pour les porter, les promouvoir, les mettre en œuvre. Sinon, elles restent dans les livres – blancs jusqu’à prendre la poussière des bibliothèques.

Il y a presque vingt ans, l’intervention française en Bosnie, à l’initiative de Jacques Chirac, avait brisé l’immobilisme coupable et meurtrier… Mais alors que les Américains envoyaient leurs chefs d’entreprise pour promouvoir des intérêts bien compris (avec un accident d’avion dramatique d’ailleurs), les entreprises françaises perdaient la reconstruction de l’aéroport de Sarajevo, pourtant tenu, avec le prix du sang, par nos troupes. 

Depuis, qu’a-t-on appris ? Les opérations civilo-militaires doivent servir à l’éducation, à l’humanitaire… mais pas question de mêler l’argent des entreprises à cela. Laissons ces aspects vulgaires aux autres pays… dont la balance commerciale est moins déficitaire.

L’Afghanistan ? Il n’y a pas de prix aux morts français. Mais les Chinois ont conclu un marché d’exploitation des ressources minières au nord du Pays pendant que nous embarquions hommes et matériels.

L’Afrique ? Les exemples sont multiples tant côté Américain que Chinois. Nous envoyons nos soldats se battre et parfois mourir pour rétablir la paix. Mais surtout ne parlons pas clairement d’argent, de marchés… Il faut expier pour la « colonisation ».

 

Dans les ressources humaines aussi

pmm-dijon-1.jpgCe changement de registre et de paradigme doit pouvoir irriguer les politiques de défense, afin que chacun puisse les assumer, sans tomber dans le mercantilisme, mais pour rationaliser des arbitrages budgétaires rendus encore plus difficiles par l’éloignement « affectif » des décideurs économiques et politiques avec leur Défense, souvent plus par méconnaissance que par idéologie.

Parmi ces déclinaisons, la gestion des ressources humaines pourrait s’imprégner de cette approche. Aujourd’hui, on pense souvent « poste », sans pondérer assez cette logique par celle des « compétences ». Sans doute par sens de l’égalitarisme nécessaire à la cohésion, aussi par la transversalité de beaucoup de formations, mais probablement surtout par habitude.

Pourtant, le ROI d’une compétence ne se mesure pas toujours seulement au grade de l’intéressé – même si les mécanismes de bonification visent à prendre en compte certaines spécificités.

A titre d’exemple, les compétences « civiles » des réservistes sont-elles seulement quantifiables au titre de classifications militaires, voire seulement à travers le prisme de l’indispensable lien Armées-Nation ? Ou pourraient-elles être considérées comme des ressources bon marché, et donc utiles ? Mais ça, c’est un sujet en soi…

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change, #CIMIC

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Publié le 12 Septembre 2013

Le souhait de relancer l’industrie française est vertueux. Dans notre pays colbertiste et jacobin, la volonté affichée par l’Etat de s’appuyer sur les acteurs privés est plutôt de bon aloi. Mais faire travailler des acteurs de nature, de formation et de culture aussi diverses que des industriels et des représentants de l’Etat et des collectivités peut vite virer au cauchemar, ou en tous cas au gâchis de temps et de ressources toujours rares.

 

Le plus grand péril est celui du mélange des genres.

Quelle est la vocation des acteurs publics, et leur légitimité ? En matière industrielle, leur seule légitimité est celle, éventuellement, des conseils d’administration des entreprises détenues en partie par l’Etat. Les commis de l’Etat disposent sans doute aucun de grandes expertises. Issus des meilleures formations de la République, ils sont parfois passés par les cabinets ministériels – se familiarisant ainsi avec la schizophrénie du pouvoir politique, tiraillé entre une administration forte de sa pérennité et des politiques désireux de valoriser, directement ou indirectement, par les décideurs et relais d’opinion, leur action auprès de leurs pairs et des électeurs. Et lorsqu’ils n’ont pas bénéficié de cet accélérateur de carrière, ils ont affûté patiemment leur connaissance des rouages de la « puissance publique ».

Certains maîtrisent parfaitement les mécanismes des financements publics, nationaux ou européens. D’autres contribuent même à les influencer. D’autres encore poursuivent le Graal de la connaissance des si complexes dispositifs fiscaux. Beaucoup sont immergés dans les méandres des réglementations de l’environnement, du droit du travail, du foncier, du droit des banques ou des marchés… dont ils héritent ou qu’ils élaborent, parfois par apport de couches supplémentaires. Certains sont investis de la promotion des intérêts français à l’étranger, en contribuant à maîtriser l’environnement géopolitique des importations de ressources énergétiques et minières. D’autres sont en charge d’orienter les ressources publiques au profit des actions de formation, initiales ou tout au long de la vie.

Dans tous ces champs, ils sont légitimes et utiles à apporter leur expertise. C’est d’ailleurs leur rôle de service public, au service des autres (ne parle-t-on pas de l’autre côté de la Manche, de « civil servants », sans aucune connotation négative). Ils sont totalement indispensables pour accroître les degrés de liberté des acteurs des entreprises, pour améliorer l’accessibilité du territoire dans lequel s’implante l’outil industriel, pour développer son attractivité (infrastructures, logement, formation, loisirs, cadre de vie…).

Mais lorsqu’il s’agit de prospective industrielle appliquée – c’est-à-dire d’orientations stratégiques et de mise en œuvre opérationnelle – quelle est leur légitimité ?

Les décideurs privés sont eux aussi issus des meilleures formations de la République, et il ne s’agit pas de participer ici à la lutte stérile de la guerre des boutons entre « grandes écoles », dans un pays où l’école décrochée à vingt ans figure à la première ligne des CV, tout au long de la vie… Et ceci d’autant que nombre de décideurs des entreprises françaises – ou implantées en France -  ont aussi fait leurs armes ailleurs, en Europe ou sur d’autres continents : en s’y formant, en y travaillant,  en développant leurs compétences multiples.

Le risque de la confusion des genres, c’est d’abord celui d’une lutte de pouvoir, lutte des égos ou des représentations, au sein des comités de filière, de plans… pour emporter la décision, et parfois peu importe la nature de celle-ci puisque le plus important est de faire triompher son point de vue. Etre le meilleur, le plus fort, le plus « intelligent », comme on l’a été en prépa et à l’école, et tout au long de sa vie… Au besoin en s’appuyant, à grands coups de fonds publics sur des experts mondiaux en stratégie, bien sûr du privé, que l’on choisit sur des critères de notoriété, pour écraser de cette légitimité mercenarisée toute tentative de point de vue divergent, qu’il soit seulement de  bon sens mais aussi parfois innovant. Le pouvoir comme obstacle au travail collaboratif et comme moteur des « décisions absurdes », un classique.

 

En matière industrielle, la diversité est une nécessité vitale

 

Ce risque peut aussi  être celui de la différence des cultures : culture industrielle, culture étatique… Beaucoup objecteront que ces différences sont en fait minimes. Superposition des formations initiales, pantouflage, consanguinité des élites… finalement, on se retrouve souvent, in fine, « entre soi ». De différence, le risque devient alors celui de l’uniformité. Et pourtant, en matière industrielle, et en particulier pour garantir la créativité et la réactivité, la « diversité » - la vraie, pas celle des seuls faciès -  est une nécessité vitale.

Alors, il existe quelques « passeurs » de talent, à l’aise dans ces deux cultures, étatique et industrielle. Mais ils sont rarement familiarisés aux enjeux spécifiques des PME qui font le tissu d’un territoire et l’agilité vitale d’une offre industrielle ou de services. Les précédents des pôles de compétitivité et des filières sont-ils là pour nous rassurer sur la volonté et la capacité des « gros porteurs » à travailler en saine synergie avec la multiplicité des petits acteurs, en particulier dans les secteurs innovants, sinon comme pourvoyeurs de bonnes idées, ou comme sous-traitants, qui seront les premières victimes en cas de mauvaises décisions ?

 

Le travail collaboratif entre structures et entre individus – car les deux niveaux, inter-organisationnel et interindividuel sont concernés -, du monde public et du monde privé dans toute sa diversité, est un enjeu complexe mais vital. 

Son succès doit s’appuyer sur quelques principes éprouvés, au premier rang desquels se trouve la bonne répartition des rôles : au privé le « core business », au public l’environnement, lui aussi dans toute sa diversité. Il ne s’agit pas là de prééminence, de pouvoir, mais de légitimité des compétences et des expériences. A chacun son boulot, et il y en a suffisamment pour chacun, dans l’état de notre industrie !

Cette répartition des rôles ne sera réalisée et efficace que si elle se nourrit aussi d’un respect mutuel, à partir de la reconnaissance des compétences de chacun, petits et gros, du public et du privé. 

Un processus individuel et collectif à construire, petit à petit, mais pas trop lentement tout de même, au regard de l’urgence.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

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Publié le 10 Septembre 2013

Derrière ce vocable managérial, et donc suspect en France, se cache tout simplement la capacité à travailler avec les autres. Apparemment une vraie difficulté « culturelle », que ce soit pour nos politiques comme dans beaucoup d’entreprises.

 

Sur le plan international, de multiples facteurs de repli

 

L’actualité internationale illustre la difficulté des représentants politiques de notre pays à accepter une décision collective (associer le Parlement, trouver un point d’accord avec nos alliés…).

 

Simple tactique politico-médiatique à usage interne, tradition monarchico-gaullienne,  prégnance de la vocation « universaliste » héritée de la fin du XVIIIe siècle, enjeux internationaux trop sensibles pour oser les partager, ou mélange de tout cela ?

11.04-Hollande-bashing-L-Express-Le-Point-460-300_scalewidt.jpg- dans un contexte politique interne tendu, et avec le précédent réussi de l’intervention au Mali, la tentation peut être grande d’envoyer nos soldats – en dépit d’une réduction continue de leurs moyens et grâce à un dévouement sans faille et silencieux  - pour gagner quelques points de popularité ;

- le système présidentiel français confère légalement une autorité sans équivalentdans d’autres démocraties à une seule personne, sans beaucoup de contre-pouvoirs. Consciemment ou inconsciemment, le Président peut donc être convaincu de sa « responsabilité » personnelle. Légalement, oui… mais légitimement ?

 - les déclarations du Président de la République et d’autres responsables politiques, de la majorité ou de l’opposition, font référence à des principes « sacrés », des valeurs « universelles », des responsabilités « particulières » – sans toutefois les énoncer. L’affirmation de cette « responsabilité particulière » doit-elle justifier la prééminence du point de vue ? En particulier lorsque les principes sont affirmés pour parfois dissimuler d’autres enjeux moins « nobles » ?

- car la politique, en particulier sur le plan international, ne peut être confondue à la morale. On défend des intérêts, on fait respecter des engagements, on ne « punit » pas – sauf lorsque la politique se confond avec une morale, quelle soit « religieuse », au sens des religions assumées, ou « laïque » lorsque cela est moins clair. Mais les démocraties occidentales séparent normalement ces deux aspects : on défend des points de vue, étayés par des convictions, et on respecte l’autre, car il ne s’agit pas d’un combat entre le « bien » et le « mal » mais de débat, jusqu’au désaccord assumé.
43764_gaz.jpgEt dans le cas syrien, assume-t-on vraiment, au-delà d’un grand jeu entre russes et américains qui rassure intellectuellement des élus ayant grandi dans le monde de la guerre froide et souvent totalement démunis de compréhension de notre monde multipolaire, la prise en compte des enjeux énergétiques, par exemple,  mais aussi politico-religieux, qui mettent notamment aux prises l’Arabie Saoudite, l’Iran et le Qatar, si présent en France ?

 

Une autre option pourrait être la gloriole traditionnelle de notre pays – d’autres parlent d’orgueil -, mais ce trait de caractère collectif touche un peu à la caricature.

Il est enfin une dernière hypothèse, non exclusive de toutes les autres, qui touche à la psychologie collective. En situation de crise, face à un contexte très hostile – la France, qu’on le veuille ou non, perd sa place sur le plan international, que ce soit diplomatiquement, culturellement ou économiquement -, le réflexe involontaire le plus habituel ne conduit pas à affronter la réalité à bras le corps, mais à le nier. De bonne foi. Ce que les psychologues dénomment « répression » ou « suppression ».

 

Et dans le monde du travail, aussi

 

Les études « culturelles » montrent que, parmi les peuples du monde, les Français sont particulièrement « politisés » : indépendamment de leur participation effective aux élections, la « politique » fait partie des sujets de discussion les plus émotionnels.

On peut donc aisément formuler quelques parallèles entre les observations faites sur les postures françaises sur le plan international, et les situations rencontrées dans le monde du travail (que ce soit dans les entreprises ou les organisations publiques et para-publiques).

 

En France, le « management » a plutôt mauvaise presse – on parle de « lost in management », de « livre noir du management », d’ « illusions du management ». On préfère évoquer la gestion, le leadership, voire même les « chefs » (ce qui est affligeant lorsque cette aspiration, voire cette revendication est formulée par un responsable pédagogique, et donc impliqué dans la préparation de l’avenir de cadres d’entreprises…).

La distinction entre management et leadership occupe des bibliothèques entières, et des débats passionnants – en tous cas dans le monde anglo-saxon, décomplexé dans ce type de débats d’idées appliquées au monde du travail.

Alors, puisque le vocable « leadership partagé » apparait, il peut être fécond pour s’insérer dans le schéma intellectuel national tout en ouvrant sur ces questions cruciales au « mieux travailler ensemble ». On rassure ainsi les admirateurs de « chefs » - pour qui le leadership ne peut être que charisme -, mais on ouvre le débat, on entrebâille des fenêtres de pensée et on trace des pistes d’action. On fait grandir.

 

De quoi s’agit-il ?

leadership-partage-11-512x240.jpgSi on comprend le « leadership » comme la capacité à formuler une vision, un objectif, et à entraîner les équipes dans un contexte souvent changeant, parfois « chaotique » comme l’est le monde, le « partage » de cette compétence et pratique a plusieurs conséquences, tant philosophiques qu’opérationnelles.

- Il s’agit notamment de croire en l’intelligence collective : on est plus intelligent à plusieurs que tout seul… Dans un pays dont les dispositifs pédagogiques formatent des générations successives à la compétition – de la meilleure école à la meilleure prépa pour arriver à la « botte » de la « meilleure grande école », afin d’obtenir le « meilleur poste » et graver sur sa carte de visite, jusqu’à la fin de sa vie, ce concours tant estimé, ce n’est pas gagné !

 - La tradition cartésienne de notre pays (« Descartes, inutile et incertain », comme l’écrivant joliment Jean-François Revel) ne dispose pas non plus à l’acceptation du point de vue des autres, en particulier lorsqu’il ne s’inscrit pas dans sa propre « rationalité » - et donc la seule possible, ou en tout cas, la seule vraiment « rationnelle ».

 - Si le leadership, c’est aussi donner du sens à une dynamique collective, le leadership partagé doit s’appliquer à l’élaboration d’un projet commun, fondé sur des valeurs communes. C’est un travail de fond. Et s’il est une autre caractéristique des relations de travail en France, il s’agit de la place unique du « pouvoir » (collectivement, entre « classes » ou « castes », et individuellement, entre pouvoir formel et pouvoir informel).

 Alors qu’ailleurs, le monde universitaire explore aussi les autres facteurs d’influence au travail, les relations sociales professionnelles sont examinées trop souvent exclusivement en France au regard des enjeux de pouvoir : « le prochain poste, combien de collaborateurs sous mes ‘ordres’, et/ou quel budget  à ma signature ? ».

 Alors, quand on a le pouvoir, ou quand on le cherche, et quoiqu’il en soit, dès lors qu’on raisonne uniquement en termes de pouvoir, à quoi bon « perdre du temps » et surtout pourquoi exposer ses aspirations profondes, au risque de décevoir ou effrayer. Au pire, on sacrifie à la mode communicationnelle en faisant du changement justifié par ses propres enjeux un spectacle, superficiel lorsqu’il n’est pas manipulatoire.

Unknown-copie-2.jpeg - Le leadership partagé, c’est enfin « mieux travailler ensemble », tisser du lien entre les acteurs, au-delà des silos, des attributions, voire même des structures, lorsqu’on ose se projeter dans l’ « entreprise élargie ». Comme l’on très pertinemment exprimé Yann Algan et Pierre Cahuc il y a quelques années, la France est devenue une « société de défiance » - l’échec à prendre véritablement en compte ce qu’Alain Pierrefitte décrivait il y a près de vingt ans comme le « tiers facteur immatériel ». Comment donc travailler ensemble, si l’on ne perçoit pas la nécessité de construire la confiance qui, on le sait, « ne se décrète pas ». On est souvent bien loin, alors, des enjeux de l’intelligence émotionnelle, relationnelle, et des « soft skills » pourtant promus très largement ailleurs, y compris dans les meilleures écoles d’ingénieurs – hors de France.

 

 

Pourtant, sous des influences diverses, le contexte des entreprises rend nécessaires le leadership partagé, la collaboration efficace (et pas seulement la coopération), entre organisations et entre individus.

- Influences « sociétales » tout d’abord, et pas seulement sous l’effet de « nouvelles générations », X, Y ou Z… L’information circule, le système éducatif entraîne de plus en plus de jeunes à jouer avec les idées, se familiariser avec les concepts, se préparer à d’éventuelles responsabilités – même si le marché réel du travail les fait rapidement déchanter -, les réseaux sociaux et les pratiques médiatiques facilitent, habituent et encouragent à la « participation »… Et il faudrait que, dans le monde du travail, tout cela s’arrête ? Ou se limite, comme dans la « démocratie participative » vantée ici ou là, à une fonction en fait « consultative » ? La déception entraîne alors la révolte, ou la fuite (au moins morale lorsqu’elle n’est pas physique), au détriment du succès du projet collectif, et au prix de gâchis immenses, pour l’entreprise comme pour les individus.

 - Influences « organisationnelles » aussi, avec des mouvements divers mais confluents. Mondialisation, tout d’abord, et rationalisation des structures sous l’effet de la crise économique, qui fusionne les organisations et oblige des équipes auparavant concurrentes à partager un même avenir. Agilité aussi, avec des logiques de « start-up », de « free-lance », d’entreprises « élargies », pour s’adapter au marché en échappant à la bureaucratie, ou tout simplement pour gagner sa vie. Et structures matricielles, enfin, qui visent à installer un mouvement permanent de balancier entre fonctions expertes et centres de profit, dans une logique d’ « équilibre des pouvoirs » consubstantiel à la tradition démocratique anglo-saxonne mais si étranger à l’approche monolithique française…

 

 

La France en échec ?

 

Sur le plan politique, la transformation culturelle et institutionnelle française n’est pas achevée, et les options de sortie des structures communes exprimées de part et d’autre montrent que, devant la difficulté, la fuite est souvent privilégiée. Parfois à raison, mais à condition qu’il ne s’agisse pas d’un abandon funeste.

Pour sortir de la crise, les entreprises françaises – ou les structures françaises des entreprises mondialisées – n’ont pas d’autre choix que celui de s’adapter, de changer. La « croissance » ne reviendra pas nous bénéficier, au nom de notre « vocation universelle » ou de nos « atouts uniques ». Dans un monde concurrentiel, il n’est pas de place durable pour les « passagers clandestins », qui bénéficieraient du travail des autres.

L’adoption des conséquences mentales et pratiques du « leadership partagé » est une des clés d’une agilité et d’une dynamique retrouvées, ou à conforter. Les résistances sont plurielles, et diverses selon les origines, les formations, les fonctions (nous avons réalisé l’année dernière une étude révélatrice sur ce thème, en France et en Europe, auprès de plus de 200 professionnels).

C’est sans doute une transformation « culturelle », à moyen et long terme. Mais les premières actions peuvent être menées rapidement. Et ça, c’est rassurant.

 

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change, #Transformation 3.0

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Publié le 4 Avril 2013

Beaucoup d'entreprises recherchent des moyens de renforcer la cohésion de leurs équipes, et les modes varient en la matière : expériences extrèmes eurent leur temps, certains ont recours à des militaires, d'autres à la méditation et au bien-être, d'autres encore à la dégustation de grands crus, ou encore à l'assemblage de vins... les possibilités semblent infinies.

A Kaqi, nous pensons que le meilleur des team-building est celui qui réunit les équipes autour de ce qui les rassemble : leur activité professionnelle, leurs enjeux, leurs difficultés et leurs succès.

 

Unknown-copie-1.jpegAsics France réalise ces jours-ci une très belle opération de team-building pour ses équipes (environ 80 personnes), avec la participation du team Europe : armer le magnifique stand qui ouvre et occupe une grande partie du salon adossé au Marathon de Paris, où passent tous les participants pour retirer leur dossard.

Une nuée de personnels apparemment très connaisseurs des courses et des matériels vous accueillent, vous proposent de tester votre foulée pour vous prodiguer quelques conseils d'équipements, et bien sûr vous présenter leurs produits.

Performants, informés, intéressés... on se dit qu'ils ont bien choisi leur agence d'hôtesses et hôtes d'accueil !

 

La surprise - et elle est vraiment bonne - est que ce ne sont pas des prestataires, mais les personnels du siège, du DG au commercial, de l'informaticien au logisticien. Pour me conseiller des chaussures, la responsable grands comptes; pour analyser ma foulée, le spécialiste d'une gamme de produits; pour encaisser mes achats, le responsable informatique, et à côté de lui, l'assistante commerciale.

 

L'effet est réussi : ce ne sont pas des commerciaux intéressés aux ventes du jour, ce sont des personnels qui investissent sur l'avenir de leur marque, de leur société. Et notre expérience est aussi intéressante que la leur, car ils rencontrent des interlocuteurs différents, autour pourtant de ce qui fait leur quotidien, le sens de leur engagement professionnel : leurs produits.

C'est économique (pas de prestataires), c'est utile (des expériences croisées), c'est efficace commercialement et c'est un moment d'émotion partagée - car les milliers de visiteurs qui passent sont sans doute à la fois porteur d'énergie, d'attentes, de messages.

Alors, l'Asics Team, chapeau !

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 18 Mars 2013

Ce week-end encore, une participation à un trail... l'Eco-Trail de Paris, qui proposait plusieurs distances.

Cette année, j'ai choisi le 50 km.

 

Tout au long de ce parcours - enfin, quand il me restait encore un peu de lucidité, pour rejoindre l'arrivée -, je me suis surpris à me demander ce qui motive ces centaines de concurrents à dépasser leurs limites...

Et plus encore que l'épreuve elle-même, ce qui me frappe, plus généralement, est l'augmentation des distances proposées.

 

Il y a quelques années, les marathoniens étaient une poignée. Il s'agit désormais d'épreuves sélectives, qui rassemblent des dizaines de milliers de concurrents, pour les courses les plus connues, dans toutes les capitales du monde.

Les trails semblent vouloir conserver un état d'esprit particulier, puisqu'ils se déroulent en pleine nature le plus souvent, et compliquent les comparaisons de résultats, tant les aléas climatiques ont un impact sur le déroulement de l'épreuve.

 

Mais si les marathons vont au gigantisme de la participation - et à l'intervention de professionnels de l'événementiel sportif -  la tendance des trails semble être à l'augmentation des distances : on voit désormais fleurir les ultra-trails... des épreuves qui dépassent les 100 km..., et ceci de jour comme de nuit, et loin de l'asphalte des grandes villes.

 

Le mois dernier, en courant le Défi Glazig, j'écoutais un podcast - il faut bien se donner un peu de distraction tout au long des heures de course... - qui évoquait précisément cette tendance.

L'interviewé - je n'ai pas eu la présence d'esprit (ou surtout la disponibilité) de noter son nom - attribuait cet accroissement des distances au consumérisme actuel - qui pousserait chacun à vouloir plus, plus vite, plus fort, et au besoin avec des stimulants.

Il me faudrait réécouter ses arguments pour y répondre précisément. Mais je n'y souscris pas totalement, spontanément.

Quand je regarde mes compères de course - et il y en a toujours beaucoup plus devant que derrière -, les idées  suivantes me viennent à l'esprit de façon récurrente :

- beaucoup sont mus par l'esprit de compétition, et la tranche d'âge de ces garçons et filles (même si le gros du peloton est plutôt masculin) est aussi celle de l'âge des "challenges" dans les entreprises : les 30-35 ans, qui veulent marquer leur territoire, faire leurs preuves... Mais ce n'est pas la motivation principale, et beaucoup d'exemples démontrent que l'objectif n'est pas, pour la grande majorité, d'arriver en tête;

- la France dispose encore de ressources de résilience. En cas de crise majeure, je me prends à espérer que cette belle énergie pourrait être mise à disposition - et se mettrait spontanément à disposition -  des nécessités de sauvegarde et de solidarité - la vraie, pas celle des allocs';

- et puis je pense à ces dizaines de manuels de consultants et de "sociologues" qui dépeignent une France déprimée, des "élites" fatiguées, des "managers" démotivés... Je ne sais si c'est une forme de pessimisme, ou un argument commercial. Mais en tous cas, je me dis qu'ils devraient venir faire un tour dehors, sur les falaises des Côtes d'Armor, dans les bois de l'Ouest parisien, et sur tous les formidables terrains de jeu offerts à l'expression des volontés individuelles, et du plaisir de se retrouver pour partager un défi - car dans ce cas comme dans d'autres, on passe beaucoup de temps à se raconter les épreuves précédentes, et envisager les prochaines.

 

Cette énergie, on ne la retrouve pas seulement dans les épreuves sportives. Elle est présente dans la vie professionnelle, dès lors qu'on se donne la peine de regarder, d'écouter, et de construire ensemble une dynamique collective, avec ses champions, ses contributeurs, ses participants... et puis aussi, ses soutiens, ses bénévoles. Car tout autour de chacune de ces courses, se déploient des dizaines de bonnes volontés sans qui, rien de tout cela ne se ferait. Et c'est un signe de plus que le "mercantilisme" est sans doute aussi un oripeau agité par certains, faute d'avoir de meilleure idée.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 19 Août 2012

Surf.jpgEnseigné par un professionnel passionné et pédagogue, le surf est un loisir sportif dont chaque manager peut avec profit s’inspirer dans sa vie professionnelle. En effet, pour le pratiquer avec plaisir, que l’on soit débutant ou un peu plus expérimenté, on peut retenir quelques principes clés.

Le sens de l’observation

Lire la mer, observer les vagues, être à l’écoute de ses perceptions : c’est le premier temps de la session. Et un moment renouvelé tout au long de celle-ci, que la mer soit paisible, afin de saisir la moindre occasion, ou qu’elle soit forte, pour prévenir le danger. Rationaliser a priori l’environnement est inutile, il faut avant tout le saisir, le comprendre. Le sens du vent, le temps de la marée, mais aussi la forme des vagues et, avec l’observation des autres partenaires, le courant : autant de facteurs qui façonneront, à un moment donné, l’environnement. Les professionnels « lisent » la mer en quelques secondes, les néophytes peinent pendant quelques minutes, avec l’aide des premiers… mais l’exercice décidera de la réussite et du plaisir, avant toute chose.

L’humilité

Quelque soit la détermination et la condition physique du surfeur, l’océan demeure le plus fort. Entre vagues et courants, les éléments sont toujours dominants. La force de la mer n’est pas la seule variable : une vague « fermée », un shore-break avéré, éloigneront le surfeur avisé, et briseront, y compris physiquement, celui qui, par manque d’observation ou par orgueil, aura voulu s’exposer.

Même la température de l’eau est à prendre en compte : même si le short et le tee-shirt peuvent répondre à l’image d’un surfeur accompli, les heures passées dans l’eau finiront bien, quelque soit la température de celle-ci, par avoir raison du corps…

L’adaptation

La mer est toujours changeante. D’un jour à l’autre, et au cours d’une même session, les conditions changent avec la marée, le vent. Ce qui est vrai à un moment ne l’est plus quelques minutes plus tard. Et une stratégie esquissée en un temps donné n’est plus adaptée le temps de sa mise en œuvre. Inutile donc de bâtir des plans pour cet environnement mouvant, c’est au moment même de l’action que l’on prend une décision, que l’on déploie ses talents, ou qu’on les retient.

Le choix du matériel est une variable, pour ceux qui savent passer d’un surf à un longboard, ou pour le choix de la tenue en néoprène. 

Mais le positionnement sur la mer, juste au fond, au moment donné, et sur cet espace pourtant mouvant, sera la garantie d’un moment de plaisir et de vitesse, par-delà la zone de danger.

La patience

Corollaire des principes précédents, la patience doit aussi inspirer l’action. Face aux éléments, inutile de chercher à s’imposer si le moment n’est pas là. Les surfeurs passionnés attendent parfois « la » vague pendant de longs moments, après une longue et difficile approche. Mais plus généralement, tous sont concernés,  ne serait-ce que pour aller « au fond » : là où les conditions seront optimales pour prendre la vague. Attendre l’accalmie, puis concentrer ses efforts pour passer le front de vagues un instant disparu… Ou tout simplement renoncer, pour attendre le jour suivant…

Le lâcher prise

Ce principe est sans doute un des plus puissants, en termes d’inspiration professionnelle. En effet, le surf est avant tout un sport de sensations. Regarder sa position sur la planche, c’est regarder ses pieds. Et regarder ses pieds, c’est tomber. Se retourner pour regarder, juste derrière, où est la vague, c’est se déstabiliser. Et se déstabiliser, c’est tomber. Pour prendre la vague, il faut prendre la pente, prendre de la vitesse. Ni trop, ni trop peu.

Pour identifier ces moments, il n’est pas seulement inutile de rationaliser, c’est tout simplement inutile. Inutile en effet de « checker » des indicateurs de vitesse, de stabilité, de positionnement… Pas le temps ! Pour acquérir le « contrôle » de la situation, ou plus exactement pour la « maîtriser », nulle autre possibilité que de lâcher prise, de laisser place à ses sensations, bref, de (re-) devenir humain, avec toute sa part d’irrationalité, voire d’animalité, de se faire (à nouveau) confiance.

La solidarité

Au-delà des apparences, le surf n’est pas un sport solitaire. Face aux éléments, la solidarité est un principe fort et structurant : pas de survie en solitaire. Si l’action est exercée individuellement, la (relative) maîtrise de l’environnement ne s’exerce qu’à plusieurs.

Le respect mutuel

Enfin, même fondé sur l’action individuelle, le surf est régi par des règles de respect mutuel qui, pour le moment en tout cas, reposent sur l’éthique de chacun et non sur la judiciarisation de notre société. Par souci de sécurité, par équité, chacun observe et anticipe l’action de l’autre, et s’y adapte, y compris en « sacrifiant » son moment.

Lié au principe de solidarité, ce respect entre les hommes est le ciment social d’une société d’individus épris de liberté, et respectueux de celle des autres.

Des principes de conquête

Enfin, le surf peut apparaître comme un sport passif, éloigné des principes de l’action professionnelle, lorsqu’il convient d’aller conquérir des marchés, par exemple. Attendre la vague ? Pas question ! 

Pourtant, et en raison des principes énoncés plus haut, il nous semble que l’analogie n’est pas si mauvaise. Car plutôt que d’essayer de bénéficier de chaque vague, l’observation, la patience, l’adaptation, le lâcher prise et tous les autres principes nous paraissent parfaitement adaptés pour inspirer l’action professionnelle : celle qui permettra de saisir les opportunités et mobiliser les énergies afin d’accomplir le geste efficace, économe et esthétique, avec plaisir et aisance – bref, d’atteindre l’objectif en optimisant l’usage de l’ensemble de ses moyens.

 

PS : Si vous avez l'occasion de passer du côté d'Anglet (64), je vous recommande vivement Iban et son équipe : www.ecole-surf-uhaina.com

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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