Publié le 10 Septembre 2020

Le télétravail pour tous ? Pas à n’importe quelle condition.

A la veille de cette rentrée de septembre, nous vous avons proposé de réfléchir à votre perception du télétravail, et à ses conditions de succès… Alors, comme on le voit partout, c’est un plébiscite en faveur de cette nouvelle organisation du travail. Mais pas pour tous, et pas n’importe comment…

Retour sur les résultats de cette enquête (que vous trouverez en totalité ici).

 

Dans ce questionnaire, et au regard des résultats de notre enquête menée en avril, au cœur du confinement, nous avons exploré les pistes émergentes, les avantages et les inconvénients perçus.

L’expérience du confinement a certes été un révélateur. Seulement 11% ont mal vécu le télétravail pendant cette période. C’est donc sur une base favorable que 89% des personnes ont engagé la réflexion proposée. Mais on trouve une grande diversité de perceptions, à l’heure de la rentrée.

 

Les fanas du télétravail : un bon quart

Tout d’abord, si les deux tiers des personnes interrogées souhaitent pratiquer le télétravail pour au moins la moitié de leur temps, elles sont plus d’un quart des répondants (29%) à n’y voir que des avantages. Le télétravail, ce n’est donc pas automatique pour tout le monde, et le souhait de s’y engager est à la fois raisonné et tempéré.

Une surprise, tout d’abord : les conditions matérielles du travail à la maison ne sont une difficulté que pour une minorité des personnes interrogées (18%) – qui ne sont pas seulement des parisiens ! Une minorité, certes, mais une proportion non négligeable. C’est donc un premier paramètre à prendre en compte, car il ne peut être couvert seulement par des négociations collectives.

Le gain du temps de transport, tant vanté, est un atout décisif pour 44% des répondants, et un avantage pour 23%. Deux tiers, donc, sont motivés par ce gain de temps. Mais pour l’autre tiers, ce n’est pas un facteur clé. Et pour certains, ce serait même un regret, une perte de temps « à soi »… Un argument à manier avec mesure, donc, car il n’emporte l’adhésion qu’en partie.

L’efficacité professionnelle est, surprise ou non, un autre argument en faveur du télétravail.

Sur le plan des « performances » en effet, 43% déclarent avoir été, pendant le confinement, « plus efficaces » qu’au bureau. Et pour un bon tiers (39%), c’était équivalent.

Mais à l’inverse, 16% seulement estiment avoir été « moins efficaces » qu’au bureau, et 1% « pas du tout efficaces ». 17%, ce n’est pas rien en termes de productivité…

 

Les réfractaires et les réticents au télétravail : un sur cinq

Et ceci d’autant que, lorsqu’on évoque, pour l’avenir, l’efficacité collective perçue avec une organisation en télétravail, seuls 16% déclarent que tout se passera bien, pour tous. La majorité (63%) admet que, si le passage au télétravail sera possible dans l’ensemble, cela sera difficile pour certains. Et 19% sont inquiets pour l’efficacité de leur collectif professionnel et 2% clairement pessimistes.

De même, si 41% se réjouissent d’avoir trouvé, grâce au télétravail du temps de confinement, un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée, et 42% d’avoir maintenu l’équilibre habituel, 6% admettent que leur efficacité professionnelle en a souffert, et 11% que le déséquilibre s’est fait au détriment de leur vie personnelle.

Toujours cette fraction proche des 20% qui exprime des vraies difficultés – et elles sont variées car ce ne sont pas toujours les mêmes -, à passer au télétravail.

La détermination dont témoignent certaines entreprises à adopter le télétravail massif devrait donc être modérée. Et celles qui le font par entraînement ou sous contrainte, quelle qu’elle soit, prudents et précis dans la mise en œuvre de ce qui sera un ensemble de changements sensibles.

 

Travailler à distance demande des compétences, individuelles et collectives.

Sur le plan individuel, l’autonomie est une clé du succès. Et sur ce plan, la perception des personnes interrogées révèle des pépites qui expliquent aussi, sans doute, l’appétence de beaucoup pour le télétravail.

Car quand on leur demande la fréquence à laquelle elles ont besoin d’orientations, d’objectifs pour travailler, 18% en ont besoin une fois par semaine, et 16% une fois par mois… Et plus encore, 65% n’en ont apparemment pas besoin !

Voilà qui devrait faire s’interroger beaucoup d’organisations (et de managers) sur la plus-value perçue des rendez-vous formels récurrents – Codir, Comex, réunions de direction…

Car ce ne sont pas ces temps collectifs qui semblent manquer à plus de la moitié des personnes interrogées, que ce soit en présentiel ou à distance…

 

Les hésitants, pour 50%

Alors, heureusement pour les partisans du management et des contacts réels, il y a d’autres freins à la généralisation du télétravail.

Et les contacts interpersonnels en sont un. C’était le manque exprimé le plus souvent dans notre enquête du temps de confinement – que ce soit à titre personnel ou professionnel. Et on retrouve ce moteur de l’engagement professionnel.

Pour deux tiers des personnes interrogées, les moments informels seraient un vrai manque dans une journée de travail. Pas seulement pour le plaisir de partager un café ou un déjeuner, mais aussi pour régler des vraies difficultés, ou incompréhensions…

Et ceci d’autant que les systèmes de visio-conférence ne sont qu’un pis-aller pour une bonne majorité. Seuls 16% trouvent que c’est bien mieux (les enthousiastes et les partisans de l’efficacité formelle ?) et 19% que c’est équivalent à une animation sur site.

Car 47% considèrent que les interactions sont moins satisfaisantes, et 18% beaucoup moins. On retrouve là les deux tiers des personnes à qui les moments informels manquent, pour de multiples raisons.

 

Et c’est une belle illustration de la diversité des moteurs de l’engagement professionnel : certains se contentent d’une relation contractuelle, quand d’autres – et ils sont toujours majoritaires – s’engagent pour d’autres « raisons », moins « rationnelles » : pour leur entreprise, pour le service rendu, et très souvent aussi, par sens du collectif et « esprit de corps » - à petite ou grande échelle.

Cette diversité des perceptions et des difficultés envisagées témoigne bien de la situation que rencontreront les entreprises dans ces évolutions, ou transformations, à venir. Car si une grande majorité des personnels a envie d’un accroissement significatif du télétravail, beaucoup ne sont pas dupes des difficultés que tout le monde rencontrera, et des aspects moins favorables du télétravail.

Et encore, nous n’avons pas posé la question de la délocalisation possible des emplois... Car lorsque la plus-value d’un poste se résume à une « production » sans grandes interactions, ni managériales, ni collectives, quel est le frein à une délocalisation dans un pays à plus faible coût de main d’œuvre ?

Heureusement, peu déclarent « produire » sans avoir de besoin d’interactions avec les autres : 8% pas du tout, et 20% un peu seulement… 28% donc, qui pourraient travailler de n’importe où ?

Car pour les autres, dont la plus-value s’exprime aussi voire surtout dans les interactions et l’animation relationnelle, il faut pouvoir « se voir », au moins la moitié du temps.

 

Mieux travailler ensemble

Alors, une façon d’aborder le passage au télétravail, plutôt qu’un tout ou rien, sera sans doute de travailler sur la proportion de ce mode de contribution – et aussi d’améliorer la plus-value ressentie par tous des vrais moments collectifs.

A titre indicatif, la formule qui semble recueillir le plus de succès est celle des deux ou trois jours de télétravail par semaine ; la moitié du temps, donc. Et c’est un plébiscite de la part des employés de la fonction publique : une piste intéressante d’économies pour les services de l’État et les collectivités qui doivent gérer, en situation de crise, leur patrimoine immobilier, et accélérer la transformation numérique des services publics.

Aux deux opposés, on retrouve les proportions de 24% pour une présence au bureau seulement occasionnelle (et ce ne sont pas, majoritairement des travailleurs indépendants), et 15% qui aimeraient un télétravail très ponctuel (moins d’un jour par semaine). Reste 13% qui se satisferaient d’une journée par semaine – un mode d’organisation déjà pratiqué assez usuellement dans beaucoup d’entreprises.

Avec cette répartition des forces entre fanas, réticents/réfractaires, et hésitants, le terrain de négociations s’annonce compliqué voire miné, mais aussi plein de bonnes surprises, de bonnes volontés, d’alliés précieux…

Aucune entreprise, aucune équipe, ne pourra faire l’économie d’un travail de terrain, au plus près des métiers, des organisations personnelles, des compétences managériales et individuelles à ce jour, et à venir. Tout ne se réglera pas par l’évolution des règles juridiques et des compensations matérielles. Ce sera complexe, compliqué, humain… c’est ce qui rend le travail si passionnant, n’est-ce pas ?

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change

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Publié le 10 Septembre 2020

Télétravail : les résultats de notre enquête de la rentrée

A la veille de la rentrée, nous avons souhaité vous interroger sur votre perception du télétravail : vos envies, vos réserves et vos craintes, vos propositions...
Voici les résultats de cette étude, menée auprès de 170 professionnels entre le 18 août et le 6 septembre.
Etait-ce une parenthèse de la crise sanitaire, ou un mode de fonctionnement pérenne ? 
A cette question, vous avez répondu en grande majorité en faveur de l'adoption du télétravail, et plutôt pour deux ou trois jours par semaine.
Mais si un quart sont des "fanas", vous êtes une majorité à partager des inquiétudes, des interrogations, des conditions... Car en tous cas, ce ne sera pas automatique !
#changemanagement #teletravail #complexite

Télétravail : les résultats de notre enquête

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change

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Publié le 29 Août 2020

La libre concurrence est-elle une guérilla ?

Que ce soit par ouverture à la concurrence de marchés monopolistiques, ou par l’irruption de « nouveaux entrants », pure players des services numériques, ou adossés à ces nouvelles briques de compétences et d’outils, beaucoup de grandes entreprises ont dû résister, ou s’adapter… ou en tous cas tenter de le faire. Pour cela, elles ont soit durci leurs positions existantes, soit tenté de jouer le jeu de ces nouveaux acteurs, beaucoup plus faibles mais beaucoup plus agiles. L’ouvrage de l’officier français David Galula, « Contre-insurrection », référence militaire aux États-Unis avant de l’être en France, offre quelques clés de lecture et de réflexion sur cette « guerre » économique.

 

 

David Galula est un officier français « atypique », que certains peuvent considérer comme un « franc-tireur ». Né en 1919, sa carrière le mène des combats en Afrique du Nord, en France, et en Allemagne, à la Chine en cours de maoïsation et plus globalement, à l’observation des guerres révolutionnaires en Extrême Orient, à la Grèce en guerre civile, puis à la guerre d’Algérie. A partir de 1962, mis en disponibilité à sa demande, il poursuivra sa carrière comme « visiting fellow » au Harvard Center for International Affairs et à la Rand Corporation, avant sa mort en 1968. En 2005, son ouvrage est recommandé en référence sur les guerres insurrectionnelles, alors que les armées américaines sont engagées en Irak et en Afghanistan.

 

Plus de cinquante ans après sa parution, ces réflexions et recommandations conservent toute leur utilité, et pas seulement pour les actions militaires.

Galula décrit les forces en présence comme « loyalistes » et « insurgés ». Pour mener le parallèle avec les dynamiques des entreprises civiles, proposons la position de « loyalistes » aux entreprises en position dominante, et celle d’« insurgés » aux « nouveaux entrants ». Car il s’agit, avant tout, d’acquérir la maitrise d’un territoire, d’un « marché » (ou de « parts de marchés »).

 

Ce qui caractérise les loyalistes, c’est le respect du droit, la bureaucratie, les procédures. C’est le maintien d’une position acquise, et des actions en réaction aux initiatives des insurgés. C’est avant tout une culture de « contrôle » qui s’appuie sur une structure politique, une bureaucratie administrative, une police, des forces armées. 

Proposons alors le parallèle avec les structures de « gouvernance » de l’entreprise, la bureaucratie et les normes qui règlent les fonctionnements et les pratiques, une certaine forme de management qui en assure la mise en œuvre, et les forces de commerce et d’influence qui font face aux menaces extérieures, directement ou indirectement.

 

Ce qui caractérise les insurgés, c’est la conquête des territoires, mais aussi celle des cœurs des populations qui les habitent. C’est l’initiative, la mobilité, la concentration de moyens par nature limités sur des objectifs donnés, stratégiques, symboliques. Ce sont aussi des forces qui tirent leurs moyens d’action du soutien des populations, ou de soutiens extérieurs. Ce qui les fédère est une « cause ».

Pour se distinguer des entreprises dominantes, les « nouveaux entrants » choisissent souvent des propositions de valeur en rupture avec l’existant : que ce soit pour leurs salariés, leurs « militants », ou pour leurs clients, populations à conquérir. Ces ruptures, ces innovations se retrouvent dans les discours (on ne vend pas des yaourts, on met du lien entre les consommateurs, on ne transporte pas des passagers, on leur donne de la liberté…) ; elles se retrouvent dans les outils – et tous les modes d’action numériques ont été à la base de l’action des « nouveaux entrants », dans tous les secteurs ; on les trouve aussi dans les pratiques managériales et relationnelles – horizontales, participatives, informelles-, en tous cas affichées et au moins réelles tant que la structure reste de taille modeste, sans bureaucratie.

 

Mais loyalistes et insurgés sont-ils si différents par nature ?

Pour Galula, la guerre contre-insurrectionnelle peut être menée en adoptant les pratiques des insurgés eux-mêmes, mais dans une certaine limite. Car il ne s’agit pas de conquérir des territoires, mais d’en conserver le contrôle.

Dès lors, si les tactiques peuvent s’inspirer de l’agilité des insurgés, il convient avant tout d’en détruire l’organisation naissante. Et, pour le plus long terme, de ne pas tenter de maintenir l’ancienne organisation ; mais d’installer une organisation politique qui fédère les populations synergiques. 

On pourrait parler de « gouvernance auto-portée » pour des parties prenantes considérées comme « partenaires » plus que comme des « clients »…

 

Et comme il le décrit aussi, les insurgés eux-mêmes sont contraints d’adopter les pratiques et les outils loyalistes, lorsqu’ils ont acquis la maîtrise d’un territoire. En en particulier une organisation bureaucratique et une police.

A la lecture de cet ouvrage, il apparaît donc, pour les entrepreneurs, que l’esprit « start-up » n’a qu’un temps… Et que les stratégies de rupture, agiles, sont l’apanage des contestataires, et non des acteurs de référence.

 

Les parallèles, et les inspirations à en tirer, pourraient être décrits très longuement. Évoquons-en seulement quelques-uns.

 

  • S’accorder sur une « cause » mobilisatrice : c’est ce qui fédère les énergies, donne un sens à l’action, permet aussi d’identifier les « partisans » ceux qui agissent pour cette cause ;
  • Choisir les territoires de conquête – et savoir aussi passer de l’un à l’autre si le combat est par trop inégal, pour y revenir plus tard ;
  • Conquérir les esprits et les cœurs plutôt que de chercher la domination et le contrôle. Aucune entreprise, aussi riche qu’elle soit, ne peut tenir durablement un territoire si les populations qui y vivent ne se sentent pas parties prenantes à leur avenir.  C’est donc rechercher plus des partenaires que des obligés et des soumis.
  • Ne pas céder à une bureaucratie « inéluctable ». Les normes et les règlements sont sans doute des éléments de langage commun, nécessaires, mais quand ils prennent le pas sur l’initiative et le facteur humain, ils déresponsabilisent et conduisent à l’échec, à l’accident.
  • Cette résistance au phénomène bureaucratique bien connu n’est pas incompatible avec le développement de l’organisation. Les structures « holomorphiques » sont des modèles d’inspiration, en favorisant à la fois l’initiative propre aux petites structures, et le partage d’objectifs partagés, y compris par un grand nombre d’acteurs.

 

Jean-Christian Fauvet, qui a fondé la sociodynamique, avait-il lu Galula ? En tous cas, il y a là tellement de parallèles que si ce n’est pas le cas, cela témoigne, une fois de plus, que le monde des idées révèle souvent de formidables synergies potentielles, qu’elles soient directement corrélées par des inspirations mutuelles, ou qu’elles soient tous simplement la révélation de « l’air du temps ».

 

 

David Galula, « Contre-insurrection. Théorie et pratique”, Economica, 2008

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Lectures, #CIMIC

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Publié le 27 Août 2020

La liberté du management

La liberté du management

 

La littérature militaire, ou au moins les écrits des chefs charismatiques, fascine parfois, suscite la curiosité souvent. Que ce soit par intérêt de la chose militaire, que l'on soit soldat de métier, ou bien encore dinosaure issu du service national et d'un parcours en réserve opérationnelle... Ou bien que l'on attende (imprudemment et vainement, c'est mon avis) le salut d'"hommes providentiels", militaires ou autres.
L'ouvrage de l'Amiral Finaz, jusqu'à l'été patron de l'École de Guerre, et aussi écrivain de marine, c'est à noter, n'a pas vocation à inspirer les foules ébahies. Son souhait : contribuer aux ponts entre les mondes civil et militaire, entre les entreprises et la grande Institution, entre managers et commandeurs...

 

Il y a évidemment dans la récente production de celui qui animait la formation des grands chefs militaires de demain (le passage par l’École de Guerre est le préalable indispensable pour un officier général) beaucoup de matière. Et beaucoup de plaisirs poétiques aussi, puisqu’il fait partie de cette talentueuse confrérie des « écrivains de marine » (la plume non directement militaire serait-elle réservée aux marins puisqu’il n’existe pas d’équivalent dans les autres armées ?).

 

Le sujet qui inspire souvent les parallèles entre les deux mondes est la distinction, ou les parallèles, entre management et commandement.

Et ceci d’autant que certains nostalgiques ou idéalistes d’un « chef idéal », qu’ils soient sociologues, managers ou même patrons d’écoles de « management », regrettent l’absence de « chefs », et fustigent les faiblesses du « management ». Déçus des « managers » publics ou privés, ils se disent donc prêts à se tourner vers des chefs militaires ayant quitté le service actif, en espérant qu’ils remettent le monde et les entreprises « en ordre ». 

 

La distinction entre management et commandement, faite en ouverture par l’Amiral Finaz, qui ne suggère en rien ces pistes, est beaucoup plus subtile. Et plus radicale à la fois. Car pour lui, ce qui distingue le « commandement » du « management » est le rapport à la mort, reçue ou donnée : « un militaire obéit à un ordre parce qu’il a confiance dans celui qui le lui a donné ». Et c’est ce qu’il appelle « l’esprit d’équipage », puisque l’engagement ultime se fait au moins autant par idéal choisi que par solidarité et esprit de corps – avec ses coéquipiers comme avec ses chefs.

 

La mort comme distinguo entre commandement et management ?

 

En effet, si la mort survient aussi dans le monde civil, elle n’est jamais au cœur de la mission quotidienne. On peut la recevoir, par accident, ou la côtoyer, dans les professions de santé. Mais on ne la donne pas par vocation. Et surtout, les managers n’envoient pas, d’un ordre, leurs équipes dans des situations où elle peut être reçue, et donnée. C’est en effet une distinction clé, factuelle, entre les deux mondes.

 

Pourtant, au fil des pages, cette distinction entre management et commandement s’estompe, et les parallèles entre chefs militaires et chefs d’entreprise se multiplient. Témoignage d’une maturation de la réflexion au fil des contacts avec les auditeurs civils de l’École, par exemple ? Ou perspective du passage de l’autre côté du miroir, après le « dernier accostage » militaire, et début de transition ?

 

Le risque : un point commun entre management et commandement ?

 

Se pose alors la question du risque. Les risques pris par les militaires sont-ils comparables à ceux pris par les entrepreneurs ?

Bien sûr, les entrepreneurs prennent rarement un risque de mort immédiate… Et si les managers prennent des risques, ils n’engagent pas, sciemment, la vie de leurs équipes.

Mais puisque la perception du risque est pour beaucoup une affaire individuelle, on peut penser que certains engagements civils pèsent autant qu’une prise de risque physique : on peut évoquer par exemple l’avenir matériel de la famille, la qualité des relations interpersonnelles, l’existence sociale, la fierté perdue ou retrouvée, ou tout simplement, le sens de la vie…

Les guerriers encourent des risques physiques, au plus haut point. Mais faut-il, pour autant, pour tous, minorer l’importance des autres « risques » de la vie ?

« Comment prétendre un seul instant que ces histoires de risque, de sens et de mission ne seraient que l’apanage que des chefs militaires ? Elles sont le quotidien des vrais chefs d’entreprise ».

 

Au centre de tout, le sens de la vie

 

Et c’est précisément là, dans le sens de l’action, dans le sens que chacun peut tenter de donner à sa vie, qu’émergent les parallèles dans l’ouvrage de l’amiral Finaz : « même s’il est assurément constitutif de leur part d’héroïsme, les militaires parlent rarement du sens. Car il leur est offert. Il leur arrive de parler de la mission. Elle leur est donnée également, et ils la préparent sans cesse. Rien ne se justifie sans la mission, et tout est affaire de sens, aussi et surtout ».

 

Alors qu’en est-il des managers civils ?

Qu’ils soient soldats ou entrepreneurs, qu’ils soient engagés dans une mission périlleuse, vitale, pour les intérêts de la Nation ou pour leurs camarades de combat, ou dans une action pacifique mais à forts enjeux pour eux, pour leur engagement professionnel, pour leur avenir individuel et familial, pour celui de leurs salariés, pour leur réputation, tous les hommes ont besoin de donner un sens à leur action, au temps qu’ils donnent, alors que la vie passe, et qu’il faut faire tant de choix.

Survivre, vivre, s’épanouir selon des modalités qui n’appartiennent qu’à chacun…

 

Et cette question du sens se pose parfois avec cruauté, lorsqu’on songe aux « morts sociales » ressenties et vécues par certaines professions, certains individus. Burn outs, bore outs, désengagement… Qui peuvent conduire aux extrêmes. Comme les suicides chez France Telecom, alors que les métiers changeaient radicalement, pour donner naissance à Orange.

Ou comme ces agriculteurs qui se donnent la mort dans un dernier geste de désespoir, quand ils n’en peuvent plus, qu’ils ne trouvent plus de sens à leur vie. Et si ces derniers sontsouvent managers d’eux-mêmes, au sens juridique, ils se trouvent pourtant « managés » par un éco-système qui devrait réfléchir aux conséquences de ses interactions.

Alors, entre cette mort qui survient parce que la vie professionnelle n’avait plus de sens, ou celle reçue parce que le sens de cet engagement impliquait, peut-être, une fin brutale, n’y a-t-il pas un point commun entre les deux mondes : la nécessité de trouver un sens à sa vie ?

 

L’équilibre fragile du sens et de l’engagement

 

Les semaines passées en confinement ont été une occasion pour beaucoup de se poser cette question, ou d’en réaliser l’importance lorsqu’il a fallu continuer à travailler, malgré la peur, ou y revenir. Pourquoi travaille-t-on ? Pourquoi vit-on ?

 

Certains cherchent aujourd’hui les moyens de trouver un nouvel équilibre entre vie personnelle et engagement professionnel. Et le télétravail peut être, pour certains, une piste féconde, à condition d’organiser son temps et son espace, sa disponibilité intellectuelle aussi.

D’autres ont été impatients de retourner au travail, autant que possible. Pour retrouver des interactions sociales complémentaires de celles de leur vie privée, pour retrouver aussi le cadre de leur accomplissement, de leur engagement.

Évoquer ces différences, ce n’est pas relativiser la spécificité de l’action militaire, mais reconnaître que les leviers de l’engagement, les moteurs de la vie, sont tous différents, d’un individu à l’autre.

 

Et c’est pourquoi, à la différence des contempteurs du « management », nous aimons à valoriser, et aider, celles et ceux (vous voyez, on peut aussi écrire les deux) qui manient l’art de l’animation des talents, des compétences, des énergies individuelles et collectives, de la conduite des projets sensibles, quand ils allient complexité technique et diversité humaine.

Car pour conclure avec l’Amiral Finaz, « n’oublions jamais que diriger, c’est aimer ». C’est là une formidable « ligne de foi » : la ligne du sens, celle qui donne le cap.

 

Loïc FINAZ, « La liberté de commandement – l’esprit d’équipage ». Equateurs, mars 2020 (paru en juin)

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Rédigé par Kaqi

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Publié le 21 Août 2020

Surfin' management (2)

Il y a dix ans, je découvrais, sur la côte basque, le surf… Dans les semaines qui suivaient, déformation professionnelle oblige, cela m’inspirait des parallèles avec mon activité professionnelle. Et cet été encore, comme chaque été, j’ai appris…

 

Il y a dix ans, j’identifiais quelques principes qui permettaient de se hasarder sur la planche, en équilibre sur les vagues, sous la houlette d’un professionnel bienveillant : 

  • Le sens de l’observation
  • L’humilité
  • L’adaptation
  • La patience
  • Le lâcher prise
  • La solidarité
  • Le respect mutuel

Je réaffirme aujourd’hui la pertinence de tous ces principes, même si j’aimerais que les deux derniers soient toujours plus partagés. Car à l’instar de ce que j’ai vécu lors de mes longs trails, au cours de ces mêmes années, j’ai le sentiment croissant que la société se fracture, que la course aux egos prend le pas sur les plaisirs partagés d’accomplissements gratuits, y compris pour des activités plutôt individualistes.

Car les activités individuelles (et même, pour certains, les performances), ne sont pas nécessairement synonymes d’un succès réalisé au détriment des autres, et ceci d’autant lorsqu’on partage les mêmes enjeux, les mêmes satisfactions, chacun à son niveau, chacun avec ses propres attentes.

 

La découverte de cette année, sur les vagues, celle qui m’a permis (enfin), de passer un cap, c’est l’atout que donne la décision de lever les yeux, de lever la tête. De sortir « le nez du guidon », pour retrouver le parallèle avec l’activité professionnelle.

Jusqu’à présent, je me consacrais à chaque étape de façon séquentielle, pour tenter de les maîtriser successivement :

  • Identifier une vague accessible et suffisamment porteuse – ni trop forte, ni trop faible ;
  • « Ramer » pour saisir l’opportunité d’en prendre l’élan ;
  • Choisir le bon moment pour bondir, se lever, dans la pente ;
  • Se positionner, enfin ;
  • Et puis, à terme, commencer à orienter la trajectoire…

 

Une approche taylorienne… et donc contre-productive

Les surfeurs aguerris souriront sans doute, mais telle est l’approche un peu « laborieuse », sans doute trop raisonnée, que l’on peut être tenté d’adopter, en particulier lorsqu’on découvre cette activité si complexe, et si plaisante, sur le tard… Une approche séquentielle, presque « taylorienne », fondée sur le découpage des tâches… Quelle erreur (même si c’est très rassurant).

Avant l’été, j’avais lu la dernière production de Joël de Rosnay, « Petit éloge du surf » (Ed. François Bourin), une très concise inspiration, un peu actualisée, de son livre de 2012 « Surfer la vie » (Ed. Actes Sud), découvert à cette occasion.

Ce personnage hors normes y exprime notamment une autre « philosophie de la vie », applicable bien sûr à l’activité professionnelle, mais promouvant aussi une attention et des pratiques qui peuvent être autant de réponses aux enjeux de nos sociétés et de notre planète.

Alors, bien sûr, même s’il est un esprit ouvert, et depuis toujours un prospectiviste, Joël de Rosnay est né en 1937. Son éthique du surf, et éthique de la vie, ont été inévitablement inspirées par l’esprit des années 60-70… le surf, les Beach Boys, les spiritualités alternatives, le Flower Power, le Colonel Kilgore aussi…

Bien sûr, et sans tomber dans l’inapproprié, piètre et pleutre (et anachronique) « ok boomer », on peut être, dans nos sociétés industrialisées, interconnectées, et pourtant si fragiles, réservé sur la transposition de ces inspirations de temps autres. Car même si les recommandations de Joël de Rosnay en faveur d’une société « fluide », des approches transversales, systémiques, non hiérarchiques, résonnent favorablement à certains d’entre nous, l’appétence exprimée au cours de ces mois passés par une majorité pour des pouvoirs autoritaires menées par des « hommes providentiels », pour répondre à la crise que nous vivons, ne suscite pas l’optimisme, et l’adoption facile de ces approches dynamiques, adaptables, riches.

 

Changer de paradigme ?

« Surfer la vie », c’est faire le choix d’un véritable changement de paradigme. Comme le sont les nouvelles approches de sécurité industrielle, basées sur la confiance et non la défiance dans le « facteur humain ». Ou les approches « agiles », auxquelles s’essaient même les grands groupes, au moins par souci d’une image de modernité si ce n’est par l’adoption de ruptures méthodologiques.

Mais un changement de paradigme, c’est compliqué, c’est violent, c’est long. On remet en cause des pouvoirs, des positions, des habitudes. C’est parfois la seule solution. Celle de la rupture.

 

Alors en attendant, en attendant de sentir le moment de bascule sur la vague qui nous portera, de sentir le moment décisif pour se lancer, on peut décider de changer au moins son regard. Cela entraînera la suite.

Car revenons à ma découverte de cet été…

 

Jusqu’à présent, j’avais le nez « dans le guidon » (ou plutôt sur voire dans la planche). A chaque étape. Attentif, concentré, dédié au franchissement de chaque moment clé : la bonne vague, la « rame » d’accélération, et le bond de redressement. L’esprit et le corps ramassés, tendu vers chacun de ces objectifs successifs, en « boule ». Les yeux fermés, peut-être physiquement, et en tous cas, le regard réduit à l’horizon très immédiat.

Et lorsque chacune de ces étapes, rationnellement découpées, étaient franchies, je me retrouvais enfin, debout, prêt à la suite… ou pas. Car lorsque la vague (l’enjeu) était conséquente, la découverte de l’étape suivante – la hauteur de la vague ajoutée à la mienne découvertes brusquement à mes yeux enfin ouverts – était à même de me tétaniser, ou me désarçonner. Moralement, et physiquement.

Et j’ai retrouvé là, en y repensant, et dans une géométrie inversée, les erreurs induites par l’approche classique qui recommande de passer chaque marche, l’une après l’autre, pour monter l’escalier (sur la vague, on descend, la plupart du temps), ou le post-taylorisme en version lean ou autre, qui recommande d’avancer selon un processus rationnellement et précisément découpé.

 

Lever les yeux, se porter vers l’objectif, le sens

La solution, suggérée par mon maître bienveillant, pédagogue extraordinaire, a été de lever les yeux. De sortir de ma boule, de ma bulle…

Et le déclic a eu lieu.

Car sortir de sa bulle, se focaliser sur l’objectif, et pas sur les étapes, ce n’est pas seulement anticiper le coup d’après – le déroulement de la vague, par exemple. C’est surtout s’affranchir des appréhensions, des obstacles qui apparaissent dans toute situation complexe.

 Alors bien sûr, pour les passer, il est nécessaire de maîtriser le geste technique. Mais lorsqu’il est acquis – et c’était le cas pour moi, me disait-il -, il faut s’inscrire dans le contexte, dans le déroulement de l’action, de la mission. Sinon on cale, on hésite, on bloque, et on renonce souvent devant la difficulté, ou tout simplement le risque perçu. Se rappeler pourquoi on est là. Pour quoi ?

Lever le regard, cela permet aussi, en amont, de mieux percevoir l’évolution des vagues, leur gonflement lent ou bien rapide, leur évolution, leur fréquence, et donc de les choisir, sans les rater. Cela permet aussi, en relevant la tête et le buste, d’avoir plus de puissance dans la « rame », de mieux accompagner la direction de la vague. De ne plus découvrir, brusquement, la hauteur à accompagner, mais de la mettre en perspective, en laissant les sensations reprendre l’équilibre. Et ensuite de chercher le déroulement, pour prolonger le plaisir de la glisse, autant que possible.

En bref, de s’inscrire efficacement dans le déroulement d’une action complexe, dans un environnement mouvant, et en grande partie imprédictible.

 

La maîtrise des étapes est de l’ordre de l’entraînement, du « drill », toujours perfectible. Mais l’accomplissement dans l’action n’est possible que lorsqu’on « lève le nez », que l’on s’accroche qui à son étoile, à sa mission, et donc aussi à son loisir.

 

Et cette leçon de terrain a résonné avec deux autres lectures de l’été :

  • « La liberté de commandement, l’esprit d’équipage », du ViceAmiral Finaz (chez Equateurs)
  • « How to have impossible conversations », de Peter Boghossian et James Lindsay (chez Lifelong Books).

Je reviendrai sur ces lectures à une autre occasion. 

Mais dans la première, le chef militaire – et écrivain de marine, et la poésie du regard et de l’écriture nous aide aussi à nous mouvoir dans la vie – rappelle notamment que « toute aventure, toute entreprise est vaine si elle ne repose, dans la durée, sur le sens de ce qui la justifie, de ce qui l’a créée, de ce qui l’invente à nouveau ».

S’amuser, glisser, réussir un petit accomplissement ludique, dans mon cas estival. Mais une question bien sérieuse au cœur de tout enjeu professionnel et personnel.

Et dans la deuxième, les brillants auteurs d’articles « pastiches » qui avaient démontré l’inanité des « pseudo sciences » qui asphyxient l’esprit et la connaissance dans les universités américaines (et européennes, malheureusement aussi), partagent, parmi leurs « recettes » pour réussir à converser, y compris dans des contextes extrêmement hostiles, celle de la recherche du « sens » (« invite a deeper conversation about the underlying values »…). 

Car le rappel (ou le retour) aux fondamentaux est souvent un moyen de retrouver un équilibre partagé – ou non.

 

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 15 Juin 2020

Penser les plaies

Avec l’accélération du déconfinement et le retour souhaité, et souhaitable, à un fonctionnement « normal », le risque est important de négliger les blessures individuelles et collectives de ces trois mois passés. Au risque d’avancer sur du sable…

 

Ces trois mois de crise laisseront des traces, et pas seulement économique : dans les corps et les esprits, et dans les fonctionnements collectifs.

Certains auront trouvé, en eux et dans les autres, des ressources insoupçonnées (la majorité, si l’on en croit notre étude réalisée à l’aube du 50e jour de confinement). D’autres auront découvert, ou confirmé, des faiblesses. Chez eux, et chez les autres.

Alors que la priorité est de remettre tout le monde au travail (même si certains n’ont jamais arrêté, voire même été submergés), la tentation est grande d’aller de l’avant, sans se retourner. Pourtant, il est indispensable de prendre le temps de se poser un moment, de regarder, d’apprendre. Ce n’est pas un enjeu de « bien-être », dont on peut se passer. C’est un enjeu crucial, qui relève d’un terme galvaudé au cours de ces mois passés : la « résilience », qui n’est pas la « résistance ». Parce que demain, que ce soit pour affronter une nouvelle crise sanitaire, ou bien sociale, ou tout simplement pour se relever, il faudra compter sur des bases saines et solides, individuelles et collectives.

 

Des fractures individuelles

Beaucoup d’entre nous ont souffert de ces semaines passées, consciemment ou inconsciemment. 

Par surcharge de travail subie ou voulue, certains se sont noyés dans la suractivité. Il fallait adapter l’organisation du travail, le sien comme celui des autres, répondre aux besoins de production de la crise, sauver ce qui pouvait l’être… ou tout simplement s’éviter tout moment de solitude, de silence, d’introspection. Ceux-ci sont épuisés.

D’autres se sont retrouvés sans activité, ou presque. Ou confrontés à une activité éloignée des productions habituelles, de leurs repères de reconnaissance professionnelle et/ou d’utilité sociale. Et si certains ont pu affecter leur temps et leur énergie à d’autres tâches, familiales ou professionnelles, beaucoup ont dû faire face à une oisiveté souvent non complètement assumée. Avec un sentiment d’impuissance, d’inutilité, d’isolement. Ceux-là sont évidés.

Notre étude révélait aussi que le manque le plus exprimé était celui des contacts humains, physiques. Que ce soit dans le domaine privé comme dans le contexte professionnel. Ces manques, la médecine nous le dit, laisseront des traces psychologiques et physiques dont les symptômes n’ont pas encore tous émergé. Les plus anciens ont été les victimes du « syndrome de glissement », souvent fatal. Mais qu’en est-il des plus jeunes ?

Certaines réponses sont dans l’introspection, réalisée au cours des semaines passées et à poursuivre. D’autres dans une aide externe, médicale ou professionnelle, dans le secret d’un cabinet ou en situation de travail.

 

Des fractures collectives

Au plan collectif, les blessures sont sans doute plus nombreuses encore. Avec les conséquences sur les individus – car l’homme est un animal social -, et sur les collectifs qui sont les vrais facteurs de la résilience organisationnelle.

Révélatrice, loupe, ou accélératrice du meilleur et du pire, la crise aura permis de prendre conscience, ou de confirmer, ce que chacun attendait ou espérait des autres. Et de surprendre aussi. Avec de l’engagement, de la générosité. Mais aussi de la défiance, de la lâcheté, de l’incompétence…

Il y aura ceux qui auront découvert les forces, les talents de ceux qu’ils côtoyaient seulement. Et il y aura ceux qui auront attendu en vain la reconnaissance des autres, ceux qui auront été déçus, abandonnés, trahis. Ou qui l’auront ressenti ainsi, à tort, ou à raison. Parce que la mission, ou la responsabilité de l’autre, était explicite. Ou parce qu’ils le croyaient, au regard d’accords trop souvent implicites, et donc parfois unilatéraux.

Voudrons-nous, et pourrons-nous, affronter avec ces autres les crises de demain, et en partager les succès ?

Dans certains contextes, nous pourrons choisir celles et ceux avec qui nous embarquerons. Nos collègues, nos prestataires, nos employeurs et managers, nos clients aussi. Dans d’autres, il faudra bien faire avec (au-delà de 10% de départs dans une équipe, on déstabilise profondément le corps social). 

Dans ces cas, il faudra sans doute redéfinir un nouveau « contrat social ». A l’aune des nouveaux dispositifs techniques et organisationnels (dont, bien sûr, le télétravail). Mais aussi des compétences révélées et des manques, qu’ils aient été mis en évidence à l’occasion de ces chocs, ou qu’ils soient liés à de nouveaux enjeux et besoins.

Ce travail collectif passera avant tout par une parole libérée et partagée, dans un contexte de sécurité psychologique rassurant, facilitant. Pour construire l’avenir partagé sur des bases saines et solides. Par l’expression des faiblesses, des regrets, mais aussi des forces et de la reconnaissance de la contribution de chacun. Pas comme part d’une « catégorie », mais comme un individu riche de sa propre diversité, de ses talents techniques, mais aussi relationnels, humains. Et par un engagement collectif au profit d’objectifs partagés, de complémentarités assumées, de plus-values confirmées, reconnues et attendues.

 

Apprendre pour demain

La résilience organisationnelle, ce n’est pas la capacité à prendre des coups. Car les plaies et les fractures laissent des traces, même cicatrisées en surface. Dans les ressources et les matériaux, dans les corps et les esprits. Et sous la pression, elles s’ouvrent à nouveau, souvent au plus mauvais moment. 

Les fractures collectives sont aussi, souvent, celles de la confiance perdue. Une confiance établie entre individus, car la confiance institutionnelle n’existe pas (au mieux ou au pire, il y a des crédits ou des procès d’intention envers les représentants d’une institution, mais pas de confiance acquise). Une confiance qui se bâtit dans les aventures et les combats, dans les épreuves et les succès.

Se préparer aux défis de demain en développant sa résilience organisationnelle, c’est avant tout apprendre des événements passés. C’est ce que les militaires incluent dans le process opérationnel comme « retour d’expérience ». C’est aussi un des principes des démarches « agiles ». 

Apprendre pas seulement les gestes techniques, dans une approche linéaire. Mais aussi apprendre au regard de ce qui s’est passé pour tous, pour ouvrir les perspectives face à la complexité, sortir des silos, adopter une approche systémique. Sans chercher de coupables, mais pour s’améliorer. Apprendre aussi de ce qui a bien marché : à dessein, mais aussi « par accident » (la « positive deviance »).

La résilience organisationnelle, c’est aussi s’engager collectivement. Car seul un corps social dans son entier est à même d’avancer et de gagner – sinon, les membres inutiles auraient déjà été abandonnés, ou résorbés, au regard de la rareté de toute ressource – à commencer par le temps.

Alors, alors qu’il est urgent de reprendre pleinement l’activité, prendrez-vous la décision de réaliser cet investissement pour demain ? Prenez donc une minute, regardez-vous, individuellement et collectivement. Pensez vos plaies, et vos atouts. Êtes-vous aujourd’hui prêts à vous lancer, ainsi ? Êtes-vous assez solides aujourd’hui pour affronter demain ? 

Parfois, il est urgent de poser le sac, de se « reconditionner » pour aller plus vite, plus loin. Seul, et avec les autres.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 28 Mai 2020

Et vous, avec qui voudrez-vous vivre (et travailler) ?

Si cette crise aura servi à quelque chose, c’est notamment à révéler les tempéraments – dans la sphère privée comme dans l’activité professionnelle. Une vraie opportunité, donc, de s’engager pleinement dans le « monde de demain ».

 

Avez-vous remarqué combien les événements des mois passés vous ont permis de vous découvrir, et de découvrir les autres ? Avec des confirmations, des bonnes surprises, des déceptions.

Avez-vous remarqué, aussi, combien ces événements ont provoqué des fractures profondes, que ce soit au sein des familles, des équipes, de la société ? Acceptation du confinement, distanciation physique voire sociale, adoption ou non d’un vocabulaire sélectionné, port du masque, acceptation ou aversion au risque, priorité donnée, ou non, à la santé, au détriment de certaines libertés, aisance ou terreur face à l’incertitude, participation aux disputes entre spécialistes et/ou praticiens du pouvoir… Autant de lignes de fractures qui ont souvent dépassé le stade du désaccord pour s’inscrire dans le registre du mépris, de la haine, de l’exclusion, de la si facile recherche d’un coupable

Dans les entreprises, les réactions ont, la plupart du temps, été plus mesurées : liées à l’équilibre de vie, aux conditions de travail, aux relations managériales, mais aussi à la plus-value de chacun, réelle ou perçue, en fonction de la lumière donnée par les projecteurs, médiatiques ou internes.

 

A l’heure des changements, reconstituer les collectifs

Toutes ces fractures laisseront des traces. Assumées ou non. Implicites ou explicitées. Car elles ont révélé parfois des « sensibilités », des préférences ou des avis différents – mais ces différences sont la richesse d’une société, d’un groupe, d’une famille. Mais aussi parce qu’elles ont exprimé des oppositions parfois irréductibles entre « paradigmes », ou « visions du monde », pour ce qui est du sociétal. Entre affirmations ou révélations du sens de la vie au travail, et des conditions de son exercice, pour ce qui est de l’activité professionnelle.

De telles fractures peuvent apparaître comme autant de faiblesses.

Pour les individus comme pour les entreprises, de nombreux changements sont en effet à venir, et déjà en cours. Il y aura des changements organisationnels, au niveau des équipes, des entreprises, et même des éco-systèmes, avec sans doute de nouvelles relations à établir avec les fournisseurs et partenaires, qu’ils soient anciens ou nouveaux. Il y aura des compétences à acquérir – que ce soit dans le domaine technique, managérial, ou relationnel. Et il y aura un sens à (re-)trouver au travail de chacun : une plus-value au développement personnel et à la performance collective.

A l’heure de ces changements choisis ou imposés, plus que des faiblesses, ces lignes de fracture pourront être des atouts pour (re-)constituer les collectifs pour demain. 

A condition de considérer le collectif comme un facteur de performance et de résilience individuelle et collective, plus que de « résistance » ou de « solidité », dès lors qu’il se nourrit de perceptions et talents différents, mais réunis au profit d’un même objectif.

 

 

Une nécessaire approche systémique

Dans cette crise, l’approche verticale et « experte » de l’administration publique a montré sa grande inefficacité, voire sa nuisance en termes d’engagement et de cohésion sociale. 

Dans l’éternelle complémentarité entre le « savant » et le « politique », les technocrates se sont arrogés l’autorité des savants (en les désignant ensuite, au besoin, comme coupables).

A titre d’exemple : la primauté exclusive donnée aux « soignants » engagés dans les soins aux malades du Covid-19 a marginalisé de nombreuses fonctions indispensables. En commençant par les autres « soignants », qui ont dû, pour beaucoup, continuer à assurer leurs missions dans un fonctionnement très dégradé. Et pour beaucoup, ont dû cesser leur activité, « en réserve » d’un hypothétique appel, au détriment de la nécessaire prévention et du traitement des multiples autres pathologies d’un grand nombre de personnes.

Et en oubliant que, dans toute « guerre » (quel inadéquat usage de ce terme !), sans logistique, les combattants – même les plus rustiques - s’effondrent. Se nourrir, se déplacer, se vêtir, se reconditionner, pouvoir bénéficier des services publics du quotidien, être assuré du bien-être des siens… 

Petit à petit, on a « revalorisé » des catégories d’actifs, au petit bonheur la chance, en fonction des affinités de chacun ou de l’influence de certains, ou de la nécessité de trouver un nouveau sujet pour nourrir le Moloch informationnel…

Dans les entreprises aussi, et entre entreprises, les fractures se sont multipliées. Entre ceux qui devaient demeurer pour produire et les fonctions jugées moins « essentielles » - et pourtant, si elles l’étaient, pourquoi les avoir conservées auparavant ? Entre ceux qui bénéficiaient d’un maintien de leur rémunération – ou « traitement » - et les autres, entre un statut intermédiaire et le néant. Entre ceux qui bénéficiaient d’attentions managériales dues aux tempéraments et compétences, et ceux qui se trouvaient isolés, oubliés, abandonnés. Entre ceux qui faisaient preuve d’initiative, d’engagement, et ceux qui se réfugiaient, de bonne foi ou par opportunisme, dans un éloignement souvent confortable.

Trop souvent, on a adopté des approches technocratiques et verticales, alors qu’il convenait d’aborder la complexité de la situation de façon systémique – modeste, interactive et participative.

 

Le sens du travail, le sens de la vie

A l’heure de la reprise – ou pour la permettre - , il est indispensable de refonder les collectifs sur des bases choisies, autant que de possible. De refonder, à tout niveau, un « pacte d’entreprise », et peut être un nouveau « pacte social » dans lequel la contribution de chacun, et les interactions et complémentarités entre tous, sont clarifiées, assumées. Qu’êtes-vous prêts à changer ? De qui et de quoi avez-vous besoin ? Que voulez-vous apporter aux autres ? Pourquoi et comment voulez-vous partager un avenir commun ?

Ce ne sont pas les questions d’un confort bourgeois. Ce sont les fondamentaux d’un engagement fort, et donc efficace, au service de tous les collectifs dans lesquels nous déployons nos énergies, nos compétences, notre vie. 

Et au regard des réponses apportées, il sera alors temps de recréer les articulations et les complémentarités entre toutes ces ressources humaines. 

Ce sera sans doute aussi l’heure de certains choix. Par nécessité économique, par recherche de l’efficacité, de la cohérence aussi. Et aussi du sens que chacun doit aussi donner à sa vie, dans la sphère intime comme professionnelle. Cela conduira sans doute à des départs, mais aussi à de nouvelles alliances.

Ce ne sera pas simple, assurément. Il faudra du temps, de l’énergie, des talents. De l’empathie et de la considération pour chacun.

Mais ce sera indispensable pour retrouver l’équilibre, la performance, et la désormais incontournable « résilience ». Individuelle, mais aussi collective.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change

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Publié le 15 Mai 2020

Télétravail : la clé, c'est l'autonomie

Le télétravail est-il la réponse idéale, non pas seulement aux contraintes sanitaires, mais à un meilleur équilibre de vie, et à une maîtrise des coûts ? Au-delà des fantasmes des entreprises et des intéressés, la question de l’autonomie au travail est clé.

 Au cours de ces semaines de confinement, beaucoup de salariés ont découvert le télétravail – un outil et des pratiques que les indépendants et les équipes dispersées maitrisaient, ou au moins pratiquaient, au quotidien.

Du côté des entreprises, certaines accueillent, après la mode des « open spaces » née des années 2000 et leurs vertus de convivialité, cette nouvelle opportunité de réduire les coûts des bureaux, en lui conférant des atouts de « qualité de vie au travail ». Mais d’autres se démènent avec la difficulté à faire revenir leurs équipes sur le lieu de travail – en raison des craintes liées à la situation sanitaire, mais aussi pour d’autres motifs plus ou moins perçus et/ou assumés.

Le télétravail : une parenthèse enchantée ?

Le sentiment d’une « parenthèse enchantée », notamment pour ceux qui avaient la chance de passer ces semaines dans un environnement favorable (maison avec jardin, appartement avec terrasse, organisation familiale ad hoc…), est sans doute dû à plusieurs facteurs, plus ou moins avoués.

Certains ont connu une période de chômage conjoncturel, partiel ou total, mais avec la certitude (nonobstant la survie de l’entreprise…) de retrouver son emploi au retour, et avec une rémunération maintenue en grande partie ou en totalité, grâce aux dispositifs d’aides publiques et l’engagement de certaines entreprises.

D’autres (et certains appartenant aussi à la catégorie précédente) ont poursuivi leur activité professionnelle en télétravail (là encore, à temps complet ou partiel). 

Parmi ceux-ci, et notre enquête sur la perception des 50 jours de confinement le montre, certains se sont noyés dans le travail. Volontairement, pour ne pas penser à la situation. Ou sous contrainte, en raison de leur activité et du contexte ou bien de la nécessité de concilier attentes familiales et nécessités professionnelles.

D’autres, enfin, ont découvert les plaisirs d’une vie plus équilibrée, entre temps professionnel et activités familiales. Et ceux-là, pour beaucoup, militent pour la pérennisation de ce mode de travail à distance. Ont-ils réussi à maîtriser leur agenda, leurs outils et leurs pratiques professionnelles, et à réaffecter le temps passé dans les déplacements quotidiens à leur vie de famille ? Ou leur temps de travail s’est-il en fait réduit ? L’empressement qu’ont certaines entreprises à faire revenir leurs équipes dans les bureaux laisse penser que la deuxième hypothèse n’est pas à balayer d’un revers de main.

L’autonomie individuelle et collective

Au-delà des outils, le télétravail repose essentiellement sur l’autonomie : celle des salariés, à tous niveaux. Et sur la capacité des managers, là encore à tous niveaux, à trouver (et prouver ?) leur plus-value dans une organisation qui valorise l’autonomie de chacun.

Qu’on le veuille ou non, tous les salariés n’ont pas la même capacité d’autonomie. Cela peut tenir à leur métier, mais aussi à des qualités professionnelles propres. Certains s’emparent d’un sujet, ou d’une tâche, ou d’un ensemble de tâches, et les mènent à terme. D’autres ont besoin d’un encadrement permanent, ou de tâches extrêmement détaillées, dont la qualité et l’enchaînement doivent être assurés par une action managériale. Cette diversité est une réalité à considérer sérieusement, pour ne pas démotiver les uns, ni abandonner les autres.

L’autonomie, c’est aussi la capacité à prendre le contrôle de sa vie. Ce n’est pas seulement travailler « suffisamment ». C’est aussi savoir se préserver, dans un équilibre de vie choisi. Car dans toute activité, et en particulier en période de crise, la charge de travail peut s’avérer écrasante. Au bureau, lorsqu’il n’y a plus personne autour de soi, tard le soir, les signaux d’alerte permettent de prendre conscience d’un déséquilibre – quand les dispositifs d’entreprise ne coupent pas les lumières et les serveurs... Chez soi, la tentation est forte de ne pas résister, d’alerter, d’appeler à l’aide.

Enfin, l’autonomie est avant tout individuelle. Mais elle peut aussi être collective, faite d’interactions non hiérarchiques. Il y a quelques décennies, on appelait ça des « équipes autonomes de travail ». Aujourd’hui, des organisations « agiles » (dès lors que celles-ci ont aussi d’autres qualités). Elle n’est pas plus naturelle, et doit s’organiser, s’animer.

L’autonomie individuelle et collective peut en effet se développer. Moins avec des « formations » qu’avec une nouvelle organisation du travail et des interactions, une nouvelle répartition des rôles qui reposent tant sur les productions attendues que sur les compétences individuelles, à un moment donné. Et sur des compétences managériales particulières.

Manager l’autonomie

Avec des salariés et des équipes « autonomes », la question du management se pose évidemment.

Tout d’abord parce que certains n’envisagent leur rôle qu’en exerçant un « contrôle » de proximité, sur la base d’une évaluation de critères comme le temps passé au bureau. Confrontés au télétravail « contraint » de ces dernières semaines, certains ont adopté des pratiques déjà observées, avec consternation ou moquerie, dans des équipes multisites. On parle par exemple d’un cabinet d’avocats, profession a priori regroupant des experts autonomes, ayant exigé des collaborateurs en télétravail de demeurer connectés en permanence à Skype… gageons qu’il ne s’agissait que de la volonté de fluidifier, en temps réel, les échanges !

D’autres « encadrants » veulent centraliser l’information, et incarner solitairement « l’exercice du pouvoir ». Mais le télétravail, c’est aussi la possibilité donnée de contacter chacun librement, directement, sans même passer dans le couloir ou même la tête dans l’open space, s’attirant ainsi l’attention bienveillante du manager soucieux de ses troupes…

Le manager du télétravail n’est pas à l’image du « leader » autoritaire, vertical. A contrario, il doit être capable d’identifier les difficultés de chacun de ses collaborateurs, d’animer un collectif dispersé. Car l’autonomie collective n’est pas nécessairement synonyme de l’absence de management. La force d’une équipe est celle de ses complémentarités et de ses synergies. C’est aussi celle de ses rencontres réelles, de ses solidarités qui se nouent lors de moments réels, formels et informels, dans un cadre partagé.

Le manager du télétravail, c’est aussi celui qui sait organiser le travail de chacun, pour faciliter l’engagement, la reconnaissance. Et le sens que chacun donne à son travail

C’est donc plus un « animateur », un leader « servant », qui aide et protège, aussi, ses équipes de la pression voire des injonctions contradictoires qui existent dans la plupart des organisations complexes. Qui règle aussi les tensions et conflits potentiels entre les membres de l’équipe, mais à distance. Et qui privilégie la confiance au contrôle… Car si le contrôle total n’est jamais possible en présentiel (et même contre-productif), qu’en dire à distance ?

Que de talents différents, donc, de ceux souvent observés. Des talents à développer, par la formation peut-être, mais surtout la mise en pratique de nouvelles dynamiques collectives, bâties sur les spécificités et l’engagement de chacun.

Organiser l’autonomie, aussi

Cette mise en avant du télétravail, et la période de tension extrême sur les équilibres économiques qui vient, sont aussi, pour les entreprises, des occasions de s’interroger sur la plus-value de leurs missions, et de ce qu’elles attendent de leurs collaborateurs. Une question que pose avec talent Julien Damon dans son article sur les « bullshit jobs ».

Car si l’animation quotidienne des contributions est du rôle, essentiel, du management, l’organisation de celles-ci est aussi du ressort de l’entreprise elle-même, dans un travail de (re-)définition des contributions de chacune de ses entités, de ses métiers. Un travail de fond qui engage toutes les parties prenantes pour retrouver, loin des approches mécanicistes du lean et de ses dérives, la richesse de l’intelligence et de l’action collectives.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change

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Publié le 7 Mai 2020

Poursuivre le télétravail, vraiment ?

Alors que la reprise du travail s’annonce, de nombreuses voix se font entendre sur la question du télétravail : poursuivre ou non, et à quelles conditions ? Voici un partage d’expériences…

 

Véritable découverte sous contrainte et dans l’urgence pour beaucoup, le télétravail fait déjà partie de la vie quotidienne de nombreux acteurs économiques.

Alors que le retour au travail, sous contrainte sanitaire, se prépare, nombre de dirigeants appellent à la prolongation du télétravail, quand d’autres demandent à leurs équipes de revenir sur place. Ces choix sont plus dus à des « convictions » qu’à une vraie connaissance des atouts et limites de ce mode d’organisation du travail. Petite contribution sur la base d’un partage d’expériences et des leçons de notre enquête menée à la veille du 50e jour de confinement (pour les résultats de l’enquête, c’est ici).

 

D’expérience, le succès du télétravail repose sur quatre piliers de nature différente.

 

Le volet technique

 

Ce sujet a beaucoup occupé les entreprises à l’annonce du confinement de la mi-mars et la réponse à cet enjeu était dans les mains de tous : employeurs, fournisseurs d’accès, et particuliers.

Les premiers ont dû faire face dans l’urgence. Gageons que les solutions de court terme seront pérennisées, renforcées, à moins d’une insouciance coupable.

Les deuxièmes ont apparemment tenu le coup… Reste la question de l’inégalité des territoires en termes de « continuité numérique », que ce soit pour la 4G ou la fibre. 

Quant aux particuliers, prenant conscience, ou non, de leur vulnérabilité de connexion pour des services permettant de travailler, de rester reliés à leurs proches, ou de se distraire, ils ont investi – et les syndicats envisagent déjà, naturellement, de faire payer les entreprises pour ces services à vocation duale.

 

La logistique de l’espace de travail

 

Travailler chez soi, c’est bien, et notre enquête le confirme :  gain de temps (et de dépenses) sur les transports du quotidien, plaisir de passer plus de temps avec les siens, sont mis en avant.

Émergent néanmoins plusieurs conditions de réussite, et en particulier la disponibilité d’un espace adapté au travail à domicile (enjeu du partage de l’espace à plusieurs, stockage des documents, absence du zéro papier, etc.). Là encore, les syndicats se saisiront de la question, qu’il conviendra de traiter en termes rémunération globale.

Seront également à prendre en compte d’autres aspects purement humains… Travailler « à la maison », est-ce que cela veut dire aussi être plus disponible pour la réalisation de tâches domestiques, ou pour répondre aux sollicitations des enfants ?

 

Les compétences de management à distance

 

On touche là à un point dur du changement impliqué par le télétravail : le management à distance s’avère radicalement différent d’un management en “présentiel“.

 

 Alors, bien sûr, on peut faire “comme si“ et ne rien changer :

  • Poursuivre l’exercice de longues téléconférences « descendantes »… pratiques puisque personne n’a plus à subir les conséquences des pertes d’attention de chacun (têtes qui tombent, regard qui bascule sur le téléphone mobile ou sur d’autres supports…). Tout est bien dans le meilleur des mondes…
  • S’assurer de la « présence » de chacun à son poste de travail… On a vu certains « managers » s’en assurer grâce un système de « chat » en direct. Vous êtes connecté, vous êtes là… C’est assurément aussi efficace que de constater que les visages sont bien tournés, dans un open space, vers les écrans…
  • Organiser des vidéoconférences pour animer son équipe et s’assurer ainsi, devant les visages concentrés, de la bonne mobilisation de tous. Malheureusement, la connexion vidéo n’est pas toujours possible – ou les limites de bande passante privilégient la seule connexion audio. Et puis certains savent si bien garder le sourire en toutes circonstances… Établir une relation interpersonnelle en présentiel n’est déjà pas facile, alors à distance…

 

Au-delà de ces situations, la vraie question posée celle de la valeur ajoutée de chacun. Quelle contribution concrète demander ? Comment répartir le travail ? Comment organiser un projet ? Comment mesurer la « performance » ? Beaucoup de ces questions ne sont pas abordées dans beaucoup d’organisations, dans lesquelles la régulation se fait au quotidien, avec des interactions formelles ou non, ou bien dans lesquelles on attend plus d’un collaborateur de tenir une fonction que d’apporter une contribution…

Ce flou managérial peut-être confortable, à la fois pour les « managers » peu formés ou peu engagés dans cette mission difficile, et pour leurs collaborateurs qui apprécient l’absence de « pression managériale ». Le risque qui va surgir, si ces dispositifs se pérennisent, va être celui du maintien de l’emploi. Car dès lors qu’on décide de travailler à distance, il est possible de s’interroger sur le retour sur investissement de chaque poste, avec deux options de changement possibles : l’automatisation de certaines tâches car loin des yeux, loin du cœur ; ou la « délocalisation » à des prestataires d’un meilleur rapport qualité/prix (surtout si la qualité n’est pas un impératif), dans notre pays ou ailleurs, modulo la compatibilité linguistique…

Les entreprises et les salariés souhaitant pérenniser le télétravail sont-ils prêts à ouvrir cette boîte ? Le travail à distance a beaucoup d’avantages pour tous, mais à condition d’y travailler vraiment, de changer, de former, de s’adapter. Sérieusement. Et donc en adoptant un mode d’organisation et de fonctionnement adapté à chaque entreprise, à chaque équipe. Et pas en trouvant une solution « sur étagère ».

 

Et le sens au travail de chacun

 

Évoqué en filigrane dans les questions précédentes, le sens que chacun donne à son travail est aussi la clé du succès d’un fonctionnement pérenne en télétravail.

Notre enquête sur le vécu des individus et des entreprises au 50e jour de confinement le démontre. 

Le premier manque de ces semaines passées, à titre personnel mais aussi professionnel, est celui des contacts humains : les contacts, les vrais, ceux des réunions, des interactions individuelles, de la machine à café, du déjeuner partagé… Et les nombreuses interactions numériques, formelles mais aussi à vocation informelle, n’ont pas répondu à ce manque… Comment répondrez-vous donc à ce manque après le 11 mai ?

Les modes d’engagement sont très différents, d’une personne à l’autre, d’une entreprise à l’autre… Certains y mettent cœur et âme, au risque d’un surinvestissement sans contrepartie et de désillusions. D’autres ne viennent travailler que parce qu’ils le doivent, et n’attendent rien de leurs relations interpersonnelles… Mais vous ? Êtes-vous prêts à franchir la barre ? A la solitude ou à résumer vos relations aux seules interactions familiales et amicales ?

Dans notre enquête, certains ont également regretté le manque de liberté, voire d’intimité, qu’offrent les déplacements professionnels – qu’ils offrent une journée différente ou même réduits aux transports du quotidien… un petit temps pour soi, en tous cas pour certains, pour lire, écouter un podcast, rêver… Doit-on y renoncer ? Ou comment les remplacer pour faire de la journée de travail, dont ils font partie, un moment réussi ?

 

L’engagement est aussi relationnel

 

La satisfaction qu’apportent les interactions du fonctionnement présentiel ne peut donc être négligée. Parce que l’engagement du plus grand nombre, entre l’engagement affectif et l’engagement purement rationnel, est aussi relationnel. 

Et parce que le management à distance, même quand il est contraint par l’organisation géographique de l’entreprise, indépendamment des circonstances sanitaires actuelles, a aussi besoin d’interactions réelles, à un rythme et selon des modalités à établir en fonction de chacun, des attentes des uns et des autres aussi, parce que tous les talents ne sont pas substituables, de la culture d’entreprise enfin car les habitudes et attentes de tous les métiers et activités ne sont pas les mêmes. Au cas par cas, là encore, et pas « sur étagère ».

 

Alors, si vous voulez vraiment installer le travail à distance dans votre fonctionnement professionnel pérenne, n’improvisez pas et ne tirez pas seulement les leçons d’une situation exceptionnelle, née de l’urgence et de la peur…Travaillez y ! Et nous sommes là pour vous y aider.

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change

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Publié le 4 Mai 2020

Et vous, que changerez-vous avec cette crise du Covid 19 ?

Alors que s'approche le 50e jour de confinement dont les sous-mariniers nous disent que c'est un cap important, vous êtes 300 à avoir répondu à notre enquête "Et vous, que changerez-vous avec cette crise du Covid 19 ?" L'idée était de vous permettre "d'ouvrir le moteur", selon la jolie formule de David Abiker, de vous interroger sur votre état au coeur de la crise, et de l'état de votre entreprise. Voici donc les résultats de cette enquête... Conçus comme une promenade dans vos ressentis, vos actions, vos résolutions.

 

En quelques mots :

  • Vous vous êtes agréablement surpris dans cette période de confinement contraint ! Forts, patients, résilients, tournés vers l’action. Et plutôt optimistes.
  • Ce qui vous a manqué le plus, ce sont les contacts, les vrais, à titre personnel mais aussi professionnel. Et c’est en vous connectant avec les autres que vous avez « tenu le coup ».
  • Demain sera fait de changements personnels pour beaucoup. D’abord dans l’équilibre de votre vie.
  • La plupart des entreprises et organisations sont perçues comme avoir plutôt bien réagi dans cette crise. Mais elles devront changer beaucoup de leurs pratiques. Pas par nécessité sanitaire, mais pour conserver leurs talents !

Bonne lecture !

Enquête Kaqi Covid 50 jours

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change

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Publié le 12 Avril 2020

Face à la crise : le saut de l'ange ?

Science et philosophie de l’action, la sociodynamique recommande, dans de nombreux cas, de mettre en œuvre une « stratégie des alliés » permettant la mobilisation des énergies du plus grand nombre et la mise en œuvre d’un projet partagé. Mais parfois, cette stratégie se heurte au mur des oppositions… Le corpus sociodynamique et les bonnes pratiques plaident alors pour d’autres choix.

 

 

La stratégie des alliés repose sur plusieurs principes, et en particulier une attention portée avant tout aux « alliés » : ceux qui soutiennent votre projet, qui prennent des initiatives synergiques et qui peuvent aussi faire preuve d’esprit critique afin de le faire évoluer. Car l’essentiel est la mise en œuvre – à quoi bon prendre une décision, aussi « intelligente » soit-elle, si elle n’est pas suivie d’effets positifs ? 

S’appuyer sur ces alliés, c’est les associer pleinement aux décisions, co-construire les actions partagées, susciter leur engagement très concret – car s’ils ne s’engagent pas mais ne font qu’acquiescer servilement, c’est que ce ne sont sans doute pas des « alliés ». Ce n’est donc pas seulement attendre qu’ils « obéissent », mais c’est aussi prendre en compte leurs hésitations, leurs critiques, voire leurs oppositions ponctuelles. Les « suiveurs » ne sont pas en effet les meilleurs alliés que vous ayez, car ils ne verront pas les obstacles arriver… Et, dépourvus d’esprit critique, ils ne pourront convaincre la grande masse des « hésitants »…

 

Convaincre les hésitants

 

En effet, l’enjeu le plus fréquent des projets sensibles est de convaincre ceux qui hésitent, qui doutent, qui s’interrogent… Dans ces contextes, ils sont ceux qui constituent la grande masse des parties prenantes. Votre décision est-elle justifiée ? Communiquez-vous suffisamment, et de façon adaptée ? Vos actions de mise en œuvre sont-elles réalistes, acceptables, efficaces ? Sont-elles conformes à l’intérêt général ? Mais aussi : qu’avez-vous vraiment en tête ? Quels sont vos objectifs personnels ? Avez-vous envisagé l’échec ? Et dans ce cas ?... 

Les stratégies à adopter avec ces parties prenantes sont celles de la négociation : accepter leurs conditions d’adhésion, y compris en adaptant votre projet en contrepartie de leur participation – car dès lors que le projet initial, mais « latéralisé », enrichi, devient aussi le leur, ils deviennent, de fait, des « alliés ».

Reste les « opposants » : ceux qui s’engagent contre votre projet, mais aussi en dépit de celui-ci. Car souvent, la meilleure des oppositions n’est pas d’aller à l’affrontement, mais de vous laisser vous épuiser, seul. En particulier lorsque le contexte est complexe, la situation périlleuse : car isolé, vous ne prendrez plus de décisions éclairées, vous perdrez toute créativité, en attendant la fin, inéluctable, de vos ressources physiques, humaines, intellectuelles… Pour ces opposants, la stratégie des alliés recommande, selon les contextes, la mise à l’écart ou l’imposition. Ne perdez pas de temps avec eux, et s’ils doivent être à bord, qu’ils obéissent !

 

Merveille d’efficacité, cette « stratégie des alliés » ne peut cependant s’exercer pleinement que lorsqu’il est possible de convaincre les hésitants, voire d’aller chercher d’autres alliés, et de maintenir un équilibre des pouvoirs en votre faveur : en ayant plus de contributions positives, d’engagements synergiques, que d’actions contraires ou, ne les oublions pas, d’actions qui ne tiennent aucun compte de vos décisions…

Dans certains contextes bloqués, lorsqu’il n’est plus possible – ou plus souhaitable - de continuer à faire « toujours plus de la même chose », il peut devenir nécessaire d’agir pour faire en sorte que les opposants deviennent des parties prenantes plus synergiques : a minima des « grognons » (ils protesteront mollement mais ne passent pas à l’acte), ou bien des hésitants (dont l’antagonisme s’est réduit), voire même, et c’est possible, des alliés.

Pour permettre cette évolution, il vous faudra oser « le saut de l’ange »…

 

Le saut de l’ange

 

Habituellement, le « saut de l’ange » est un plongeon dans le vide (ou dans l’eau)… Les bras écartés témoignent d’un abandon complet, face au risque, face au danger – c’est l’acceptation de sa propre vulnérabilité. Il ne s’agit donc pas de résister au choc, d’être le plus fort… Ce n’est pas être bravache, c’est s’exposer vraiment. Mais ce n’est pas non plus un acte suicidaire, car le succès de l’opération tient soit à une maîtrise technique du plongeon dans l’eau, soit à un « secours » qui viendra d’un baudrier et d’un élastique, ou d’un parachute. Et l’entrée dans l’eau devra être fluide, comme l’accueil du choc de l’ouverture devra être souple – il faudra s’adapter alors à l’environnement. Dans les deux cas, toute rigidité sera pénalisée, et ceci d’autant plus sévèrement que la position était haute.

En matière de stratégie d’acteurs, le « saut de l’ange » est une décision sociodynamique audacieuse, voire courageuse. En effet, il s’agit de faire le choix de s’ouvrir aux « opposants » (réels ou supposés). 

Dans le cadre d’une stratégie des alliés classique, ce choix serait une erreur. Car en leur accordant plus d’attention que nécessaire, on prend le risque de les légitimer au yeux des hésitants, qui basculeront alors de leur côté. Et de déstabiliser vos alliés, frustrés de constater que pour bénéficier de vos attentions (et notamment de votre temps), il est tout aussi voire plus efficace de manifester de l’antagonisme que de la synergie.

Cette ouverture n’est pas une tentative d’aller les « convaincre » au nom d’une raison supérieure ou d’éléments de langage nouveaux. Et encore moins de les faire « obéir » en renforçant les injonctions.

Car si le mode directif peut se justifier dans certains cas (urgence vitale notamment), cette pratique génère de nombreux inconvénients, et en particulier :

  • Il déresponsabilise vos alliés ;
  • Il renforce les antagonismes, en leur donnant « raison » (vous êtes un dictateur puisque moins on vous suit, plus vous accroissez la pression), jusqu’à justifier des stratégies contraires jusqu’auboutistes (face à une « répression » accrue, il n’y a plus rien à perdre) ;
  • Il rompt le peu de confiance, ou de volonté de dialogue, que peuvent avoir les « hésitants » (qui attendent avant tout une négociation).

Ce mode qui privilégie l’imposition donc être limité dans le temps et les moyens, et être suivi d’actions d’explication et de réparation de la confiance perdue. Et c’est parfois vain, car s’il est facile de rompre la confiance, la bâtir prend du temps. L’urgence et les enjeux en valaient-ils alors la peine ?

 

Faire le choix du crédit d’intention

 

Le « saut de l’ange » est une forme de crédit d’intention fait à l’autre, fut-il hostile : c’est le pari fait qu’à l’aveu de sa propre fragilité, voire de ses échecs, ne répondra pas une réaction de vengeance, mais de compassion, au regard d’enjeux supérieurs partagés. 

Pourtant, la posture « naturelle » face aux opposants est plutôt au procès d’intention, à la défiance. Oser le saut de l’ange, c’est donc renoncer à toute forme d’orgueil, ou de supériorité. C’est sans doute se mettre en danger – mais lorsque l’échec est là, ou le coût trop élevé, pourquoi ne pas changer de stratégie ? C’est aussi, souvent, admettre que si les décisions ont suscité une opposition – ou une absence d’adhésion -, c’est qu’elles sont sans doute inadaptées, car ne contribuant pas efficacement à un objectif dont on est convaincu qu’il peut être partagé aussi par ceux qui, jusqu’à aujourd’hui, étaient des « opposants ». Un objectif a minima reformulé, explicité pour mobiliser de nouvelles parties prenantes. Et traduit en actions de mise en œuvre acceptées car définies en commun, négociées.

Faire le pari du saut de l’ange, enfin, c’est choisir de faire appel à l’intelligence de l’autre – qui devra être saisi, intimement, par cette action profondément humaine qu’est la mise en danger volontaire, dès lors que c’est pour un bien commun.

 

En matière de conduite du changement, le saut de l’ange est typiquement un « changement de type 2 ». 

Face aux difficultés croissantes, la stratégie classique, au moins dans la tradition post-taylorienne, est de durcir la mise en œuvre des décisions prises, de s’enfermer dans ses certitudes. On ajoute des procédures aux procédures, on durcit les règles de « compliance », on punit les coupables, toujours plus durement… Toujours plus de la même chose… Ce n’est pas de la résilience, c’est de la résistance… jusqu’à la rupture (ou l’épuisement, et donc la mort).

Adopter une stratégie de type 2, c’est « changer de damier » quand cela est possible : trouver d’autres alliés, ouvrir d’autres fronts… Mais quand cela n’est plus possible, il convient alors d’agir radicalement différemment… Faire le saut de l’ange, c’est faire ce choix. Celui de la confiance plutôt que celui de la défiance.

 

Le saut de l’ange au service de la résilience collective

 

Dans un contexte de crise majeure – et bien sûr aussi dans celui, plus traditionnel, des projets d’entreprise, la puissance du corpus sociodynamique est frappante. Et quand on l’applique aux crises majeures, on peut le rapprocher utilement d’une tradition qui a émergé au cours de la même période (depuis la fin des années 70), pour se poursuivre jusqu’à présent, dans les théories et pratiques de la sécurité et des facteurs humains.

L’approche traditionnelle de la sécurité est celle des couches successives : face aux risques, aux dangers, aux menaces, on renforce les murs physiques ou organisationnels, les procédures, on chasse les coupables, les « maillons faibles » - au premier rang desquels les hommes…

Et dans un monde de plus en plus complexe, technologiquement et humainement, le constat des « accidents » qui émergent, dans tous les domaines, conduit cette tradition à recommander des mesures toujours plus rigoureuses, voire brutales. A se reposer sur le savoir des « experts », sur des procédures toujours plus détaillées, à écarter autant que possible le « maillon faible » : les hommes, avec leurs émotions, leurs doutes, leurs initiatives. Toujours plus de la même chose… Sans résultat, car l’hyper-sécurité n’existe pas.

Avec les « High Reliability Organizations » et la « Resilience Engineering », des professionnels reconnus dans les domaines les plus sensibles (nucléaire,transports, exploitation pétrolière, santé, opérations militaires…) ont fait le choix de la rupture épistémologique, véritable « saut de l’ange » puisque leurs recommandations, appliquées dans des contextes mettant en jeu la vie et la mort, pourraient aisément, en cas d’échec, leur être reprochées. Et pourtant, ils l’ont fait.

Ce « saut de l’ange », c’est encore et toujours faire le choix des hommes, plutôt que celui des machines ou des procédures qui ne sont que des outils, et non des fins en soi. C’est faire confiance, susciter le débat, remettre en cause, y compris systématiquement, les certitudes acquises ou les faux consensus, nés des dynamiques humaines. C’est rechercher la créativité, l’intelligence collective, la subsidiarité et l’engagement de tous. C’est accepter le risque et la fragilité des organisations. C’est investir sans cesse dans le temps des hommes… Le temps des hommes, celui de la sociodynamique.

 

Cet article a été rédigé pour l'Institut de la Sociodynamique.

https://www.institutdelasociodynamique.com

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Publié le 19 Mars 2020

Face au danger : le mur ou le réseau ?

Dans la situation de crise que nous vivons, deux comportements se dessinent, au niveau individuel mais aussi collectif, radicalement opposés. Ils sont révélateurs de deux « visions du monde », de deux « paradigmes » que les sciences de la sécurité organisationnelle et des facteurs humains, connaissent bien. 

 

Même si le terme de « paradigme » peut prêter à sourire, ou à dénigrement, la nature très émotionnelle des oppositions entre les deux familles de pensée et de comportements justifie le choix de ce terme. Car, pour beaucoup, il ne s’agit pas seulement d’une opposition entre deux modes de raisonnement, mais de deux « visions du monde », irréductibles voire incommensurables. Et son usage renvoie donc aux conséquences étudiées en matière de mise en œuvre des changements liés.

 

La confiance dans les organisations

 

L’approche dominante est celle de la rationalisation, du mécanicisme social, de la confiance envers la capacité de certaines intelligences à maîtriser le monde, en le domptant au travers d’organisations et de procédures. Héritières du taylorisme et construites sur des États (et des grandes organisations) s’appuyant sur des structures inévitablement bureaucratiques, la plupart de nos sociétés occidentales ont donc recours à une procédurisation croissante de leurs activités : elles s’appellent règles, normes, lois... 

Avec cette approche traditionnelle, plus l’écart à l’objectif augmente, plus on renforce les procédures. Quand la « compliance » n’est pas respectée, on augmente les contrôles et les contrôleurs. Quand les écarts au budget s’accroissent, on réduit les autorisations de dépenses individuelles au profit de contrôles supplémentaires. Quand les accidents augmentent, on ajoute des règles de contrôle des comportements, des procédures de vérification, des experts chargés de surveiller les opérateurs. Quand les lois ne sont pas respectées, ou contournées, on en invente d’autres et on recherche l’accroissement des moyens de sanction et de coercition…

Car selon cette approche, la procédure est rarement mise en cause. Si elle n’est pas respectée, c’est qu’il y a des contrevenants, des coupables.

 

La quête du coupable

 

La recherche de « coupables » est au cœur de ce paradigme. Coupables de ne pas respecter la loi, mais aussi de ne pas avoir trouvé la règle idoine, de ne pas l’avoir appliquée à temps, ou assez fermement....

Et cette recherche n’a pas de fin … Le coupable, c’est l’opérateur confronté à l’accident, ou le mainteneur, ou le manager, ou le capitaliste qui n’a pas mis assez de moyens,  le concepteur du système, ou le bureaucrate qui multiplie les règles,  le système éducatif qui produit des crétins, ou celui qui n’a pas assez de moyens pour former des honnêtes hommes, voire les parents incompétents ou dévoyés…

Car le paradigme de la rationalité totale ne peut admettre qu’il est impossible, in fine, de maîtriser la complexité. Il faut toujours plus de travail, de moyens, plus d’intelligence, de savoirs : à force de « toujours plus de la même chose », il sera possible de domestiquer le monde.

Et même si nous connaissons tous des systèmes qui étouffent de pesanteurs bureaucratiques et de surabondance de règles et de processus inapplicables dans les faits ou contradictoires (et parfois les deux), il en est toujours pour être convaincus que, si ça ne marche pas, c’est parce qu’on n’applique pas à la lettre la réglementation prescrite. L’essentiel est d’être « compliant », même si on en meurt, immobiles et étouffés.

 

Le jugement a posteriori de « l’erreur humaine »

 

Ce paradigme repose aussi sur un autre fondamental : celui de l’analyse (et du jugement) a posteriori. En regardant en arrière, il serait en effet toujours possible d’identifier « LA » faille dans le système : la cause de l’erreur humaine, le point de fragilité – et donc celui de la culpabilité. Cette croyance encore vivace – et la simple consultation des medias et des réseaux sociaux en témoigne - est pourtant un signe d’arrogance et/ou d’incompétence, héritière d’approches archaïques et simplificatrices, pour lesquelles un événement a une cause unique, et chaque action une conséquence prévisible.

Pourtant, l’analyse des accidents de l’ère industrielle et moderne témoigne que leurs « causes » sont toujours multiples, interdépendantes, et donc émergentes (et donc irréductibles à une « déconstruction » logique). 

Et à ce jeu de « l’erreur humaine », tout le monde est perdant, et la quête du coupable, comme la « révolution », dévore toujours ses enfants.

 

Le choix de la résilience

 

Depuis les années 80 se développent d’autres approches. Dans le nucléaire, l’industrie pétrolière, les opérations sous-marines et aéronautiques, et petit à petit le médical – en tous cas, partout où il est question de vie et de mort -, et face à l’inefficacité des approches classiques dans des situations d’extrême complexité, on explore les leçons des organisations hautement résilientes (HRO, high reliability organizations) et on développe « l’ingénierie de la résilience » (resilience engineering).

Au fondement de ces deux écoles se trouve un même paradigme. La complexité socio-technique génère des problèmes qui ne sont plus seulement « compliqués », mais « complexes » ou même « malicieux » (« wicked »). Et face à ces risques, dans lesquelles la complexité technique s’associe à l’imprédictibilité des sociétés humaines, il est plus efficace de rechercher la résilience des systèmes que leur inatteignable infaillibilité. Il convient alors de rechercher la survie du système plutôt que de l’étouffer, in fine, sous des protections toujours imparfaites. Accepter, le cas échéant, la part de dégâts, mais éviter avant tout que le système entier ne meure. Apprendre des erreurs plutôt que de les condamner. Et pour cela, ne pas chercher à exclure un « facteur humain » source de fragilité, mais le considérer comme le « maillon fort », car seul à même de s’adapter, et de conserver agilité et créativité au système.

Plutôt que de s’intéresser aux règles qui fonctionnent « en théorie », on s’intéresse aussi à ce qui fonctionne « en pratique ». Et pas seulement pour une partie de l’organisation ou de la société, mais pour l’ensemble du système et de ses interactions. On ne traite donc pas, par exemple,seulement l’aspect sanitaire d’une situation, mais aussi ses interactions (et pas seulement ses conséquences) sociales, stratégiques, économiques. On admet aussi les limites de résistance de tous les systèmes, qu’ils soient techniques, humains, ou encore socio-techniques car faits d’hommes et de machines. Et on accepte l’incertitude, les compromis entre les objectifs contradictoires, (les « trade-offs »), qui seront faits par les hommes, en toute responsabilité, mais sans crainte d’être jugés. A eux tous cependant d’être humbles et pragmatiques, de ne pas s’imposer comme des « hommes providentiels », car ils susciteront alors, avec des promesses intenables, des attentes irrationnelles.

Face aux situations complexes, ces dynamiques humaines, qui encouragent la sécurité psychologique de chacun, le partage en toute confiance des signaux faibles de dysfonctionnements qui permettent d’anticiper, mais aussi les bonnes pratiques partagées, sans crainte d’un jugement, sont alors les clés d’une meilleure résilience.

Cela implique aussi d’accepter d’autres changements profonds, comme la prise en compte de la « réparation » après un accident (sauf acte délibéré, avec toutes les difficultés pour appréhender cette notion). Indispensable processus, souvent économique, mais surtout psychologique, qui ne peut pas alors passer par la recherche de « coupables ». Il faut donc y penser « autrement ».

 

En situation d’incertitude, le paradigme de la confiance

 

Le paradigme fondateur de ces approches est de plus en plus promu et, petit à petit accepté, dans le monde des entreprises « classiques », comme il l’est aussi dans celui des opérations critiques, par ceux qui constatent que, face aux menaces complexes de notre monde, il ne suffit plus de construire des murs toujours plus hauts.

 Quand faire « toujours plus de la même chose » ne fonctionne plus, il faut faire « autrement », et donc accepter une part d’incertitude. Y compris de la part d’experts à qui on demande, de façon très injuste, d’être « sûrs ». 

Car cette part d’incertitude est la part d’humanité de notre monde – comme elle l’est aussi des systèmes techniques, toujours faillibles.

Elle est d’ailleurs aussi au cœur des méthodes « agiles » qui ont émergé dans le domaine numérique (lui aussi confronté à des enjeux de sécurité cruciaux), mais aussi dans le monde industriel, pourtant imprégné de l’idéologie post-taylorienne, et dans lequel elles se diffusent, lentement certes, tant le changement culturel est profond.

 

Accepter l’incertitude, ou le « brouillard de la guerre », c’est aussi adopter les principes d’un fonctionnement individuel et collectif qui repose sur le sens partagé : « l’intention du chef », selon les méthodes éprouvées de commandement militaire, ou la « vocation » de l’entreprise. Cette cible étant désignée, on laisse ensuite beaucoup d’initiative aux différentes parties prenantes chargées de leur mise en œuvre, tout en s’assurant en permanence de la contribution des actions de chacun à l’objectif commun. Ce ne sont pas les « experts » qui gouvernent, mais le collectif de « ceux qui savent » et de « ceux qui font ». Là encore, des concepts qui reviennent régulièrement dans les bonnes pratiques de management des entreprises. Pourquoi s’en priver lorsqu’on travaille sur l’essentiel et le vital ?

 

Le « réseau » plutôt que le « mur »

 

Ce paradigme, c’est aussi faire le choix du « réseau », flexible, adaptable, résilient, plutôt que celui du « mur », résistant voire inébranlable… jusqu’à ce qu’il s’effondre. Le réseau des hommes plutôt que le mur de la bureaucratie. 

Le réseau, c’est le principe fondateur de l’internet… A l’heure de la « transformation numérique » affichée par toutes les grandes entreprises, sommes-nous disposés à en accepter les fondamentaux philosophiques et organisationnels ? A passer de l’instrumentalisation à la véritable transformation ?

 

Alors, adopter le paradigme de la confiance en l’homme, quand on a vécu dans celui de la confiance dans les systèmes techniques ou bureaucratiques, peut nécessiter d’effectuer ce que Jean-Christian Fauvet, le fondateur de l’approche sociodynamique, appelait « le saut de l’ange ». Prendre le risque de faire confiance aux autres, prendre en compte leur avis, même quand ils ne sont pas experts, et leurs contraintes, car ce sont eux qui garantiront, in fine, la véritable mise en œuvre de décisions d’autant plus difficiles qu’elles touchent à la vie de tous. Assurer la pérennité du collectif dans la vraie vie, et pas seulement dans la théorie.

 

Faire ce choix, qui est un vrai choix de rupture, car il remet en cause les fondamentaux culturels des individus et des organisations, c’est faire celui d’une véritable « révolution scientifique » et humaine. Et c’est pourquoi, parce que ces « changements de paradigmes » sont pleins d’émotions sincères mais aussi de luttes de pouvoir (accepter de faire avec plutôt que d’imposer, considérer le pouvoir comme relation plutôt que comme domination, considérer l’équilibre des pouvoirs comme un enrichissement plutôt que comme une faiblesse…), c’est aussi prendre le risque de subir le reproche de  l’irresponsabilité, l’exclusion par les « cercles de la raison », l’accusation de « désobéissance », voire de trahison.

Y êtes-vous prêts ?

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change, #CIMIC

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Publié le 11 Décembre 2019

Centraliser ou décentraliser l’organisation : avant tout un enjeu collaboratif

Que ce soit dans l’entreprise ou dans la sphère publique, les organisations oscillent régulièrement entre centralisation et décentralisation. Recherche d’une organisation idéale ? Mode du moment ou tocade  managériale ? Et si on considérait autrement ces changements ?

 

Au point de départ de cette réflexion, il y a tout d’abord une conviction : il n’existe pas d’organisation idéale. Si c’était le cas, les cabinets de consultants internationaux, qui animent le partage des « meilleures pratiques » à l’échelle mondiale, l’auraient déjà trouvée et vendue à prix d’or. 

Pourquoi engager alors les organisations dans ces changements somme toute assez fréquents ? Par goût du « changement », par besoin de vendre de nouvelles idées, ou bien pour imprimer sa marque ? Au-delà des procès d’intention ou des réalités de la vie des entreprises, il y a un constat : puisqu’il n’existe pas d’organisation idéale, le déplacement du balancier entre central et local oblige, à chaque fois, à une remise en question des relations entre ces deux pôles. Et c’est ce questionnement qui, à condition de ne pas être trop fréquent - car tout changement provoque, au moins un temps, une baisse d’efficacité -, peut être vertueux. 

Certains le décident ou l’acceptent avec humilité, et ils reconnaissent ainsi la maîtrise par nature incomplète des multiples interactions dans les organisations complexes et, pragmatiques, acceptent la difficulté de l’art de manager. Mais d’autres recherchent l’incompétence, la faute voire la culpabilité des prédécesseurs, et ceci n’est guère productif, même si cette voie est la plus « simple ». Car lorsqu’on cherche des coupables, on ne trouve jamais de solutions.

 

La matrice, ou le pouvoir de faire ensemble

La traditionnelle opposition entre centralisation et décentralisation a laissé la place, dans le vocable moderne, aux organisations matricielles - à deux dimensions voire plus. Au-delà des mots, cette dernière acception a le mérite de faciliter, plus que l’opposition entre centralisation et décentralisation, la compréhension des véritables enjeux d’équilibre et de complémentarité, pour l’ensemble de l’entreprise.

C’est alors que la perception de ce qu’est le « pouvoir » est cruciale. 

Un ancrage dans la perception archaïque du pouvoir comme domination, à la Max Weber, est à la fois inefficace et destructrice. Car le « dominé » n’aura de cesse que de résister, voire de se venger au prochain coup de balancier, qui viendra inévitablement. Alors que tous les corps de l’entreprise doivent non pas chercher la neutralisation voire la destruction de l’autre, mais bien fonctionner ensemble. Sinon, c’est que certains sont de trop ; mais pourquoi donc entretenir un corps hostile dans ses rangs, lorsque les ressources humains, matériels et financiers sont rares ?

Alors, que ce soit entre « échelon central » et « structures délocalisées », ou « directions fonctionnelles » et « maille territoriale », l’enjeu est toujours d’animer la complémentarité, en considérant le « pouvoir » non comme une domination, mais comme une relation, à la Hannah Arendt : le pouvoir de faire ensemble. Ou bien la relation comme modalité de l’équilibre des « pouvoirs »

Car contrairement à beaucoup d’idées bien ancrées, il n’y a pas de hiérarchie des talents entre les centraux et les décentralisés, entre les fonctionnels et les opérationnels. Sauf, peut-être, pour ceux qui croient que les idées pures l’emportent toujours, même si elles ne sont pas mises en œuvre... En effet, si l’analyse théorique et l’élaboration de décisions complexes nécessitent de vraies compétences, la mise en œuvre concrète des stratégies adoptées relève également de talents précieux. Car il s’agit de confronter la théorie à la pratique, et d’affronter le réel - le brouillard de la guerre -.

 

Une culture française taylorienne, hiérarchique ?

Pourtant, la culture française demeure verticale, hiérarchique. Au mieux, on « consulte la base ». Et on privilégie souvent l’esprit théorique à l’esprit pratique, en les inscrivant dans une hiérarchie sans lien avec les valeurs ajoutées de chacun. La noblesse revient donc traditionnellement à la « stratégie », quand l’exécution serait de l’ordre du subalterne, à l’exécution obéissante voire aveugle.

Fantasme scientiste hérité de la pensée de Taylor, ou les hommes sont interchangeables, entre eux ou par des machines ? Ou bien mythologie de l’homme providentiel ? Aux nostalgiques de « chefs » traditionnels et charismatiques, verticaux et omniscients, on conseillera par exemple, puisqu’ils s’y réfèrent souvent sans les connaître vraiment, de sortir de la caricature confortable et de suivre précisément les trajectoires professionnelles des meilleurs chefs de nos armées, dans une alternance organisée entre commandement opérationnel et travail en état-major. Parce que ces doubles expériences leur permettront mieux connaître et comprendre les atouts et contraintes de l’autre – qui demeure un égal puisque la fonction prime sur le grade - , et de faciliter, dans l’action et la responsabilité du commandement, un travail collaboratif efficace.

Au-delà des caricatures et appréciations morales, la « prééminence » traditionnelle de l’échelon central sur le niveau local a plusieurs défauts :

  • Il enferme les talents dans des parcours professionnels limités, et prive l’entreprise dans son ensemble d’une vertueuse irrigation ;
  •  Et lorsque le balancier revient au « terrain », celui peut vouloir se venger des périodes passées.

Présente également dans beaucoup de nos organisations, la culture anglo-saxonne s’inspire beaucoup plus de l’équilibre des pouvoirs. 

Alors, la tentation, en France, peut être de revendiquer une forme d’exception culturelle. Et de s’attacher, sans cesse, au culte du chef infaillible, vertical, souverain. Mais dans un monde multipolaire comme l’est celui de nos nations et de nos entreprises, sans négliger les spécificités culturelles de toutes les organisations, même au-delà des relations capitalistiques, il est à la fois plus réaliste et plus honnête de rechercher des synergies que des dominations. Et d’animer le travail collaboratif entre des directions centrales et les échelons locaux. Parce que les premières sont porteuses d’expertises toujours en évolution mais aussi de partage et de développement des compétences qui s’épanouissent partout – réservoirs d’expertises - . Quand les seconds sont chargés à la fois de la production, mais aussi forces d’initiatives, de propositions et de contributions à la performance de tous – réservoirs de forces - .

 

La proximité client retrouvée, avec le « phygital »

La proximité auprès des clients (customer centricity, ou « orientation client », dans les anciennes acceptions) est un point d’application intéressant de ce mouvement d’alternance entre central et local. 

Nous sortons en effet de l’excitation des premières années de la « transformation digitale » qui en ont convaincu beaucoup que le « client » pouvait être connu intimement au travers des données numériques et d’un outillage technologique coûteux mais indispensable : la connaissance du client comme production exclusive du marketing digital... Et nous revenons dans le temps du réel, dans lequel la transformation numérique - et donc la proximité revendiquée avec le client - retrouvent pleinement leur dimension humaine : car « l’essentiel est à l’intérieur ». 

Dès lors, la connaissance du client retrouve sa place au travers d’une relation avec le « commercial », voire même avec le « producteur » lui-même, meilleur ambassadeur de ses propres compétences et contraintes. C’est le retour à la proximité physique – liftée à l’ère moderne sous le vocable de « phygital », pour tirer profit malgré tout des investissements précédents. Et donc, mécaniquement, au retour de l’échelon local.

Après les investissements technologiques et les propositions voire les injonctions savantes des directions centrales aux « courroies de transmission » locales, ce changement peut s’annoncer rude pour beaucoup d’organisations.

 

Avant tout, l’équilibre des pouvoirs, comme capacité à agir ensemble

Encore une fois, les choix précédents n’ont pas été le fait d’erreurs stratégiques, mais ceux d’un cycle normal dans toutes les organisations (tous les dix-quinze ans au cours des dernières décennies). Dans certaines – en particulier celles riches d’une culture ingénieriale, toujours à la recherche d’un idéal scientifique, ou celles, plus bureaucratiques, qui considèrent les échelons locaux comme ceux de l’exécution obéissante -, le balancier est peut-être allé un peu loin vers la prééminence du central et le manque de reconnaissance de la plus-value. Il ne faudrait pas que la volonté de changement se traduise par l’excès inverse : par choix stratégique, ou par volonté de revanche des partisans de la délocalisation dont l’heure est enfin arrivée.

L’approche matricielle peut être décriée par les partisans d’une société verticale et monolithique. Elle est pourtant une modélisation, voire une visualisation, de la complémentarité entre toutes les ressources de l’organisation et de l’équilibre des tensions. Parfois aussi des confrontations entre celles-ci et de leur résolution, au profit de l’action collective, dans la pérennité, grâce à la pleine contribution de tous. Car la clé du succès collectif n’est pas d’avancer « en même temps », mais bien plutôt, « ensemble ». 

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change, #Territoires, #Transformation 3.0

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Publié le 4 Décembre 2019

Le pouvoir à l'épreuve du pouvoir

Dans les « pouvoirs publics » comme dans les entreprises, l’échec dans la mise en œuvre de dynamiques de transformations relève quasi-systématiquement d’une vision archaïque du « pouvoir ». Changer, c’est certes décider, mais ce n’est plus imposer.

 

Dans les habitudes de chacun comme dans une certaine forme d’inconscient collectif, le « pouvoir » en France semble être perçu au travers du seul prisme de la domination, de la contrainte : contrainte sur les corps, ou sur les esprits. Au-delà des remugles bourdivins ou foucaldiens, la perception dominante (c’est le cas de le dire) semble tout bonnement en être restée à la typologie de Max Weber et à ses trois leviers : rationalité, tradition et charisme.

 

Et pourtant : même si beaucoup déclarent aujourd’hui regretter « l’autorité » (mais surtout la leur, ou celle dont ils bénéficieront directement), cette perception des relations inter-individuelles et inter-organisationnelle est inefficace et même contre-productive.

 

Le scorpion et la grenouille

Dans la sphère politique, l’incompréhension d’un « Jupiter » autoproclamé devant son échec à dominer la dynamique multipolaire et polymorphe des décideurs européens, puis de ceux de l’Alliance Atlantique, témoigne de l’archaïsme d’une approche verticale et sacrée d’un pouvoir monolithique « à la Française », au-delà de la promesse d’un « nouveau monde ».

Dans le champ des collectivités locales et de leurs agences, la tendance est souvent plus à incarner un rôle qu’à agir vraiment. On dépense des budgets dont on est dépositaire, avec le souci du public ou celui de sa reconnaissance personnelle. Dans le pire des cas, beaucoup de ceux qui y ont eu affaire ont pu faire face à des tentatives d’autoritarisme et de posture statutaire de représentants qui « ne vous permettent pas de… » parler, proposer, imaginer… Alors que les ressources se font rares et que les compétences privées s’affirment, dans de nombreux champs de l’action publique locale traditionnelle, et qu’il pourrait être opportun de penser aux complémentarités.

Dans les entreprises à histoire ou à culture monopolistique, ou dans celles qui ont conservé des modes de management post-tayloriens, le changement est souvent proclamé, parfois en cours, quelques fois à marche forcée, sous la contrainte de l’extérieur. Mais on retrouve aussi les vieux réflexes de « domination » lorsqu’il s’agit des relations de client-fournisseur, ou de relations avec des « start-up » qu’on ne peut s’empêcher, in fine, volontairement ou non, de tuer ou d’absorber, et donc mettre fin à leur originalité, ou encore de management avec des générations ou des talents dont on fustige la volatilité, tout en recherchant l’agilité.

Le syndrome du scorpion et de la grenouille, dans tous les cas…

 

Mieux travailler ensemble

Le recours à l’autorité verticale, hiérarchique, statutaire (celle du « charisme » flattant encore plus l’ego) est sans doute plus due à une incompétence à travailler autrement qu’à une véritable nostalgie de structures traditionnelles dont on sait bien, à la seule visualisation de son téléphone mobile ou des interactions quotidiennes, qu’elles sont obsolètes.

Et devant l’échec, le réflexe est si souvent de tenter « toujours plus de la même chose » : plus d’agressivité, plus de violence, plus de dépenses, plus de mépris… et toujours plus d’isolement. Ou de choc contre ce terrible mur de la réalité qui refuse de céder…

Dans notre monde multipolaire, que ce soit au plan politique comme dans la vie des entreprises, l’approche dominatrice n’a ni valeur ni efficacité. Car il convient plutôt de nouer des alliances, de mieux travailler ensemble. De s’inspirer d’Hannah Arendt, qui propose une approche du pouvoir comme relation (faire avec), plutôt que celle de Max Weber.

Partout, la volonté de dominer se heurte à la réalité des moyens disponibles, et non aux coups de menton. Et lorsqu’il s’agit de relations humaines, le résultat demeure profondément ancré dans le cerveau reptilien : « fight or flight ! ». Et les meilleurs talents trouveront toujours un meilleur point de chute, où leurs compétences se déploieront – à moins qu’ils ne persévèrent pour revenir, plus tard, vous concurrencer directement.

 

L’inclusion des synergies et des talents

Dans tous les cas, si le pouvoir est bien celui de faire avec, il est indispensable, et en tous cas infiniment plus efficace, d’adopter des stratégies et des pratiques véritablement « inclusives » : celles qui associent les synergies qui s’expriment, et les talents dont on a besoin pour avancer, pour progresser, pour gagner. 

Car l’inclusion n’est pas celle du monde des « bisounours », pas plus que la prise de décision et l’action collectives ne sont toujours celles de tous. Car les synergies se déterminent, se décident, s’animent.

La question du « sens » est un sujet récurrent – un marronnier ? – dans le monde managérial Pourtant, ce n’est pas une mode, mais une question fondamentale, en particulier lorsque les sujets sont complexes et difficiles. Et il devrait l’être aussi dans le monde public, au plan national mais aussi local, et pas seulement en raison de contraintes budgétaires.

Quel objectif poursuivons-nous ? Pourquoi ce choix ? Et sur quels partenaires devons-nous nous appuyer pour réussir ? Mais ce questionnement initial est aussi celui de l’humilité, car il témoigne du besoin des autres. Et il précède un regard sur les autres, destiné à les comprendre et les accompagner, plus qu’à les conquérir.

Car le pouvoir n’est pas qu’un nom ancré dans l’immobilité, à imposer. Il doit avant tout être compris comme un verbe, au service d’une dynamique, à partager.

Alors, êtes-vous prêts à « pouvoir faire avec » ?

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change, #Transformation 3.0, #Territoires

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Publié le 4 Septembre 2019

BTP : les enjeux du « BIM as a service »

Comme d’autres secteurs, celui de la construction se transforme avec les outils et les pratiques du numérique, et en particulier le BIM. Au-delà des outils acquis ou en cours d’achat, il lui faut aussi rapidement prendre en compte les autres facteurs de changement.

 

Vu de loin, le BIM (Building Information Modeling, ou Management), c’est d’abord la « maquette numérique » : un outil qui permet de dessiner, construire et gérer un bâtiment, un ouvrage d’art, une infrastructure. Il faut donc acheter les logiciels et s’y former. Comme à l’époque des ERP, ou plus récemment des « réseaux sociaux d’entreprise », cela fait la fortune des éditeurs et des formateurs.

 

Le BIM comme SAAS ?

 

Un des volets de la transformation numérique, qui mobilise les entreprises et leurs investissements depuis plusieurs années, est l’apparition du SAAS (sofware as a service) : des offres d’usage, plutôt que de propriété, de nouveaux offres logicielles, plus puissantes, plus rapidement évolutives.

Avec ces nouveaux produits numériques, le monde de la construction rencontre les mêmes affres que les autres secteurs : financement, choix des systèmes (Archicad ou Revit ?), compatibilité et interfaces avec les autres logiciels, formation des personnels… 

Les grandes entreprises se sont équipées et sont en cours de digestion. Et comme dans l’industrie, on en est à l’heure du « jumeau numérique » : disponible immédiatement pour les constructions neuves, même s’il faut ensuite le faire « vivre », avec les enjeux de « big data » qu’il faut recueillir mais surtout analyser. Et avec la question de la numérisation de données anciennes pour les projets d’entretien et de réhabilitation.

La multitude des petits acteurs (architectes, bureaux d’études, mais aussi professionnels du bâtiment…) cherche des modèles économiques adaptés. Et le secteur public, longtemps réticent, intervient sous la pression du marché et des professionnels car, le secteur étant largement sujet aux réglementations, il paraît impensable de laisser la bride libre aux acteurs privés.

Au-delà de ce qui pourrait paraître le simple passage de l’achat à la location, le SAAS touche également la propriété des données, avec les offres associées de Cloud. Car à qui appartiennent les données d’un bâtiment, ou d’une infrastructure ? Et à qui y donner accès ? Ponctuellement ou de façon plus pérenne. Au-delà des aspects très spécifiques de sécurité (domaine régalien ou infrastructures critiques), l’enjeu est financier, à court et long terme. Car quand Google offre gratuitement les cartographies des villes et bâtiments aux professionnels engagés dans un projet de construction ou de réhabilitation, pourquoi accepter de payer des prestations cartographiques ? A qui appartient la connaissance de l’espace public ? Que peut-on mettre en open data ? Et quelle est la rémunération de l’actualisation ou de l’exploitation intelligente des données ?

 

L’exemple du MAAS

 

Comme l’industrie a pu l’être pour les aspects « SAAS », le monde du transport – pardon, des « mobilités » - peut inspirer le secteur de la construction pour d’autres aspects : ceux des compétences et des organisations. 

Le MAAS (mobility as a service), c’est apporter à un individu (équipé d’un smartphone), toutes les informations permettant de connaître (information) et d’utiliser (billetique) les offres de mobilités lui permettant d’aller d’un point A à un point B. 

Au-delà du changement de vocable, le passage du « transport » à la « mobilité » témoigne sans doute de l’irruption, dans ce monde-là d’un changement de paradigme. L’autorité organisatrice imaginait avant un service de transport, le plus adapté possible bien sûr aux besoins, et l’usager adaptait ses pratiques aux services disponibles. A l’heure du numérique qui facilite la connaissance, et donc la rentabilité de nouvelles offres complémentaires voire concurrentes des anciens monopoles, et la mise en relation entre de multiples transporteurs et les passagers, le client reprend la main.

Le monde de la construction, souvent sous contrainte, commence à voir arriver ce même changement d’équilibre entre experts et utilisateurs. A l’heure où tout est accessible sur nos écrans, y compris au creux de notre main, est-il, pour un client, acceptable d’attendre de nouveaux plans et études, quand il paraît si simple de modifier en temps réel (sous réserve d’une puissance de calcul suffisante, mais accessible en magasin grand public) une maquette 3D, qui simulera les impacts sur le bruit et la lumière, le prix de la réalisation ou les consommations d’énergie, et ceci tout au long de la journée et de l’année ?

 

Où est la compétence, où est la valeur ?

 

Une autre conséquence de cette transformation est celle de la compétence. Les nouveaux outils ont créé de nouveaux métiers (comme ils en suppriment d’autres). Comme dans le commerce, de multiples « start-ups » se développent autour du BIM, avec des expertises techniques de bureaux d’études spécialisés, ou bien l’émergence de rôles encore à définir, comme celui de « BIM manager ». 

Dans le monde de la construction comme dans celui des mobilités, cela pose aussi une question organisationnelle. Pour des raisons financières (captation de la plus-value de ces nouveaux métiers) comme pour des raisons d’identité professionnelle (si le prestige et une part de la plus-value sont dans l’information, les acteurs historiques n’acceptent pas facilement d’être « relégués », qui au « transport », qui au « chantier »), les grandes entreprises ont la tentation d’absorber les nouveaux entrants, au bénéfice des « start-uppers » qui encaissent, très rapidement, le prix élevé de la créativité, de la compétence, mais aussi de l’image de modernité. 

Mais dans le monde des mobilités comme ailleurs, le succès de ces absorptions est discutable car, culturellement comme sur le plan des pratiques quotidiennes, les mastodontes monopolistiques (ou presque) s’adaptent rarement aux jeunes pousses, qu’ils étouffent de leur bureaucratie, de leurs processus, de leur lenteur – toutes caractéristiques qui sont souvent compensées par une puissance financière et humaine indispensable à tout déploiement, mais qui sont à l’opposé du monde « agile » et de ces nouveaux acteurs. Une solution moyenne est la création de filiales relativement protégées des pratiques historiques, mais qui ont au moins l’avantage de répondre aux enjeux de propriété des données et de maîtrise des revenus – mais resteront-elles à terme dans le giron ? Et à l’extrême, c’est la voie des « partenariats », comme celui de la SNCF et de Blablacar, avec la « start-up » qui remporte la domination de son marché initial, élargi à une offre hors du « cœur de métier » de l’opérateur ferroviaire, et une affirmation de complémentarité plus que de concurrence. 

Quelle voie choisiront les grands du BTP, volontairement ou non ?

 

Et bien sûr, l’essentiel est à l’intérieur

 

Enfin, le BIM n’est pas seulement un enjeu d’outils ou d’orientation client. C’est aussi, potentiellement et comme pour toutes les transformations numériques, un enjeu de transformations pour les organisations elles-mêmes. Car « le meilleur est à l’intérieur ».

Au-delà des différents « niveaux de BIM » qui rassurent les organisations à la peine dans ces transformations rapides, la maquette numérique est un formidable outil collaboratif, grâce auquel les différents corps de métiers peuvent apporter leur expertise, au même moment. « Formidable » opportunité pour les partisans de la création collective. Mais « formidable » menace pour les tenants de la hiérarchie des compétences et expertises. Car si le constructeur peut, en temps réel, apporter son regard (et ses contraintes) à la création, que devient le « geste » du créateur, historiquement dominant ? 

L’émergence accélérée en France – comme dans d’autres pays européens – des doubles profils architectes/ingénieurs, en la même personne (ce qui nécessite une vraie prise de recul sur soi sinon de « schizophrénie assumée », ou, plus souvent au sein d’une même équipe, témoigne de la pertinence d’une véritable collaboration (et pas seulement coopération) entre des compétences et des approches a priori très éloignées.

Comme dans l’industrie où les ingénieurs doivent travailler avec les designers, pour répondre mieux aux attentes des clients, et non pas se satisfaire de « ce dont ils ont besoin » (et surtout de « ce qu’on sait faire »). Car travailler avec l’autre, c’est sortir de sa zone de confort.

Ces nouvelles pratiques sont, pour le monde de la construction comme elles le sont dans les autres secteurs, un point dur pour le succès de la transformation numérique. Car il ne s’agit pas seulement d’adopter des outils ou des méthodes sur étagère, mais de faire vivre les identités professionnelles et de mettre en oeuvre de nouvelles pratiques opérationnelles, entre conception et réalisation. Et cela, c’est toujours du « sur-mesure ».

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Transformation 3.0, #Management

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Publié le 5 Août 2019

Entrepreneurs, adoptez le modèle Jedburgh !

Le monde militaire, ou la perception que l’on en a, inspire parfois les décideurs économiques, confrontés aux aléas des marchés et de la vie des entreprises. La guerre irrégulière, si actuelle tout en étant aussi ancienne, doit aussi faire partie des sources d’inspirations.

 

Depuis la fin du service militaire, il existe, quand on ne souhaite pas faire du métier des armes son engagement principal, des dispositifs de préparations militaires, de service volontaire et de réserve opérationnelle, comme autant d’opportunités d’enrichir son expérience de vie et d’acquérir des compétences originales, pour soi et les autres. 

Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir et expérimenter les pratiques des hommes de guerre, lors de périodes plus courtes mais humainement denses, individuellement ou avec leur équipe, il y a notamment les excellentes initiatives de Saint Cyr Formation Continue[1], ou d’anciens des forces qui se reconvertissent dans le développement managérial.

Et puis pour tous, il y a aussi la production régulière de littérature militaire, ou plus généralement stratégique. On n’y expérimente pas, dans sa chair et sa volonté, de moments forts. Mais on peut y apprendre beaucoup. 

Loin d’être réservé aux spécialistes de la chose militaire, le très complet ouvrage d’Elie Tennenbaum sur les « guerres irrégulières »[2]peut être une source d’inspiration pour beaucoup de décideurs économiques voire politiques et, en cette période de congés propre à la prise de distance, une lecture d’été.

 

Sortir de l’enlisement

La guerre irrégulière du XXe siècle est née du constat d’enlisement lors de la première guerre mondiale. Le conflit était bloqué dans la guerre des tranchées. Pour conquérir du terrain (les chefs d’entreprise parleraient de « parts de marchés »), il fallut penser différemment. Arrêter de faire « toujours plus de la même chose ». Passer derrière les lignes avec des équipes autonomes et atypiques, « changer de damier » en frappant le moral des troupes et de l’arrière… 

Pendant la deuxième guerre mondiale et tout au long du XXe siècle, cela donnera notamment la création des commandos, avec leur esprit et leurs compétences, des forces spéciales et de leurs concepts d’emploi, des opérations psychologiques, des maquis, de leur soutien et de leur animation, de l’insurrection et de la contre-insurrection…

Autant de sources d’inspiration pour les entreprises qui doivent faire face, non pas à un ennemi que l’on doit défaire, mais à des concurrents et à des contextes exigeants, auxquels on doit s’adapter pour les maîtriser.

 

L’esprit Jedburgh pour conquérir des territoires

Tout le monde connaît, ou imagine au moins, la forme et l’esprit « commando ». Des équipes d’élite, surentraînées, suréquipées, soudées, polyvalentes, rompues aux opérations spéciales, prêtes à l’impossible… Des femmes et des hommes d’exception, qui suscitent l’admiration.

Dans le monde de l’entreprise, on utilise parfois le terme : dans cet univers, une opération « commando » est synonyme de brièveté, de moyens dédiés, d’hommes et de femmes déterminés. Est-ce seulement cela ?

Pour en savoir plus sur l’âme des commandos, on pourra écouter – là encore, l’été est favorable -, l’entretien avec l’Amiral Marin Gillier (qui s’était fait connaître du grand public en se faisant « tarponner » avec son homologue du GIGN lors de la libération du voilier Ponant), sur le podcast de l’IRSEM « Le Collimateur » du 9 juillet[3]. On y retiendra, parmi tant d’autres choses et moments forts, combien les « styles » de commandos sont différents d’une armée à l’autre : face à une même difficulté, certains sont déterminés à guider la force jusqu’au bout, d’autres à tenir le terrain, et d’autres encore à disparaître pour revenir plus tard… Et les différences sont encore plus grandes d’un pays à l’autre.

Pour les entreprises, si l’on veut dépasser le seul slogan de l’opération « commando », il ne peut donc pas exister un seul « modèle », mais plutôt des principes d’entraînement, de préparation et d’action qui s’appliquent à une culture d’entreprise donnée, à un contexte et des objectifs particuliers, et qui s’appuient sur des ressources spécifiques. Du « sur-mesure ».

 

Tout aussi inspirants et imaginés à la même période, mais pour des opérations encore plus atypiques, Elie Tennenbaum rappelle la création des équipes Jedburgh qui susciteront, après la seconde guerre mondiale, de multiples opérations de « guerres irrégulières ».

Pour l’entreprise, l’idée des Jedburgh semble encore plus pertinente que les « commandos ». Car plutôt qu’une opération de vive force, il s’agit, avec des moyens très limités (3 personnes), de conquérir un territoire, en s’appuyant sur les populations qui y vivent. Pour des projets de services aux territoires, ou pour des conquêtes de nouveaux marchés, cette approche est plus pertinente que d’engager un coup de force. Car en termes de « guerre commerciale », il faut tenir la durée…

La répartition des rôles au sein du trinôme de Jedburgh est importante : en résumant, il s’agit d’un représentant des forces principales, un représentant (ou au moins un spécialiste) des populations concernées (les sociologues parleraient d’un « marginal sécant »), et un technicien. Et ces trois là se sont choisis, et entraînés ensemble. La cohésion est clé.

Pour les analogies de dynamiques d’entreprise, la leçon est forte : il s’agit de s’assurer d’un vrai travail collaboratif entre des personnalités (et des entités) a priori très différentes. Le représentant de l’entreprise principale, garant de l’adéquation à la stratégie adoptée (les forces parlent de « l’intention du chef ») et de la capacité de déploiement des moyens nécessaires ; l’acteur ancré sur le territoire (physique ou économique), qui en connaît les spécificités, et permettra l’adaptation des actions engagées; et l’expert, qui pourra apporter des moyens technologiques et en assurer la mise en œuvre. Aucune prééminence entre les trois mais une complémentarité garante de l’innovation, de l’adaptation, du succès.

Que ce soit au niveau d’un trinôme ou d’équipes plus conséquentes, ces principes d’équilibre et de répartition des rôles sont très inspirants.

 

Intégrer l’atypique ?

Enfin, un constat émerge à la lecture de ce livre : tout au long des décennies et événements évoqués, la conduite des guerres irrégulières fait l’objet de véritables fractures au sein des armées et des politiques qui les dirigent. Car la conduite « irrégulière » des conflits fait appel à des pratiques, et sans doute à une philosophie, clivantes. L’opposition entre « partisans » et « centurions » renvoie à la double identité des militaires : à la fois soldats et fonctionnaires. Ils sont ceux qui ont choisi à la fois le métier des armes et le service de l’État. Et à ce titre, le parcours professionnel des spécialistes des guerres irrégulières (recherchés, formés, puis écartés, et ensuite recrutés aux marges…) illustre la difficulté des institutions classiques – certains diraient « bureaucratiques » - à intégrer voire accepter des personnalités et compétences « non conformes ». 

Le parallèle avec les grandes entreprises vient alors à l’esprit. Face à la « disruption », elles cherchent parfois à se doter de compétences atypiques, en recrutant des talents ou en acquérant des équipes, souvent en payant le prix fort. Elles créent une direction, une filiale, affirment leur capacité à affronter les nouveaux défis. Mais, dans la pratique, elles pêchent ensuite à conserver ces personnalités particulières, et à utiliser ces compétences pour s’adapter, voire se transformer. 

L’opposition entre « partisans » et « centurions » est-elle inévitable car essentielle ? Ou peut-on imaginer une « fertilisation croisée » ? Le débat est ouvert !

 

[1]www.scyfco.fr

[2] « Partisans et centurions : une histoire de la guerre irrégulière au XXe siècle », 2019, Éditions Perrin

[3]https://www.irsem.fr/publications-de-l-irsem/le-collimateur.html

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Rédigé par Alexis Kummetat

Publié dans #Management, #Territoires, #CIMIC

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Publié le 9 Juillet 2019

Pour en finir vraiment avec les dynamiques collectives

L’autorité est en crise, dans le monde public comme dans les entreprises, et on entend parler de dynamiques spontanées, émergentes, d’intelligence collective, de co-construction, de facilitation… Comment en finir avec ces idées qui brouillent les esprits et génèrent chaos et dysfonctionnements ?

 

Tout d’abord, soyez le chef !

Ce qui manque aux entreprises comme à tout projet public, c’est un vrai leadership. Quelqu’un qui sait où il va, sans hésitation, sans doute. Car le doute est source d’inquiétude, de contestation. Le chef est seul, toujours. C’est à la fois sa caractéristique et sa grandeur. Tout le monde n’y est pas préparé, et tout le monde n’est pas à la hauteur. Le système de sélection individuelle de nos grandes écoles est parfaitement adapté, d’ailleurs à ce monde concurrentiel : dès le plus jeune âge, nos élites sont préparées à se confronter les uns aux autres. Et c’est de cette confrontation que sortiront les meilleurs. Quant aux suivants, ils sauront à qui se fier, en toute confiance.

Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, il n’existe pas plusieurs formes de leadership. L’autorité est verticale, elle ne se partage pas. Dans un scrutin, seul le premier l’emporte et les compromis autant de compromissions, par nature immorales. Les discussions sont des pertes de temps, sans valeur ajoutée, et une source de confusion pour les esprits faibles.

 

Organisez vos projets jusque dans le moindre détail

Par respect des autres, des délais et des dépenses, il est indispensable de planifier tout projet dans le moindre détail. Tout imprévu ne peut être dû qu’à une mauvaise planification, à un défaut d’analyse initiale, à une maîtrise insuffisante des aléas.

Une bonne organisation en amont permettra de définir, suffisamment à l’avance, les tâches de chacun, au moyen de règles explicites, de procédures détaillées, impérativement respectées.

Lorsque la feuille de route est établie, la marche collective n’échoue que parce que certains commettent des écarts, au nom de prétextes comme la liberté, de la créativité, de l’initiative, qui sont autant d’excuses pour désobéir. Les grandes armées ne fonctionnent efficacement que par la discipline et la mise en œuvre de règles établies avec précision. Face aux menaces de notre temps, les approches classiques, éprouvées, sont garantes du succès des opérations. Pourchassez les faibles et les coupables, remplacez les hommes par des machines, autant que possible, pour fiabiliser l’exécution.

Car, comme l’exprime l’adage, la confiance n’exclut pas le contrôle. Confiance dans les structures, contrôle des facteurs humains, qui sont toujours les maillons faibles.

 

Ne perdez pas de temps à partager votre objectif

Certains nous rebattent les oreilles avec la question du « sens au travail ». L’entreprise n’est pas une démocratie, et le domaine public est régi par des mécanismes électoraux qui, entre les scrutins, laissent la décision aux représentants élus.

La remise en cause, ou le simple questionnement, de l’intention du chef est à la fois un manque de respect des mécanismes organisationnels ou institutionnels, une perte de temps et une source de confusion. Pourquoi tenter de partager une intention quand les éléments qui concourent à la prise de décision sont à la fois complexes et multiples. Tout le monde n’a pas une capacité d’appréhension globale et de synthèse. Et quelle utopie que la seule idée d’intelligence collective ! Ce n’est qu’une prime au nivellement par le bas, puisqu’il conviendrait de prendre en compte tous les avis, même les moins éclairés ! Pourquoi ne pas alors parler d’intelligence des foules, voire même d’imaginer une science qu’on pourrait nommer « foulologie » ? Le succès de tous est dans l’exécution précise et rigoureuse, pas dans la philosophie. 

Car l’animation d’un collectif ne peut reposer que dans le chef qui y insuffle son âme. Nul besoin pour lui de l’expliciter et encore moins d’accepter les croyances relatives à une animation collective, qui promeuvent un relativisme égalisateur, au nom de la diversité des talents. Diversité, sans doute, mais au sein d’une hiérarchie !

 

Recrutez des soutiens fiables

Si le chef est par nature seul, il ne doit pas s’isoler, faute de s’épuiser. Il doit pouvoir compter sur des soutiens fiables et fidèles. Ne vous entourez que de personnalités qui savent ce qu’elles vous doivent, et qui vous soutiennent parce qu’elles dépendent de vous. Écartez les tièdes, les hésitants, les divergents. Et soyez sans pitié pour les critiques, qui sont autant d’opposants, si ce n’est aujourd’hui, en tous cas demain.

Toute organisation humaine ne repose que sur le principe classique de la carotte et du bâton. N’hésitez pas non plus à clairement répartir les rôles, de façon à garantir la lisibilité par tous : à chacun son périmètre clair et non équivoque, pour éviter toute interaction inutile. L’organisation de zones de recouvrement ne doit répondre qu’à un objectif : le traitement des oppositions résiduelles, par division des forces en présence. Car ces espaces de confrontations ne peuvent générer que des conflits, qui ne se résoudront que par votre intervention, perçue à juste titre comme providentielle.

 

Soyez rationnels, libérez-vous des émotions

Enfin, témoignez de la modernité de la tradition cartésienne, utile et certaine. Ceux qui prônent la prise en compte des émotions portent la contestation de la connaissance pure et du raisonnement parfait. Quel besoin de prendre en compte les incertitudes et interrogations dues aux émotions quand celles-ci ne sont que l’expression de vagues chimiques qui perturbent la raison pure ? Ce qui distingue l’homme de la bête est le raisonnement, pas question d’y renoncer au prétexte d’approches dites holistes qui nient le développement de l’intelligence conceptuelle, au fil des siècles.

 

Face à la complexité du monde, la responsabilité du chef est d’imposer un référentiel qui mette, ou remette de l’ordre, et dans lequel chacun trouve sa place, telle une efficace fourmi, forte du collectif auquel elle appartient.

La science moderne et le développement des technologies les plus récentes, comme l’ordre des nations, reposent sur cet ordre imaginé, défini et décliné, porté par un leadership rigoureux et brillant, sans faille ni faiblesse, sans hésitation ni doute.

Et plus que de dynamiques humaines, les entreprises et les nations ont besoin d’organisations claires, lisibles, stables.

Comment pourrait-on penser différemment ? Penser ?...

 

Post-scriptum : si vous avez pris au premier degré tout ce qui précède (et je m'en effraierais car cela signifierait que l'autoritarisme vertical présente encore quelque crédibilité), je me dois de vous préciser (rapidement) les convictions suivantes :

  • Il n'y a pas de "chef", mais seulement de multiples formes de leadership, adaptées aux caractères et surtout aux circonstances
  • Dans un contexte complexe et incertain, il est inutile et inefficace de planifier les moindres détails. Préférez ce qu'on appelle les "min specs" : les spécifications minimales. Développez vos compétences collectives, et votre capacité à affronter ensemble l'incertain
  • Partagez votre objectif, donnez du sens à vos projets. Et lisez l'excellent livre de Mehdi Moussaïd (aussi sur YouTube), qui vous donnera de belles illustrations du pouvoir des foules - et vous initiera à la foulologie :-)
  • Ne vous entourez pas d'affidés mais d'alliés : des individus qui s'engagent, y compris en critiquant votre projet, car ces critiques visent à l'améliorer.
  • Et acceptez les émotions, car elles sont une aide précieuse à la juste décision, qu'elle soit individuelle ou collective.
  • Les entreprises et les nations ont besoin avant tout d'énergie, d'engagement et de dynamiques vertueuses. Pas d'organisations par nature, in fine, bureaucratiques.

 

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Rédigé par Kaqi

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Publié le 25 Mars 2019

Trouver un coupable ou chercher des solutions ?

En cas de difficulté, d’échec, voire d’accident, la tentation est grande de chercher, si ce n’est un « bouc émissaire », au moins un « coupable », à l’interne ou à l’externe. Cousin germain de la tentation de l’homme providentiel, ce réflexe est pourtant inefficace et démobilisateur.

 

Notre monde est technologiquement rapide, puissant, numérisé, interconnecté. Et à la fois toujours humain, et donc sujet à l’irrationnel, qu’il soit généreux, créatif ou bien destructeur. Face à cette double complexité, l’humilité et la détermination, et souvent le courage, sont les voies à suivre pour créer de la valeur, mettre en mouvement les ressources disponibles, franchir les obstacles, mobiliser les énergies.

Pourtant, face aux difficultés, et peut-être à cause de celles-ci, certains font le choix de la passivité, de l’immobilisme, du désengagement. Dans le monde de l’entreprise (et celui de la vie citoyenne), beaucoup s’en désolent et rejettent la faute sur des « managers » qui ne savent pas donner un sens au travail, ou aux organisations qui complexifient les fonctionnements collectifs (ou, souvent, les renouvellent sans en accompagner les transformations induites). Des coupables. Pourtant, ce désengagement est souvent un choix de rentiers, par situation ou par statut. Ou bien d’enfants gâtés, ou encore de « passagers clandestins ». Coupables aussi ?

 

Le recours à l’homme providentiel (ou la femme, là n’est pas la question) est un des visages de cette passivité irresponsable, et tellement étrangère à l’élan vital de la création de valeur. Car attendre tout d’un tiers perçu comme omniscient voire omnipotent est historiquement, et plus encore dans notre monde moderne, au moins naïf si ce n’est délirant.

L’autre visage est la recherche d’un coupable. Pas nécessairement un coupable traditionnel et habituel, comme l’aiment les complotistes de tous poils, fanatiques de la « domination », qu’elle soit historiquement construite ou occulte. Quelqu’un qui permet de faire le constat facile de l’échec, voire de trouver une source de rétribution. Mais une fois le coupable trouvé, que faire ?

 

Face à la complexité, accepter l’indéterminisme

 

Car le causalisme implicite dans ces raisonnements est terriblement simpliste et réducteur. Combien de faits ont-ils en effet une seule cause ? 

La complexité du monde est indissociable d’une bonne part d’indéterminisme, qu’il convient d’accepter. Humblement. Et qui oblige à se mettre au travail car si l’idéal n’est pas atteignable, il mérite d’être fixé comme un cap, à condition d’être assumé comme tel – inatteignable en vérité mais guide dans l’action. Car peu d’entreprises ont encore le choix du luxe de la rente, de la passivité, de la dépendance aux autres.

 

Notre pays peut s’enorgueillir de produire des élites capables de magnifiques raisonnements conceptuels, qui apportent des solutions brillantes à des problèmes complexes. Nos écoles d’ingénieurs, depuis le 18esiècle, ont permis de développer des innovations technologiques qui ont fait la richesse de notre pays, et ont essaimé à travers le monde. Et nos écoles d’administration et de gestion, transposant aux affaires des hommes les sciences des machines, ont su générer des systèmes d’une complexité qui suscite l’ébahissement de beaucoup.

Tradition cartésienne, causalisme newtonien, orgueil historique, la mise en œuvre demeure pourtant souvent éloignée de la solution parfaite… Alors, quand la complexité socio-technique résiste au concept, c’est à son maillon faible qu’il convient d’attribuer la « faute » : au facteur humain dont l’intelligence naturelle devra, demain, céder la place à l’intelligence artificielle (car aujourd’hui, et sans doute pour longtemps encore, c’est plus un concept destiné à lever des fonds gagés sur un fantasme technophile qui dédouane des nécessités de résultats immédiats qu’une réalité opérationnelle). Pour l’instant, on le « forme », on le cadre dans des procédures toujours plus déresponsabilisantes (et inefficaces). Demain, le remplacera-t-on ?

 

Éviter les accidents ou punir les coupables ?

 

Les approches et pratiques modernes en matière de sécurité aéronautique, navale et industrielle peuvent pourtant utilement nourrir la réflexion de tous les domaines.

En cas de défaillance ou d’accident, la recherche de coupables provoque inévitablement le mutisme, la dissimulation – et donc complique l’identification des dysfonctionnements plus souvent générés par l’organisation elle-même ou la complexité des systèmes socio-techniques, que par des « coupables » identifiés et bien pratiques. Car si la recherche d’une « erreur humaine » vise souvent à dédouaner l’organisation, où se trouve, dans une analyse a posteriori, le « vrai » coupable : l’opérateur, l’équipe, le management, la planification, la formation complémentaire, les contraintes de rentabilité, le recrutement, la formation initiale, l’éducation, les politiques, les électeurs, les médias… ?

Dans l’Armée de l’Air, depuis plusieurs années déjà, et dans de nombreuses autres organisations confrontées tant à la complexité qu’aux enjeux de vie et de mort, la remontée d’incidents est protégée par un système d’anonymisation des témoignages. Car éviter un nouvel accident est plus important que de « punir » l’écart aux normes – dès lors qu’il ne s’agit pas, bien sûr, d’un acte de malveillance.

 

Simplificatrice et donc source d’erreurs, la recherche d’un coupable est également démotivante car elle s’accompagne presque toujours d’un accroissement des réglementations et procédures qui complexifient la vie des organisations et de leurs acteurs, accroissent le « brouillard de l’action » et ne valorisent pas l’ingéniosité de ceux qui font que, finalement, « ça marche ». Quand le risque de « sauver le système » en s’écartant des règles devient intenable pour les individus, la meilleure stratégie devient l’immobilisme et le désengagement.

 

Le thème de l’engagement des équipes semble donc revenir à la mode des questions managériales – retour cyclique parmi d’autres qui témoigne sans doute d’une maturité du domaine. 

Pour promouvoir cet engagement, certains promeuvent le rôle d’un « leader » (terme pourtant très polysémique), évidemment charismatique, qui doit donner le cap, le sens, rassurer. Et sans doute – mais ce n’est pas toujours explicité ou assumé, garantir l’obéissance dans l’alignement. Homme providentiel, et aussi juge des culpabilités. Jusqu’au jour où il est, lui aussi, placé en situation d’accusé… Léché, lâché, lynché…

 

La diversité créatrice plutôt que l’alignement déresponsabilisant

 

Pourtant, la complexité technologique et organisationnelle des systèmes modernes s’est accompagnée d’un déroulement du paradigme démocratique, qui associe la volonté de beaucoup de participer directement aux affaires, à une plus grande formation générale – ou en tous cas au sentiment diffus mais partagé de compétences accrues -.

C’est pourquoi, plutôt que de céder à la double tentation de l’homme totalitaire et de la recherche de coupables, il est plus opportun et efficace de préférer s’appuyer sur la richesse et la diversité des collectifs de l’entreprise – formelle ou étendue – pour faire face à la complexité et, dans la recherche de solutions, susciter l’engagement individuel et collectif, sur le long terme. 

En innovant tant dans les convictions managériales que dans les pratiques d’animation, pour susciter, au-delà de la participation qui satisfait seulement l’image, l’engagement qui permet de passer à l’acte. En choisissant des organisations qui soutiennent les nouveaux fonctionnements : par-delà les silos et la verticalité, qui garantissent des complémentarités voire des tensions bienveillantes, génératrices d’innovation. En adoptant, face à la complexité, l’humilité d’un « leadership » adaptatif, en phase avec les diversités de nos collectifs d’entreprises, de leurs enjeux et de leurs contextes.

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management

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Publié le 4 Mars 2019

Les entreprises européennes, entre ouverture et fermeture

Pas plus que les gouvernements, les entreprises ne devraient choisir entre un modèle fermé, savant et identitaire, parfois autarcique, et un modèle ouvert, marchand et individualiste, purement opportuniste. Et la clé du succès n’est pas non plus « au milieu ».

 

L’ouverture et la fermeture d’un groupe social ont toutes deux leur utilité, leurs vertus et leurs défauts. Ainsi que l’a montré Jean-Christian Fauvet avec son modèle « ego-eco », ces deux orientations ne se situent pas sur le même axe, et ne doivent donc pas être opposées.

La dimension « ego », qui renvoie à la fermeture, privilégie l’entre soi, la cohésion sociale, le sens partagé d’un même projet. Cette dimension peut renvoyer à un « destin », à des « valeurs ». Elle peut être celle de l’incantation, de la « communication », lorsqu’elle ne se traduit pas dans les actes. Combien de chefs d’entreprise ne se réfèrent-ils pas, avec plus ou moins d’habileté oratoire, à cette dimension ? Mais adoptent-ils des politiques internes, organisations et fonctionnements, qui concrétisent cette volonté d’être ensemble et, plus encore, d’agir ensemble ? Les silos, fonctionnels ou opérationnels, s’opposent, tout comme les membres du Codir, plutôt que de travailler ensemble…

La dimension « eco » renvoie, quant à elle, à l’ouverture, à la conquête commerciale, à l’innovation, aux changements. Pousser à l’ouverture est indispensable à toute activité économique, pour obtenir des contrats, des marchés, des ressources matérielles et humaines. C’est le monde des contrats et des individus rationnels. Certaines sociétés monopolistiques, moins dans leur statut réel que dans leur identité collective, leur culture, affirment s’ouvrir au monde et à la concurrence, par choix ou par nécessité. Mais quand pour certaines, ce n’est qu’un exercice oratoire, procurant un aimable frisson aux habitants d’un cocon protecteur, d’autres sacrifient leur unité, leur vocation, à une course à la concurrence interne, au recrutement de mercenaires qui, demain, partiront avec leurs talents vers d’autres aventures. D’un extrême à l’autre…

 

Appropriation collective, confiance, autonomie et responsabilité

 

Comme on l‘imagine, la voie à suivre se compose d’un délicat assemblage, toujours adaptatif, en fonction des circonstances et des contextes internes comme externes, entre les deux dimensions « ego » et « eco » qui, en se rencontrant selon leur intensité (0/1), proposent quatre quadrants de référence (00, 10, 01, 11). Les trois premiers correspondent à des cultures d’entreprise classiques (taylorienne et bureaucratique, savante et culturelle, commerciale et technophile). Le quatrième est celui de la modernité, de l’appropriation collective, de la confiance, de l’autonomie et de la responsabilité : c’est le produit des atouts des trois autres.

Au regard de ce modèle d’analyse, les entreprises européennes possèdent des atouts concurrentiels face à leurs homologues des marchés internationaux. Et alors que beaucoup de nos entreprises – et de nos concitoyens – souffrent des chocs de la « mondialisation » et ont la tentation d’une fermeture « protectionniste », tous devraient assumer les spécificités culturelles des entreprises de notre vieux continent, qui n’existent que par les femmes et les hommes qui y travaillent. 

 

La culture, résultat d’une rencontre complexe

En effet, la « culture » d’une entreprise est le résultat d’une rencontre complexe entre des métiers ou vocations, des organisations archaïques ou changeantes, des lois et des normes, des fonctionnements acquis, choisis ou hérités, conscients et inconscients, et des femmes et des hommes, à tous niveaux de responsabilité, qui sont aussi – et avant tout ? – des individus avec leur vie propre, leur histoire, leurs valeurs, leurs attachements, leurs mythes et croyances. Dès lors, quel que soit l’actionnaire majoritaire et la « gouvernance » globale, une entreprise implantée sur le sol européen, et s’appuyant sur les talents des territoires dans lesquels elle recrute, est aussi – et avant tout ? – une entreprise européenne.

Et les sociétés européennes – et étonnamment, dans une certaine mesure, coréenne, notamment -, sont nées de la tri-fonctionnalité des vieilles civilisations indo-européennes : le guerrier, gardien de la pérennité de la société face aux dangers ; le mage-roi, gardien des valeurs et lois communes ; le paysan, qui alimente la communauté.

Dans nos sociétés modernes, tous ont changé. 

Le guerrier (00) s’est ouvert pour s’adapter aux conflits asymétriques et hybrides, jouant autant des alliances que des actions d’influence et non conventionnelles. A l’interne, il a laissé la protection des fonctions régaliennes à la loi de l’État, et à ses agents.

Le mage-roi (10), dans nos sociétés européennes et démocratiques, a vu son rôle séparé entre le gouvernement des lois (l’État) et les référents des croyances individuelles et collectives (l’Église).

Le paysan (01) est devenu commerçant, ingénieur, inventeur, conquérant…

Mais les trois fonctions demeurent des référentiels utiles, dans leur spécificité comme dans leur indispensable union.

 

Les entreprises européennes, entre ouverture et fermeture

L’équilibre de l’interdépendance et des alliances

 

Tout autant que dans nos sociétés historiques, nos communautés – et toute entreprise en est une – ne peuvent prospérer que dans l’équilibre de ces trois fonctions. C’est la contribution de chacune de ces fonctions, leur interdépendance et leur alliance qui ont fait l’expansion de notre continent. Et c’est encore cet équilibre que nos entreprises doivent rechercher en permanence.

D’autres traditions s’appuient sur d’autres modèles : avec une fonction « eco » poussée à l’extrême mais adaptée à la conquête de nouveaux espaces, reposant avant tout sur la liberté individuelle, le risque, le contrat ; ou une fonction « ego » absolutiste, négligeant les droits individuels, pourtant sources d’épanouissement, de créativité, d’innovation, au profit d’un empire, collectif dominant et dominateur, déresponsabilisant et étranger à l’élan de l’homme libre et créateur (et de la femme, évidemment, même si « homme » est ici neutre) ; ou encore des modèles autarciques, théocratiques, autocratiques, qui peuvent séduire par la « fermeture » et donc l’immobilisme proposé, rivalisent d’envolées lyriques mais réduisent l’ego collectif à l’Ego « providentiel » et la dynamique des échanges gagnant-gagnant à des conquêtes violentes ou des relations monopolistiques.

Les entreprises européennes se sont, elles, développées sur un terreau équilibré et fécond, que les échanges désormais mondialisés de capitaux, de biens et de talents ne changent que superficiellement, et très lentement.

 

Assumer ce capital culturel pour retrouver une place active sur les marchés

 

Assumer ce capital culturel, c’est à la fois conforter le potentiel humain – la principale source de richesse de nos entreprises -, et retrouver une place active sur les marchés. Aujourd’hui, beaucoup de talents, à titre individuel, ont fait ce choix en partant à l’étranger, pour libérer leur capacité d’initiative. Ces expatriés n’ont pas tous abandonné leur identité – et en tous cas, ils en sont, consciemment ou non, le produit – apprécié par les recruteurs internationaux. 

Ces trajectoires individuelles devraient inspirer les entreprises européennes en recherche de cohésion autant que de marchés : développer leur capital humain en nourrissant le sens d’une aventure collective, en développant les talents et le goût de l’initiative, et en produisant des richesses contributives au bien commun, en synergie avec d’autres – ce que permettent et exigent d’ailleurs les pratiques du monde numérique moderne.

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Rédigé par Kaqi

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Publié le 14 Février 2019

La malédiction de l’homme providentiel

Au risque de choquer certains esprits classiques, le recours à l’homme providentiel (ou la femme, là n’est pas la question) est, dans l’entreprise comme dans le domaine politique, une véritable malédiction. Car il ne s’agit pas seulement d’une posture morale, par nature sujette à débat mais, au mieux, d’une incontestable source d’inefficacité.

 

Notre monde est complexe. Plus qu’avant. Parce que les systèmes technologiques démultiplient les actions humaines, leurs capacités de transformation, leur puissance et leur rapidité, leurs effets positifs comme les risques liés. Parce que les outils et pratiques de production et de diffusion de l’information ont rendu les échanges instantanés, si ce n’est en réalité, au moins dans les habitudes et les attentes que nous adoptons tous, volontairement ou non.

Dans ce contexte, comment se satisfaire du vieux fonds de pensée magique qui nourrit le fantasme d’homme providentiel, être parfaitement rationnel, omniscient, et donc légitimement si ce n’est naturellement, omnipotent ?

Les organisations modernes d’entreprises sont désormais matricielles – et pas seulement à deux dimensions – au grand dam des partisans d’un « chef » idéalisé, vertical et hiérarchique. Ce choix n’est pas né de la volonté perverse de quelques consultants de déstabiliser une autorité légitime. Il vise à adapter les ressources de l’entreprise au monde complexe et mouvant, en permettant aux organisations de s’adapter plus rapidement – en ouvrant ou en fermant un territoire d’action, géographique ou métier, en acquérant de nouvelles expertises ou en abandonnant des produits obsolètes, sans déstabiliser la totalité du système. C’est un système nécessairement dynamique.

 

La fonction prime sur le grade

 

Même les armées, pourtant perçues comme les archétypes d’un système hiérarchisé, s’y sont mises il y a vingt ans déjà, avec la logique de « réservoirs de forces » et de centres experts. Déstabilisant un moment des chefs de corps – et leurs troupes – tous attachés à la figure du pater familias. Mais pour un moment seulement. Car le militaire est à la fois soldat et fonctionnaire. 

Le soldat vit de et par la mission à accomplir, sait que « la fonction prime sur le grade » et qu’en matière tactique, s’il faut s’assurer en permanence de s’inscrire dans « l’intention du chef » - et mettre en œuvre sa décision -, le « chef » est celui qui mène l’action, y compris lorsque le rythme ou le contexte obligent à l’autonomie.  Chacun sait qui il est, quel est son rôle et quelle est sa légitimité. Et le « pater familias », s’il n’est plus à la source directe des moyens alloués à ses troupes, a appris à les rechercher – en dépit d’une difficulté croissante qui doit beaucoup moins à ces nouvelles organisations qu’à la raréfaction générale des moyens.

Le fonctionnaire doit, à la complexité du brouillard de la guerre dans lequel évolue le soldat, ajouter à son environnement de travail la complexité et les pesanteurs d’un système parfois bureaucratique qui asphyxie et décourage l’homme d’action. Plus que le chef, c’est le bureaucrate qui fait « claquer le galon » - en rappelant ce qu’il est, et non ce qu’il fait.

 

On n’a jamais raison tout seul

 

Le paradigme des organisations modernes, plus que celui de la complexité du monde, est celui de la coopération et de l’équilibre des pouvoirs. Il ne s’agit pas d’avoir « raison » sur l’autre. Mais de concilier les contraintes, et de prendre une décision éclairée par l’ensemble des avis, souvent antagonistes – et heureusement. Car on n’a jamais raison tout seul, lorsqu’il s’agit de passer du concept à l’action. Concilier rentabilité et qualité, trouver un équilibre entre l’exigence du client et la disponibilité des équipes, faire travailler ensemble experts et utilisateurs… Certaines organisations préconisent même l’institutionnalisation d’un avis divergent, indispensable pour parvenir à une décision légitime.

Ces tensions, ces conflits, cette complexité ne peuvent être réduits par une seule personne, au risque d’entretenir une schizophrénie dangereuse. Ou, beaucoup plus probablement, de laisser dominer un point de vue unique et réducteur sur la riche diversité des autres. Dans le domaine public, cette diversité s’exprime plus généralement dans l’équilibre des pouvoirs de nos systèmes démocratiques, jugés par certains peu « efficaces », mais qui demeurent légitimes, « à l’exception de tous les autres ».

 

L’isolement et l’exercice solitaire du pouvoir, dans toutes les organisations et tous les contextes, conduit à l’inefficacité et aux « décisions absurdes », que les approches modernes de la sécurité – dans l’industrie, l’aéronautique, la santé, les opérations militaires… - pourchassent.

Plus encore, le recours à « l’homme providentiel » conduit inévitablement au désengagement. Alors que beaucoup se désolent du désinvestissement citoyen, ou recherchent à développer l’engagement de leurs collaborateurs. Car la croyance à « l’homme providentiel » est décevante pour celles et ceux qui veulent s’engager dans une aventure collective, avec leurs compétences et leurs moyens. Elle ruine les organisations qui ne tirent pas profit de toutes leurs ressources, et en particulier humaines. Auparavant, elle pouvait peut-être satisfaire des courtisans, mus par les avantages accordés par le « chef » d’un système peu efficace mais opulent – mais qu’aucune entreprise désormais, au-delà des légitimes et indispensables questions d’éthique, n’a plus les moyens d’entretenir.

 

Une malédiction française ?

 

La tradition française semble être porteuse, plus que d’un choix, d’une véritable malédiction. Car il semble impossible, en situation de crise, de se libérer de ce recours à la pensée magique, à l’homme providentiel. Si la complexité est trop difficile à appréhender ensemble, il semblerait convenir plus sage de la livrer à un seul.

Ce tropisme semble être celui d’une tradition outrageusement cartésienne, dans laquelle la raison efface les émotions et d’un causalisme réducteur, d’une époque proto-taylorienne, dans laquelle l’homme est toujours perçu comme le « maillon faible ». Car depuis Platon et Aristote, le débat fait rage… Dans cette tradition, il faut des esprits forts, désincarnés, des intelligences pures, voire artificielles. Et si on passait aux machines ? 

Malheureusement, ou heureusement, tout homme est aussi le siège d’émotions, qui façonnent chimiquement ou psychologiquement, selon la tradition que l’on privilégie, sa perception du monde et de sa complexité, ses décisions, ses interactions. Et se mêlent à son « intelligence ».

Et les observations et pratiques de la sécurité industrielle démontrent que, contrairement à la mythologie techniciste, la machine n’est jamais infaillible. Et que in fine, c’est le système homme-machine qui assure la sécurité optimale – par nature toujours faillible, même pour des systèmes « ultra-sûrs ».

L’homme providentiel est donc un être doublement fragile, associant le pire des biais humains aux défauts inévitables des systèmes complexes.

Enfin, cette malédiction des organisations humaines qui s’y vouent l’est aussi pour celui ou celle qui suscite des espoirs inévitablement déçus. Le « sauveur » d’une entreprise initialement destinée à la faillite peut disparaître en quelques jours dans les tréfonds, alors qu’une équipe est toujours plus pérenne face aux épreuves. Dans nos sociétés interconnectées qui se réfèrent toujours aux réseaux, on oublie qu’un filet, horizontal et multinodal, est toujours plus résilient, face aux tensions et agressions, qu’un pilier vertical et isolé.

 

Travailler ensemble est toujours difficile

 

Alors, bien sûr, travailler ensemble est toujours difficile, en particulier en situation de crise, qu’elle soit menaçante ou porteuse d’opportunités. Conscientes du monde concurrentiel dans lequel elles évoluent, la plupart des entreprises n’ont pas eu le choix que d’adopter ces principes d’action – autant que possible, et même si, souvent, le collectif grippe, et qu’il faut se dépasser, collectivement, pour réussir.

Aujourd’hui, les organisations innovantes promeuvent le collaboratif, le participatif, l’engagement. Pour certaines, il ne s’agit que de changements superficiels, qui touchent plus à l’image qu’à de réelles transformations du fonctionnement collectif. Mais pour d’autres, c’est désormais une réalité, toujours perfectible puisque l’idéal n’est pas de ce monde.

Et vous, où vous situez-vous ?

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Rédigé par Kaqi

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