Télétravail : la clé, c'est l'autonomie
Publié le 15 Mai 2020
Le télétravail est-il la réponse idéale, non pas seulement aux contraintes sanitaires, mais à un meilleur équilibre de vie, et à une maîtrise des coûts ? Au-delà des fantasmes des entreprises et des intéressés, la question de l’autonomie au travail est clé.
Au cours de ces semaines de confinement, beaucoup de salariés ont découvert le télétravail – un outil et des pratiques que les indépendants et les équipes dispersées maitrisaient, ou au moins pratiquaient, au quotidien.
Du côté des entreprises, certaines accueillent, après la mode des « open spaces » née des années 2000 et leurs vertus de convivialité, cette nouvelle opportunité de réduire les coûts des bureaux, en lui conférant des atouts de « qualité de vie au travail ». Mais d’autres se démènent avec la difficulté à faire revenir leurs équipes sur le lieu de travail – en raison des craintes liées à la situation sanitaire, mais aussi pour d’autres motifs plus ou moins perçus et/ou assumés.
Le télétravail : une parenthèse enchantée ?
Le sentiment d’une « parenthèse enchantée », notamment pour ceux qui avaient la chance de passer ces semaines dans un environnement favorable (maison avec jardin, appartement avec terrasse, organisation familiale ad hoc…), est sans doute dû à plusieurs facteurs, plus ou moins avoués.
Certains ont connu une période de chômage conjoncturel, partiel ou total, mais avec la certitude (nonobstant la survie de l’entreprise…) de retrouver son emploi au retour, et avec une rémunération maintenue en grande partie ou en totalité, grâce aux dispositifs d’aides publiques et l’engagement de certaines entreprises.
D’autres (et certains appartenant aussi à la catégorie précédente) ont poursuivi leur activité professionnelle en télétravail (là encore, à temps complet ou partiel).
Parmi ceux-ci, et notre enquête sur la perception des 50 jours de confinement le montre, certains se sont noyés dans le travail. Volontairement, pour ne pas penser à la situation. Ou sous contrainte, en raison de leur activité et du contexte ou bien de la nécessité de concilier attentes familiales et nécessités professionnelles.
D’autres, enfin, ont découvert les plaisirs d’une vie plus équilibrée, entre temps professionnel et activités familiales. Et ceux-là, pour beaucoup, militent pour la pérennisation de ce mode de travail à distance. Ont-ils réussi à maîtriser leur agenda, leurs outils et leurs pratiques professionnelles, et à réaffecter le temps passé dans les déplacements quotidiens à leur vie de famille ? Ou leur temps de travail s’est-il en fait réduit ? L’empressement qu’ont certaines entreprises à faire revenir leurs équipes dans les bureaux laisse penser que la deuxième hypothèse n’est pas à balayer d’un revers de main.
L’autonomie individuelle et collective
Au-delà des outils, le télétravail repose essentiellement sur l’autonomie : celle des salariés, à tous niveaux. Et sur la capacité des managers, là encore à tous niveaux, à trouver (et prouver ?) leur plus-value dans une organisation qui valorise l’autonomie de chacun.
Qu’on le veuille ou non, tous les salariés n’ont pas la même capacité d’autonomie. Cela peut tenir à leur métier, mais aussi à des qualités professionnelles propres. Certains s’emparent d’un sujet, ou d’une tâche, ou d’un ensemble de tâches, et les mènent à terme. D’autres ont besoin d’un encadrement permanent, ou de tâches extrêmement détaillées, dont la qualité et l’enchaînement doivent être assurés par une action managériale. Cette diversité est une réalité à considérer sérieusement, pour ne pas démotiver les uns, ni abandonner les autres.
L’autonomie, c’est aussi la capacité à prendre le contrôle de sa vie. Ce n’est pas seulement travailler « suffisamment ». C’est aussi savoir se préserver, dans un équilibre de vie choisi. Car dans toute activité, et en particulier en période de crise, la charge de travail peut s’avérer écrasante. Au bureau, lorsqu’il n’y a plus personne autour de soi, tard le soir, les signaux d’alerte permettent de prendre conscience d’un déséquilibre – quand les dispositifs d’entreprise ne coupent pas les lumières et les serveurs... Chez soi, la tentation est forte de ne pas résister, d’alerter, d’appeler à l’aide.
Enfin, l’autonomie est avant tout individuelle. Mais elle peut aussi être collective, faite d’interactions non hiérarchiques. Il y a quelques décennies, on appelait ça des « équipes autonomes de travail ». Aujourd’hui, des organisations « agiles » (dès lors que celles-ci ont aussi d’autres qualités). Elle n’est pas plus naturelle, et doit s’organiser, s’animer.
L’autonomie individuelle et collective peut en effet se développer. Moins avec des « formations » qu’avec une nouvelle organisation du travail et des interactions, une nouvelle répartition des rôles qui reposent tant sur les productions attendues que sur les compétences individuelles, à un moment donné. Et sur des compétences managériales particulières.
Manager l’autonomie
Avec des salariés et des équipes « autonomes », la question du management se pose évidemment.
Tout d’abord parce que certains n’envisagent leur rôle qu’en exerçant un « contrôle » de proximité, sur la base d’une évaluation de critères comme le temps passé au bureau. Confrontés au télétravail « contraint » de ces dernières semaines, certains ont adopté des pratiques déjà observées, avec consternation ou moquerie, dans des équipes multisites. On parle par exemple d’un cabinet d’avocats, profession a priori regroupant des experts autonomes, ayant exigé des collaborateurs en télétravail de demeurer connectés en permanence à Skype… gageons qu’il ne s’agissait que de la volonté de fluidifier, en temps réel, les échanges !
D’autres « encadrants » veulent centraliser l’information, et incarner solitairement « l’exercice du pouvoir ». Mais le télétravail, c’est aussi la possibilité donnée de contacter chacun librement, directement, sans même passer dans le couloir ou même la tête dans l’open space, s’attirant ainsi l’attention bienveillante du manager soucieux de ses troupes…
Le manager du télétravail n’est pas à l’image du « leader » autoritaire, vertical. A contrario, il doit être capable d’identifier les difficultés de chacun de ses collaborateurs, d’animer un collectif dispersé. Car l’autonomie collective n’est pas nécessairement synonyme de l’absence de management. La force d’une équipe est celle de ses complémentarités et de ses synergies. C’est aussi celle de ses rencontres réelles, de ses solidarités qui se nouent lors de moments réels, formels et informels, dans un cadre partagé.
Le manager du télétravail, c’est aussi celui qui sait organiser le travail de chacun, pour faciliter l’engagement, la reconnaissance. Et le sens que chacun donne à son travail.
C’est donc plus un « animateur », un leader « servant », qui aide et protège, aussi, ses équipes de la pression voire des injonctions contradictoires qui existent dans la plupart des organisations complexes. Qui règle aussi les tensions et conflits potentiels entre les membres de l’équipe, mais à distance. Et qui privilégie la confiance au contrôle… Car si le contrôle total n’est jamais possible en présentiel (et même contre-productif), qu’en dire à distance ?
Que de talents différents, donc, de ceux souvent observés. Des talents à développer, par la formation peut-être, mais surtout la mise en pratique de nouvelles dynamiques collectives, bâties sur les spécificités et l’engagement de chacun.
Organiser l’autonomie, aussi
Cette mise en avant du télétravail, et la période de tension extrême sur les équilibres économiques qui vient, sont aussi, pour les entreprises, des occasions de s’interroger sur la plus-value de leurs missions, et de ce qu’elles attendent de leurs collaborateurs. Une question que pose avec talent Julien Damon dans son article sur les « bullshit jobs ».
Car si l’animation quotidienne des contributions est du rôle, essentiel, du management, l’organisation de celles-ci est aussi du ressort de l’entreprise elle-même, dans un travail de (re-)définition des contributions de chacune de ses entités, de ses métiers. Un travail de fond qui engage toutes les parties prenantes pour retrouver, loin des approches mécanicistes du lean et de ses dérives, la richesse de l’intelligence et de l’action collectives.