Et vous, avec qui voudrez-vous vivre (et travailler) ?
Publié le 28 Mai 2020
Si cette crise aura servi à quelque chose, c’est notamment à révéler les tempéraments – dans la sphère privée comme dans l’activité professionnelle. Une vraie opportunité, donc, de s’engager pleinement dans le « monde de demain ».
Avez-vous remarqué combien les événements des mois passés vous ont permis de vous découvrir, et de découvrir les autres ? Avec des confirmations, des bonnes surprises, des déceptions.
Avez-vous remarqué, aussi, combien ces événements ont provoqué des fractures profondes, que ce soit au sein des familles, des équipes, de la société ? Acceptation du confinement, distanciation physique voire sociale, adoption ou non d’un vocabulaire sélectionné, port du masque, acceptation ou aversion au risque, priorité donnée, ou non, à la santé, au détriment de certaines libertés, aisance ou terreur face à l’incertitude, participation aux disputes entre spécialistes et/ou praticiens du pouvoir… Autant de lignes de fractures qui ont souvent dépassé le stade du désaccord pour s’inscrire dans le registre du mépris, de la haine, de l’exclusion, de la si facile recherche d’un coupable…
Dans les entreprises, les réactions ont, la plupart du temps, été plus mesurées : liées à l’équilibre de vie, aux conditions de travail, aux relations managériales, mais aussi à la plus-value de chacun, réelle ou perçue, en fonction de la lumière donnée par les projecteurs, médiatiques ou internes.
A l’heure des changements, reconstituer les collectifs
Toutes ces fractures laisseront des traces. Assumées ou non. Implicites ou explicitées. Car elles ont révélé parfois des « sensibilités », des préférences ou des avis différents – mais ces différences sont la richesse d’une société, d’un groupe, d’une famille. Mais aussi parce qu’elles ont exprimé des oppositions parfois irréductibles entre « paradigmes », ou « visions du monde », pour ce qui est du sociétal. Entre affirmations ou révélations du sens de la vie au travail, et des conditions de son exercice, pour ce qui est de l’activité professionnelle.
De telles fractures peuvent apparaître comme autant de faiblesses.
Pour les individus comme pour les entreprises, de nombreux changements sont en effet à venir, et déjà en cours. Il y aura des changements organisationnels, au niveau des équipes, des entreprises, et même des éco-systèmes, avec sans doute de nouvelles relations à établir avec les fournisseurs et partenaires, qu’ils soient anciens ou nouveaux. Il y aura des compétences à acquérir – que ce soit dans le domaine technique, managérial, ou relationnel. Et il y aura un sens à (re-)trouver au travail de chacun : une plus-value au développement personnel et à la performance collective.
A l’heure de ces changements choisis ou imposés, plus que des faiblesses, ces lignes de fracture pourront être des atouts pour (re-)constituer les collectifs pour demain.
A condition de considérer le collectif comme un facteur de performance et de résilience individuelle et collective, plus que de « résistance » ou de « solidité », dès lors qu’il se nourrit de perceptions et talents différents, mais réunis au profit d’un même objectif.
Une nécessaire approche systémique
Dans cette crise, l’approche verticale et « experte » de l’administration publique a montré sa grande inefficacité, voire sa nuisance en termes d’engagement et de cohésion sociale.
Dans l’éternelle complémentarité entre le « savant » et le « politique », les technocrates se sont arrogés l’autorité des savants (en les désignant ensuite, au besoin, comme coupables).
A titre d’exemple : la primauté exclusive donnée aux « soignants » engagés dans les soins aux malades du Covid-19 a marginalisé de nombreuses fonctions indispensables. En commençant par les autres « soignants », qui ont dû, pour beaucoup, continuer à assurer leurs missions dans un fonctionnement très dégradé. Et pour beaucoup, ont dû cesser leur activité, « en réserve » d’un hypothétique appel, au détriment de la nécessaire prévention et du traitement des multiples autres pathologies d’un grand nombre de personnes.
Et en oubliant que, dans toute « guerre » (quel inadéquat usage de ce terme !), sans logistique, les combattants – même les plus rustiques - s’effondrent. Se nourrir, se déplacer, se vêtir, se reconditionner, pouvoir bénéficier des services publics du quotidien, être assuré du bien-être des siens…
Petit à petit, on a « revalorisé » des catégories d’actifs, au petit bonheur la chance, en fonction des affinités de chacun ou de l’influence de certains, ou de la nécessité de trouver un nouveau sujet pour nourrir le Moloch informationnel…
Dans les entreprises aussi, et entre entreprises, les fractures se sont multipliées. Entre ceux qui devaient demeurer pour produire et les fonctions jugées moins « essentielles » - et pourtant, si elles l’étaient, pourquoi les avoir conservées auparavant ? Entre ceux qui bénéficiaient d’un maintien de leur rémunération – ou « traitement » - et les autres, entre un statut intermédiaire et le néant. Entre ceux qui bénéficiaient d’attentions managériales dues aux tempéraments et compétences, et ceux qui se trouvaient isolés, oubliés, abandonnés. Entre ceux qui faisaient preuve d’initiative, d’engagement, et ceux qui se réfugiaient, de bonne foi ou par opportunisme, dans un éloignement souvent confortable.
Trop souvent, on a adopté des approches technocratiques et verticales, alors qu’il convenait d’aborder la complexité de la situation de façon systémique – modeste, interactive et participative.
Le sens du travail, le sens de la vie
A l’heure de la reprise – ou pour la permettre - , il est indispensable de refonder les collectifs sur des bases choisies, autant que de possible. De refonder, à tout niveau, un « pacte d’entreprise », et peut être un nouveau « pacte social » dans lequel la contribution de chacun, et les interactions et complémentarités entre tous, sont clarifiées, assumées. Qu’êtes-vous prêts à changer ? De qui et de quoi avez-vous besoin ? Que voulez-vous apporter aux autres ? Pourquoi et comment voulez-vous partager un avenir commun ?
Ce ne sont pas les questions d’un confort bourgeois. Ce sont les fondamentaux d’un engagement fort, et donc efficace, au service de tous les collectifs dans lesquels nous déployons nos énergies, nos compétences, notre vie.
Et au regard des réponses apportées, il sera alors temps de recréer les articulations et les complémentarités entre toutes ces ressources humaines.
Ce sera sans doute aussi l’heure de certains choix. Par nécessité économique, par recherche de l’efficacité, de la cohérence aussi. Et aussi du sens que chacun doit aussi donner à sa vie, dans la sphère intime comme professionnelle. Cela conduira sans doute à des départs, mais aussi à de nouvelles alliances.
Ce ne sera pas simple, assurément. Il faudra du temps, de l’énergie, des talents. De l’empathie et de la considération pour chacun.
Mais ce sera indispensable pour retrouver l’équilibre, la performance, et la désormais incontournable « résilience ». Individuelle, mais aussi collective.