Publié le 1 Octobre 2020

Le goût des secrets

Un livre de plus sur les forces spéciales ? Qui plus est écrit non pas par un historien ou un journaliste, mais par un de ses chefs, il y a encore peu ? Rajoutez-y le sel de la controverse médiatisée sur les services secrets, et cela en fait un ouvrage que l’on lit avec impatience, voire gourmandise… Mais au-delà de l’exercice de style et de l’objectif propre du livre, c’est aussi une source utile pour les entrepreneurs civils…

 

Le livre du Général Gomart a agité le petit monde des « fanas milis » en cette fin de mois de septembre, et aussi celui des curieux et gourmands en quête de sensations fortes… Mise en avant à l’occasion de sa sortie, on a surtout parlé de la proposition faite par le général, trois ans après sa prise du « chapeau mou » (son passage dans le monde civil) de regrouper les équipes du service action de la DGSE avec celles du commandement des opérations spéciales (COS). Service action, opérations spéciales, on est donc en plein, pour les non-spécialistes, en plein dans le « bureau des légendes »… Ca plait à beaucoup, ça en agace d’autres… Trois ans après sa sortie, pourquoi ce livre co-écrit, il faut le souligner, avec Jean Guisnel, un des trop rares journalistes de défense, spécialiste et auteurs de nombreux ouvrages très documentés sur les services secrets ? On ne répondra pas ici à la question, dont les spécialistes doivent peut-être connaître au moins une partie de la réponse… coup de billard à trois bandes ?

 

Ce qui fait le principal intérêt d’une telle production, pour le monde des entrepreneurs, en dehors d’une culture militaire générale toujours utile à développer, est la confirmation que, sans les relations interpersonnelles, aucune organisation ne peut efficacement se déployer. Y compris dans un domaine aussi réservé, aussi normé a priori que celui-là (même si les opérations spéciales, c’est faire « autrement », cet « autrement » est très documenté), les procédures ne l’emportent jamais sur les dynamiques humaines !

 

Plus que tout, des relations individuelles

Dans son livre, le général Gomart témoigne de certaines opérations auxquelles il a participé ou dont il a été en charge… la Yougoslavie, l’Afghanistan, la Lybie, le Mali… Pour chacune d’entre elles, de nombreux ouvrages existent déjà. Écrits par des journalistes, ou des militaires, ils sont évidemment plus complets que les évocations brèves de ce livre de mémoires et de propositions, qui les complète, les illustre, les incarne aussi.

Car ce qui frappe dans ce livre, c’est le « naming »… Et l’on s’interroge, parfois, pour savoir si l’évocation de tous ces protagonistes est le produit de la mémoire du Général, ou de la connaissance fine et très documentée de Jean Guisnel. Peu importe en fait. On trouve des noms, beaucoup de noms.

Et cela révèle que, y compris dans des situations qui opposent et associent des États, ou des organisations para-étatiques, on ne peut efficacement avancer si l’on se repose uniquement sur les approches organisationnelles, sur des procédures. A tout moment, il faut débloquer le système, convaincre, expliquer, faire passer l’opération sur le « dessus de la pile ». Y compris, et surtout, parce que des vies sont en jeu, parce que la réactivité fera le succès ou l’échec de l’action menée. Et pour cela, il faut prendre en compte, voire organiser, les relations inter-personnelles… camarades de promotion, collègues d’opération, rencontres antérieures… Des relations qui peuvent faciliter les choses, ou les bloquer quand le passé est conflictuel.

La plupart des entrepreneurs civils le savent… mais certains, en particulier dans les grandes organisations, demeurent convaincus que, avec de la procédure et de l’autorité, on obtiendra des résultats… On leur recommandera donc cette lecture.

 

Changer les organisations, ou animer les hommes ?

Et pourtant, en dépit de ces descriptions de multiples interactions individuelles, le Général recommande un changement organisationnel et symbolique fort : le regroupement des équipes du service action de la DGSE avec celles du commandement des opérations spéciales.

Pour faire simple, ce qui distingue aujourd’hui les premières est l’action clandestine, non revendiquée, quand les secondes interviennent toujours au nom de la France. L’intervention en tenue civile ou militaire est, paraît-il, secondaire. Quant à l’anonymat, à l’heure des réseaux sociaux et de la reconnaissance faciale, le Général affirme qu’il est de l’histoire ancienne.

Ce qui motiverait ce regroupement, c’est le besoin de synergies entre des frères d’armes qui se côtoient plus qu’ils n’agissent de concert, et aussi d’entrainements et de moyens partagés.

Au-delà des questions techniques propres à cet univers, ces problématiques sont sans doute familières au lecteur civil, habitué aux évolutions organisationnelles des entreprises.

Faut-il conserver des entités indépendantes, similaires mais différentes, animer leurs synergies, réguler les conflits entre décideurs, décider de l’affectation de moyens ? Ou fondre l’ensemble dans un grand tout, avec des moyens rationnalisés et une « gouvernance » claire ? Un grand tout qui sera aussi, inévitablement, plus lourd, plus bureaucratique.

Tout en tenant compte, bien sûr, des interactions réelles et symboliques avec l’éco-système et des relations au « Chef ». Puisque dans le cas d’espèce, les deux entités ne réfèrent pas au même niveau hiérarchique, dans l’organisation civilo-militaire concernée.

Lorsqu’il convient de décider entre ces options, on ne peut écarter, ni dans le monde militaire (qui est aussi une administration, rappelons-le), ni dans le monde civil, les questions de pouvoir, réel ou symbolique. Car en dehors de toute question d’analyse « rationnelle », l’expression de cette proposition par un ancien chef du 13e RDP, unité d’élite mythique et pilier du COS, fils d’un ancien chef de la même unité, n’est pas un élément anodin. Tout comme le sont sans doute les avis sur le sujet du journaliste spécialiste des opérations héroïques comme des « coups tordus » des soldats de la République…

Pour le décideur civil, il est donc impératif, lorsqu’il est confronté à des décisions organisationnelles clés, de prendre aussi en compte l’état des lieux moral des « forces en présence », et d’identifier, autant que possible, quels sont les moteurs de l’action, et des propositions des uns et des autres. On n’est pas seulement un titre et une fonction. On est aussi un homme ou une femme, avec son histoire, son contexte, ses convictions…

 

Le goût des secrets, ou la soif d’interactions ?

Lorsque la vie des soldats et les intérêts stratégiques de la France sont en jeu, le livre l’illustre à de multiples reprises, il est impératif de savoir qui sont les parties prenantes, de connaître au mieux leurs motivations, leurs intentions. Y compris lorsque, s’ils les expriment ou les laissent transparaitre, ceux-ci prennent des risques considérables. Pour eux et pour leur cause. Mais c’est la condition de la confiance, préalable à l’action commune.

Alors, lorsqu’il s’agit « seulement » d’enjeux commerciaux et industriels, pourquoi certains mettent-ils tant de précautions à dissimuler leur jeu ?

Sans doute parce que, même si les enjeux ne sont pas ceux de la vie et de la mort, chacun donne un sens à son engagement professionnel, à son existence sociale, au confort matériel lié à son activité.

Et puis sans doute aussi, parce que beaucoup cultivent le « goût des secrets ». Parfois par prudence. Parfois peut-être aussi, parce que les efforts que vous devrez déployer pour les découvrir vous feront vous intéresser à eux… Une vraie question en particulier dans les grandes organisations, dans lesquelles certains peuvent avoir le sentiment d’être considérés comme des « pions » ou des « rouages ». Mais pas seulement.

 

Général Christophe Gomart, avec Jean Guisnel, « Soldat de l’ombre. Au cœur des forces spéciales » Tallandier, septembre 2020

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #CIMIC, #Lectures, #Management

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Publié le 1 Octobre 2020

Conversations à double sens

J’ai rencontré Théodore Zeldin à l’occasion d’un séminaire annuel des « Change Leaders », les anciens du master spécialisé « Consulting and Coaching for Change », à Oxford. Son nom m’était connu, sans m’être familier… Je l’ai donc écouté sans parti pris, ou plutôt, j’ai découvert la « conversation » que la talentueuse organisatrice avait suscitée… Etait-elle plus qu’un « FishBowl » des Liberating Structures, l’un des exercices de facilitation dont je suis gourmand ?

Ma première impression a été celle d’une aimable conversation de salon, celle d’un homme érudit, dont la vie avait été faite de découvertes, et qui n’avait pas souvent été confronté au monde du travail que nous connaissons, nous, consultants dans les entreprises. Il déclarait d’ailleurs n’avoir jamais eu le sentiment d’avoir travaillé… Tout en nous décochant quelques flèches aigres-douces, à nous qui intervenons pour aider les équipes à mieux travailler (ensemble, pour ce qui me concerne).

Alors, s’il assumait tant sa distance avec le monde du travail, pourquoi avait-il été associé à la « commission Attali » (dite « pour la libération de la croissance française »), à l’occasion de laquelle certains disent qu’il a établi une vraie relation de proximité avec Emmanuel Macron ?

Et c’est en lisant l’autre livre de cet article, que j’ai eu envie de redécouvrir les « conversations », après avoir musardé dans les pages d’un autre de ses ouvrages, « Les plaisirs cachés de la vie ».

 

Le pouvoir de la conversation

La lecture de son petit ouvrage « Conversation – How talk can change our lives » (indisponible en français, si ce n’est d’occasion), qui retranscrit des émissions de la BBC, conforte le sentiment d’une rencontre avec un « honnête homme »… Quelqu’un dont la conversation est aimable, charmante, cultivée ; qui apprécie le temps qui passe au fil des rencontres diverses ; qui croit en l’homme (qu’on ne vienne pas chercher de parti pris sur l’égalité homme/femme, le terme est ici générique). Dont l’attention se porte avant tout sur les relations globales, entre peuples, entre cultures, entre sexes aussi. Qui porte la conviction que la « conversation » permet de faire grandir, et que ce développement personnel –interpersonnel en fait-  conduira à une meilleure entente de tous, y compris dans le monde du travail (qu’il n’évoque pas beaucoup). Et cette conversation ne peut avoir lieu – il l’avait clairement expliqué à Oxford – qu’entre deux personnes. Un postulat qui stimulera l’esprit critique des facilitateurs, spécialistes des « conversations de groupe ».

Lorsqu’on s’intéresse aux « changements » organisationnels et collectifs, comment considérer alors le pouvoir de la « conversation », et son usage pratique ? Envisager une multitude de conversations individuelles (des milliers, des millions) ? Ou bien plutôt, considérer qu’il existe des acteurs clés d’influence et que ceux-ci, parce qu’ils grandiront grâce au pouvoir de la conversation, entraineront des changements collectifs ?

De la « conversation » qu’il avait eue devant nous, il semble que Théodore Zeldin privilégie la seconde voie – tout en encourageant chacun, dans sa vie privée, à la suivre également.

Peut-être aussi parce que, selon Zeldin, plus on monte dans la hiérarchie professionnelle (ou sociale), plus on parle… et avec d’autres « décideurs ». Même s’il met en garde le lecteur contre la rhétorique, comme obstacle aux échanges et donc au progrès individuel… la rhétorique, une technique appréciée des « décideurs », en particulier publics.

Nulle question, donc, de foules.

Pourquoi évoquer alors, dans cet article à usage professionnel, le livre de Zeldin ?

Parce que, au-delà de ses convictions philosophiques sur la « conversation », Zeldin propose aussi son approche comme un outil de transformation, à travers notamment de « conversation dinners », dont il choisit les menus. Dans ces exercices, vous avez un « menu » pour vous guider : des thèmes à évoquer avec votre interlocuteur. Enfin une approche directement opérationnelle ? Pas vraiment directement, quand on se réfère à ces « menus » dont les plats sont, par exemple : « Avez-vous changé de priorités au fil des ans ? », « Quand vous sentez-vous isolé ou esseulé, et quelles sont vos remèdes ? », « Quelles sont les limites de votre compassion ? »…

Des questions très personnelles, profondes, qui permettent sans doute de se parler « en vérité », de découvrir l’autre, et de « grandir »… changer aussi ?

C’est sans doute le préjugé humaniste de Théodore Zeldin. Mais comme il l’exprime lui-même : « il est vrai que la plupart des gens aiment à haïr. La haine donne aux gens l’impression qu’ils ont des principes et des opinions ».

Alors, une conversation peut-elle aider à changer, voire à aimer, ou tout du moins à respecter ?

C’est en tous cas la conviction de Peter Boghossian et James Lindsay. Qui eux, proposent un livre très opérationnel puisque leur livre est présenté comme un manuel pratique (non traduit en français).

Si ces noms vous sont familiers, c’est sans doute parce qu’ils ont défrayé la chronique médiatique il y a quelques mois – vous savez, avant l’ère Covid… -, en piégeant des revues « scientifiques » avec des articles que les rédacteurs espiègles et talentueux du Groupe d’Intervention Culturelle Jalons n’auraient pas désavoués. Un « Lancet-gate » avant la lettre, les conséquences sur la santé publique et la crédibilité gouvernementale en moins…

C’est mon goût de l’épistémologie et mon esprit taquin qui avaient appelé mon attention sur eux. Car le spectacle de cuistres tournés en ridicule est un plaisir que j’assume – et seuls des experts de haut niveau, comme ils le sont, peuvent s’attaquer à ce qui se passe dans les universités américaines, et qui arrive dans les nôtres, sans doute.

Universitaires reconnus, ils font partie de ceux qui, aux États-Unis, combattent l’obscurantisme qui vient, portés par de nouvelles « idéologies ». Le dénigrement, l’exclusion, le refus du débat, du désaccord, de la controverse : c’est sans doute cela qui leur a donné l’idée de produire ce « guide pratique » pour avoir des « conversations impossibles ».

 

Alors, pourquoi en parler ici ? Parce que ces pistes pratiques sont de belles leçons pour permettre d’apaiser des conflits dans les entreprises, dans les équipes, entre décideurs barricadés dans leurs positions, leurs objectifs, leurs tranchées…

 

La conversation comme levier de changement

La structure du livre est originale car elle propose une « montée en compétences » progressive, du niveau « débutant », du novice en conversations, à celui de « maître », prêt à tenter des conversations avec des « idéologues » - une catégorie pourtant plus sujette aux affirmations qu’à l’échange.

Car, et c’est un des points passionnants de leur propos, la « conversation » est un puissant levier de changement. Pas au sens de Zeldin, pour qui elle est plutôt un facteur de « murissement » pour ceux qui y participent, et toujours vers le haut. Mais au sens d’une transformation mutuelle possible, vers le point de vue de l’autre. Car l’idée n’est pas de « grandir », mais de faire changer l’autre, tout en acceptant, et c’est un postulat important, que la conversation vous fasse aussi changer vous-même.

C’est d’ailleurs pourquoi, dans les cas extrêmes – la conversation avec des « idéologues » -, le seul objectif proposé est de les amener à accepter les points de vue des autres. Et qu’il faut envisager, s’ils s’y refusent, de fuir… Puisque l’objectif est la conversation, qu’ils refusent alors, et non la conversion, qu’ils recherchent.

La conversation est, dans cette approche très pratique, le vecteur d’une véritable relation. On peut ne pas être d’accord, certes. Mais on accepte l’échange. Et on le suscite.

Écouter, certes, mais interroger aussi. Car l’écoute n’est pas seulement polie, voire distraite. Ce qu’on peut imaginer dans les conversations organisées par Théodore Zeldin. Elle est réelle, « active » disent certains.

Respecter l’autre, en ne le mettant pas en situation inconfortable. Prendre le temps de la relation, accepter les limites de l’autre, son rythme. Faire des crédits d’intention aussi.

En quoi ces recommandations de bon sens sont-elles originales, et donc utiles au monde de l’entreprise ?

En ce qu’elles s’appliquent, à travers leurs déclinaisons, aux conversations réputées « impossibles » : « des conversations qui semblent inutiles tant elles révèlent un abime apparemment infranchissable de désaccords sur les idées, les croyances, la morale, la politique ou les visions du monde ».

Impossible parce que les protagonistes ne veulent pas se parler ?

Pas vraiment. Car « la difficulté dans ces cas n’est pas de trouver quelqu’un avec qui parler : c’est l’échange (« give-and-take ») qui semblent sans espoir car la personne en face de vous échoue à parler avec vous et, à la place, vous parle. Vous êtes dans ce cas un réceptacle pour ses idées, ou un adversaire à vaincre ».

Ces propos doivent résonner à l’esprit des lecteurs qui, dans leurs projets ou leur quotidien, doivent souvent « convaincre », ou connaissent des « décideurs » qui doivent le faire.

Désireux d’assumer leur « leadership », ils font alors appel, quand ils en sont dotés, à leur talent oratoire, à leur rhétorique… Ils brillent, ils « convainquent » - en tous cas le croient-ils. C’est parfois le cas, sur le champ, sous l’effet du spectacle bien mené. Ils ont remporté « l’épreuve de la rampe ». Mais ils n’ont pas entraîné l’adhésion, sincère et pérenne.

 

La conversation comme technique de mobilisation

La conversation est donc une technique de mobilisation. Que l’on apprend, et que l’on met en pratique. Mais encore une fois, elle n’est pas manipulation, car l’effet est à double-sens, et la mobilisation mutuelle.

Nous vous laisserons donc le plaisir de découvrir les compétences clés que proposent les auteurs, qui vous suggèrent de les appliquer avec patience, avant de passer d’un niveau à l’autre… De les remettre aussi en perspective, au regard de « conversations » ratées, voire d’échanges interrompus, ou inachevés.

Enfin, si beaucoup de livres – comme celui de Théodore Zeldin -, partagent des convictions, laissant au lecteur le soin d’en imaginer les applications pratiques, ce manuel permet, à l’inverse, d’identifier, au fur et à mesure de la lecture, les lignes directrices qui ont donné naissance à ces déclinaisons.

Il me semble que, pour Boghossian et Lindsay, la clé se trouve dans l’identification des « valeurs ».

En particulier dans les cas les plus difficiles, la conversation est, pour eux, un exercice archéologique. Car il convient de franchir, progressivement et en délicatesse, toutes les couches sédimentaires, qui dissimulent et protègent les fondations de la pensée exprimée : les « valeurs » (« underlying values »).

Leur conviction est que ce qui permet la conversation sont des « valeurs » partagées. Un concept assez vague, presque trop courant.

Ce qui rend possible l’identification de ces « valeurs communes », sauf dans les cas extrêmes des conversations qui se veulent des conversions, c’est la conviction, selon les auteurs, que plus que des convictions étayées, chacun se réfère à des « valeurs » pour tracer la limite entre les « bonnes personnes » et les « mauvaises personnes » - et en souhaitant, dans la grande majorité des cas, se trouver dans le camp des « bons ».

Dès lors, l’expression d’une valeur simple comme « le respect des convictions de l’autre » permet de bâtir les bases d’une conversation sincère. Et à partir de ce socle commun, qui n’est qu’un point de départ, il devient possible, en remontant le raisonnement, d’identifier là où les désaccords se font, de les mesurer, voire de les relativiser pour les dépasser. En changeant de compréhension, de conviction, l’un ou l’autre, l’un et l’autre.

 

Les bases d’une conversation sincère

Les « valeurs » sont donc au cœur des « conversations » selon Zeldin et Boghossian/Lindsay.

Plutôt que de s’affronter sur l’écume des jours, les interprétations vraies ou supposées, les exégèses de l’intention initiale, tous affirment qu’on ne peut progresser qu’en parlant du fond.

Pour Zeldin, ce sont ces conversations profondes qui permettront aux individus, et aux sociétés de changer, en se comprenant mieux. Mais on peut craindre que, menées hors de cercles de « bonne volonté » ou de gens « bien élevés », ces conversations ne deviennent que des exposés à sens unique, dont la portée dépend uniquement de la volonté d’écoute de l’autre. Et ne conduit à changer que celui qui a déjà pris ce chemin - sans doute parce que Zeldin considère également comme « conversation », les discussions avec soi-même, ou avec Dieu.

Pour Boghossian et Lindsay, les conversations sont un enjeu en soi. Car la qualité des relations qu’elles supposent, et qu’elles induisent, sont celles des sociétés humaines qui semblent, aujourd’hui, se désagréger. Les conversations sont donc des enjeux forts pour eux, dans leur environnement professionnel et social, et en particulier des universités américaines.

Pour nous, dans les entreprises, elles sont des vrais leviers d’action pour réconcilier les collectifs, ré-exprimer le sens commun de projets parfois dilués dans des organisations complexes, malmenées par un contexte particulièrement anxiogène, qui encourage plus les conduites rapides que les respirations partagées.

Alors, pour le succès de vos projets, à l’heure des tchats, des mails, des SMS et autres tweets, êtes-vous prêts à parler, pour de « vrai » ?

 

Theodore Zeldin « Conversation. How talk can change our lives » Harvill Press, 1998, HiddenSpringBooks. 2000. “De la conversation”, Fayard, 1999.
Peter Boghossian & James Lindsay “How to have impossible conversations. A very practical guide”. Lifelong Books, 2019

 

 

 

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Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Social change, #Lectures

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