Marque employeur : osez la cohérence !
Publié le 3 Mai 2018
Avec la guerre des talents, toute entreprise souhaite donner la meilleure image possible d’elle-même. Au détriment parfois de la vérité, mais souvent au prix de la cohérence de ses différentes politiques. Au risque de le payer à moyen, si ce n’est à court terme.
La marque employeur est valorisée comme un concept marketing, un outil pour mieux vendre son image. On parle bien de communication de marque, d’image de marque, voire même de valeur de marque. Alors, quand on doit se faire choisir dans un contexte concurrentiel, la « marque employeur » doit faire vendre. Et on cherche la meilleure étiquette possible, en particulier à l’heure des réseaux sociaux qui diffusent, amplifient, mais parfois déforment à très grande vitesse.
Un autre marketing de soi, au niveau organisationnel.
Un marketing de soi
Le marketing souffre depuis toujours d’un procès d’intention. Elaboré par les premiers de la classe des meilleures écoles de commerce, à l’interne comme dans les agences, ses productions sont parfois perçues comme décalées de la réalité des produits, et ce décalage se mesure pleinement dans les équipes de vente et celles de production.
Alors, bien sûr, la communication de la marque employeur est généralement pilotée par la direction des ressources humaines. C’est un levier pour le recrutement : on le confie donc aux recruteurs.
Qui ne sont pas toujours les meilleurs vendeurs. Et s’appuient donc sur des spécialistes de la marque… retour aux « marketeurs », directement ou indirectement, en fonction des entreprises et de leurs équilibres internes.
“Espoused theories” et “theories in use”
Mais contrairement à certaines critiques, le décalage perçu n’est pas toujours affaire d’idéalisme synonyme de déconnection entre le « central » et le « terrain », de manque de rigueur professionnelle, voire de malhonnêteté.
La vie des entreprises est toujours animée par la co-existence de deux mondes, au plan personnel comme au plan collectif. Ce que Chris Argyris appelle les « espoused theories » et les « theories in use » : chacun se perçoit facilement, en toute sincérité, comme correspondant à une image voulue, mais décalée de la réalité.
Et la réduction efficace de cet écart passe toujours par un regard tiers bienveillant, externe ou interne (même si on peut toujours suspecter le collègue d’un autre service d’avoir des objectifs antagonistes). Car une totale prise de recul est a priori impossible (à moins d’entretenir une parfaite schizophrénie).
Pour les équipes en charge de concevoir et promouvoir la marque employeur, l’écueil est le même. Même de bonne foi, par manque de recul ou de confrontation au regard des autres, on a facilement l’envie de mettre en avant les aspects les plus flatteurs, les plus attractifs.
Pourtant, les conséquences négatives de l’adoption d’une marque employeur forgée « à l’idéal » peuvent être dangereuses, voire dévastatrices :
- envers les futurs recrutés, cibles principales de l’action de marketing : une fois dans l’entreprise, ils seront confrontés à une réalité qui ne correspondra pas à ce qu’ils avaient « acheté ». Ils partiront – et on connaît le coût d’un recrutement raté tout comme celui d’un « client mécontent ». Ou ils resteront mais s’aigriront – au prix de leur capacité d’engagement et de contribution voire, éventuellement, d’une dégradation du climat social ;
- envers les personnels en place, qui pourront vivre la campagne externe comme une action « hors sol » et dépensant de plus des ressources par nature rares, au détriment de celles qu’ils attendent au prix de la cohésion et de l’engagement de tous. Ou qui, plus encore, mesurant le décalage entre cet idéal présenté et leur réalité, en feront un objet de revendication sociale ;
- envers les porteurs de projets internes dont les contenus seront négligés voire contredits par leurs collègues ;
- envers les clients enfin, qui ne trouveront pas dans leurs interactions avec les représentants de l’entreprise les promesses faites.
Car, à l’heure du numérique et des réseaux sociaux, les « cibles » ne sont plus segmentées, mais perméables. Dès lors, tous les arguments doivent être cohérents, pour être partagés, le cas échéant, avec tous.
Associer experts et utilisateurs
La « marque employeur », si ce vocable à la mode devait perdurer, ne peut donc être un objet en soi, mais l’une des multiples expressions d’une identité professionnelle cohérente et vraie, partagée. Une marque, peut-être. Mais bien plus encore, une réalité commune. Et donc portée par tous, depuis la direction générale jusqu’aux équipes les plus opérationnelles. Non pas un objet technique, mais un levier de mobilisation.
Et pour être partagée par le plus grand nombre, en ce cas comme dans tant d’autres, cette identité doit être révélée et formalisée grâce à un processus dialectique associant experts et utilisateurs :
- les experts du marketing, de la communication, et de tous les projets en cours que l’entreprise veut valoriser, y compris bien sûr dans le domaine des ressources humaines ;
- les « utilisateurs » de ces ressources humaines à venir que seront, non les services experts mais avant tout leurs collègues, tout comme leurs managers, voire leurs partenaires et leurs clients.
Que souhaiteront-ils, et que pourront-ils porter et promouvoir ensemble ? Chacun dans leur domaine, chacun dans leur contexte :
- les experts, dans les réseaux d’animation métiers, dans les filières professionnelles, dans le pilotage des projets transverses… ;
- les utilisateurs, au quotidien, dans les opérations. Et aussi sur les réseaux sociaux, en contexte promotionnel organisé ou spontané ; ou parfois en situation défensive, lorsque l’entreprise est attaquée.
Un facteur de résilience aussi
Car face à une « image » fallacieuse que voudrait imposer un acteur hostile et qui pourrait nuire à l’entreprise si elle s’imposait dans l’esprit du plus grand nombre, quelle meilleure réponse que la réalité incarnée et promue par les personnels eux-mêmes ?
Confier la marque employeur à des seuls spécialistes de l’image ou du recrutement, ce n’est pas seulement se priver de moyens d’action efficaces. C’est aussi fragiliser l’entreprise elle-même en la privant d’un facteur clé de résilience face aux « accidents » nés des inévitables aléas de la production, ou d’un environnement toujours incertain.
Alors, entre une marque employeur « idéale » et un terreau fécond d’atouts partagés, que préférez-vous ?