Digital change : le meilleur est à l’intérieur !

Publié le 14 Octobre 2014

Le « digital change » est sur les lèvres de beaucoup de décideurs, et au cœur des préoccupations de beaucoup d’entreprises (surtout les grandes). Alors, oui, le numérique bouleverse nos habitudes, nos pratiques, voire nos goûts, que ce soit dans nos vies professionnelles ou personnelles. Mais au-delà de l’effet d’actualité, les changements annoncés et vécus sont-ils vraiment originaux ?

Digital change : le meilleur est à l’intérieur !

La fébrilité générée aujourd’hui par le « digital change », dont les effets sont si nouveaux qu’ils ne sont encore que très peu analysés par les chercheurs, peut fasciner : premiers colloques universitaires, blogs dédiés, apparition de « Digital Chief Officer » au plus haut niveau des grands groupes, offres d’expertises, déploiement de nouveaux outils... Mais elle a aussi un goût de « déjà vu », par delà la nouveauté intrinsèque aux objets auxquels le « digital change » s’adosse, a priori à la pointe de la créativité technologique.

« Déjà vu » ? De la RSE au RSE…

Ce sentiment rappelle tout d’abord la vague de transformations qu’ont connues les entreprises et grandes organisations lors de la traduction dans le monde économique des principes du « développement durable », il y a bientôt vingt ans, avec l’idée de RSE (responsabilité sociale des entreprises).

Actions réglementaires, déclarations politiques, créations de Direction du Développement durable, formations des personnels, élaborations d’outils de pilotage et de rapports annuels… Ce thème était alors un puissant levier de transformations pour les entreprises, et de croissance pour un marché de prestataires plus ou moins spécialisés.

Aujourd’hui, où en est la RSE ? Adoption réelle et pérenne par l’entrée dans les mœurs, ou bien banalisation par changement de mode ? La RSE a en tous cas changé de genre puisqu’aujourd’hui, grâce au « digital change », nombre d’entreprises se doivent de matérialiser leur modernité par l’adoption d’un RSE : un réseau social d’entreprise.

Et à travers ce terme, on retrouve plusieurs affirmations et attentes souvent exprimées dans la vie des entreprises au cours des dernières années, avec la fin (encore en cours) des logiques tayloriennes et l’apparition du « management » (et désormais du leadership) : la reconnaissance individuelle (connaître son voisin), la cohésion de groupe (le sentiment d’appartenance), le partage de pratiques (depuis la base documentaire à un « knowledge management » nouvelle formule).

Avec cette affirmation d’une attention soutenue portée au « digital change », et parce qu’il est agréable et utile de se projeter dans une modernité toujours technologique car plus visible que celle des comportements, il n’est pas à exclure qu’on y trouve aussi la tentative d’entreprises de concurrencer les appétences individuelles aux nouvelles pratiques numériques pour « re-capter » le temps de travail et la créativité alloués par leurs salariés à des réseaux extérieurs, non directement contributifs à l’objet de l’employeur.

Mais globalement, on retrouve, dans ce type de projets, nombre de préoccupations récurrentes dans la vie des entreprises.

Orientation client et entreprise étendue

Un des aspects de la « transformation digitale » tient à la réaffirmation de la relation client dans les priorités de l’entreprise. Pour une TPE ou une PME, le souci de l’orientation client est tellement naturelle – c’est une question de survie - qu’elle n’est pas souvent affirmée.

Pour un grand groupe, le client est parfois, pour certains, plus un concept qu’une réalité quotidienne, que les enjeux internes ont pu faire oublier. Et il est toujours utile de rappeler que, même dans les fonctions les plus éloignées du « front office », c’est toujours le client qui paie les rémunérations…

Avec le digital, le client se rapproche à nouveau de l’entreprise. Directement, car les outils et surtout les pratiques quotidiennes placent la transparence et la réactivité au cœur des attentes du consommateur/client, qui veut une solution personnalisée, tout de suite, à sa porte. Mais aussi indirectement, car les gisements de croissance que recherchent beaucoup d’entreprises, en cette période de crise économique, se trouvent souvent dans des domaines sur lesquels émergent des concurrents nouveaux, innovants, agiles. De parfaits inconnus deviennent, en quelques années, des leaders et captent, plus encore que l’attention, des investissements qui suscitent soit le vertige soit l’envie (ou les deux).

Pour reconquérir le client, deux stratégies coexistent : l’entreprise intégrée ou l’entreprise étendue. Avec une préférence en France pour la première.

Vieil héritage des temps tayloriens, le choix de l’intégration a néanmoins un peu muté. Alors qu’on envisageait hier l’intégration verticale, on envisage aujourd’hui les acquisitions par extension horizontale : faute de pouvoir rattraper une petite entreprise agile qui crée de la valeur sur des marchés connexes, on la rachète. La relation traditionnelle au client n’est pas remplacée, elle est complétée, de façon à compenser la diversification des dépenses du consommateur par celle des revenus de l’entreprise.

Pourtant, la pratique alternative de l’entreprise étendue a beaucoup d’avantages. Car pourquoi préférer la relation de propriétaire à celle de partenaire, si on réussit à s’affranchir du goût pour le « contrôle » voire le « pouvoir » ?

Ce principe organisationnel et fonctionnel a été adopté au cours des années passées de façon défensive par certains acteurs industriels, notamment lorsque les incertitudes du marché rendaient trop risqué le maintien d’une partie de l’activité dans le périmètre légal et financier. Par « spin off » ou autres mécanismes techniques, les entreprises ont donc externalisé le « risque ». Et ces jeunes pousses ont parfois pris leurs ailes.

La vraie faiblesse de ce choix est liée à la réalité des hommes. Car les « externalisés » savaient toujours pourquoi ils avaient dû partir et que, le jour venu, ils n’avaient ni reconnaissance ni envie de partager leur succès avec ceux qui les avaient, plus ou volontairement, « chassés ».

Alors, si le « coût de sortie » pour passer d’une entreprise intégrée à une entreprise étendue est souvent humainement – et économiquement – élevé, pourquoi donc ne pas conserver le fonctionnement en entreprise étendue, sans chercher le contrôle capitalistique et (on le croit souvent…) humain de l’entreprise intégrée ?

Sans doute l’empreinte culturelle de la pensée taylorienne de beaucoup de décideurs, pour lesquels il « suffit » d’ordonner et déployer… à rebours du fonctionnement de l’économie numérique, émergente, multiple, complexe.

DCO : une nouvelle lutte pour le pouvoir ?

Les nominations de « Digital Chief Officer » et les enjeux qui émergent sont, et seront révélateurs de la capacité des entreprises à réussir leur transformation digitale.

Cette nouvelle fonction est souvent placée au plus haut niveau de l’entreprise. Est-ce un choix de communication, pour matérialiser la « modernité » de l’entreprise ? Ou bien le signe de nouvelles luttes pour le « pouvoir » ? La fin du XXe siècle avait vu le renversement des fonctions de production par celles des marketeurs – avec une priorité donnée au produit souhaité par le client plutôt qu’à celui produit par l’entreprise. Puis l’apparition de la gouvernance des financiers, avec un pilotage très marqué par la rentabilité à court terme. Ce début de XXIe siècle sera-t-il celui des « digitaliseurs » ? Manifestement, la fonction reste encore à définir. Le DCO est-il le successeur – ou le chef - du directeur des systèmes d’information ? Ou bien le concurrent du PDG ?

Dans notre monde de services (y compris industriels), les fonctions technologiques sont peu, presque paradoxalement, reconnues. Car l’outil ne fait pas tout, et la spécificité (voire l’étrangeté) des compétences de « geeks » les exclue souvent des mécanismes décisionnels – en tous cas dès lors que le stade de la start up est passé, et que d’autres fonctions plus « business » apparaissent.

Et puis, le « digital change » semble être partout dans l’entreprise : au marketing et au commerce, aux RH, aux finances, à la production… On ne saurait donc confier les « rênes » de l’organisation à un « informaticien », fut-il rompu aux technologies les plus en pointe ! Dès lors, le DCO semble plutôt trouver sa place au plus près du CEO – en attendant de lui contester, peut-être.

Plus qu’une question de hiérarchie, la question qui doit se poser est celle du rôle.

Si la digitalisation est perçue comme une opportunité de retrouver le contrôle perdu, l’échec est au bout du chemin. Il est vrai que le « Big Data » fait naître beaucoup de fantasmes : on pourrait précéder les désirs des « clients » (externes comme internes) au regard de leurs comportements passés, les prévoir et donc les contrôler… Au-delà des problèmes moraux que cette idéologie totalitaire sous-tendrait, c’est tout simplement une utopie inopérante, qui entendrait s’affranchir du libre arbitre et de l’imprédictibilité intrinsèque aux systèmes humains, grâce à une « rassurante » ingénierie sociale déterministe.

Animer la transformation digitale plutôt qu’espérer (en vain) la maîtriser

Connaître n’est pas maîtriser. Et les phénomènes digitaux partagent une caractéristique radicalement étrangère au contrôle post-taylorien : l’émergence.

A l’interne, la mise en place d’outils collaboratifs n’aura aucun réel retour sur investissement s’il s’agit seulement de nouveaux outils de « communication », comme l’ont été les « trombinoscopes », les journaux internes, les bases de données partagées… Nécessaires mais insuffisants pour justifier les nouveaux surcoûts.

A l’externe, les outils d’analyse du Big Data ne pourront, aussi rapides soient-ils, que constater les changements de pratiques a posteriori. Car comment maîtriser la multiplicité d’interactions auxquelles sont soumis les individus, consommateurs ou clients ? Les difficultés voire les abîmes d’angoisse que vivent les décideurs cartésiens face à la complexité d’un monde ouvert et interconnecté, et donc imprédictible, sont sans doute des opportunités pour les marchands de certitudes – mais c’est toujours un marché de dupes.

Le succès de la transformation digitale ne repose pas sur les outils, mais sur les comportements que ceux-ci facilitent, et qui émergent déjà depuis plusieurs années, avec à la fois le développement des technologies de l’information et, qu’on l’apprécie ou non, la diffusion du « paradigme démocratique » : collaboration, émergence, lâcher prise, leadership partagé…

C’est pourquoi, que la fonction soit directement assumée par le dirigeant de l’entreprise, ou par un DCO, la transformation digitale doit plus faire appel à des compétences d’animation des talents et des contributions qu’à celles d’un pilotage en force.

La cohérence plutôt que le contrôle

Le contrôle tue les contributions – parce qu’il génère le refus des responsabilités, la crainte de la sanction, parce qu’il néglige la reconnaissance, qu’il suscite la concurrence voire le ressentiment. En tous cas parce qu’il conduit à l’immobilisme et au désengagement. Et qu’il s’oppose manifestement aux talents et appétences de la « génération numérique » qui vivra le monde de demain.

Dans la société ouverte qu’offre et accompagne la transformation digitale, il convient plutôt d’identifier et d’encourager les contributions, à l’interne comme à l’externe, de garder l’esprit ouvert à l’identification des opportunités émergentes, de garantir des processus de décisions agiles.

Tout ceci n’est pas qu’affaires d’outils – même si ceux-ci sont utiles voire indispensables – mais bien de convictions, de postures, et aussi de pratiques qui à la fois entretiennent et mettent en œuvre les principes d’action précités.

Alors bien sûr, une entreprise ne peut être dirigée de façon anarchique, et il est toujours indispensable d’orienter les moyens et les énergies disponibles en cohérence avec une stratégie. Mais cette cohérence est toujours mieux garantie par l’appropriation par le plus grand nombre de cette stratégie, qui doit donc avoir été formalisée et partagée, plutôt que par des « censeurs » ou des « gardiens du temple ». Pour cela, encore faut-il avoir fait le choix de la confiance, de l’émergence, de l’engagement : des principes de management et de leadership qui ont montré, certes, leur complexité dans la mise en œuvre, mais leur extraordinaire plus-value.

C’est pourquoi le « digital change », plus qu’un nouveau phénomène technologique, est un nouvel attracteur de mobilisation et de transformation, au service de la performance collective.

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Management, #Transformation 3.0

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