Restaurer la confiance

Publié le 12 Décembre 2011

Mains okEn 1995, Alain Peyrefitte écrivait "La société de confiance" (1), pour illustrer comment ce lien psychologique entre acteurs était indispensable au développement économique.

En 2007, deux chercheurs décrivaient dans "La société de défiance" (2) comment l'incapacité croissante des Français à vivre ensemble menaçait leur prospérité et, tout simplement, leur bonheur. Et ils commençaient leur ouvrage en citant l'ouvrage de Peyrefitte. L'actualité de cette journée illustre tristement la pertinence de leur analyse.

Pour la prospérité européenne

Crise européenne ? Alors que les dirigeants européens renforcent l'Union pour faire face aux actions spéculatives et aux tensions sur les marchés mondiaux du crédit (un autre mot pour parler de confiance...), trop d'analystes français recherchent des coupables à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. Escrocs grecs, dilettantes italiens, ogres allemands, traîtres britanniques... Endettés jusqu'au cou, importateurs de biens mais exportateurs de leçons de morale voire d'économie, nous témoignons bien plus souvent de notre arrogance didactique que de nos capacités pourtant réelles d'innovation et de production de qualité. Où sont donc la confiance, ou au moins le crédit d'intention envers nos alliés européens, et envers nos dirigeants pourtant tous élus grâce à des mécanismes démocratiques certes imparfaits mais en tous cas plus vertueux que les systèmes autocratiques ?

 

Pour la pérennité de nos entreprises

CollaborationDans nos entreprises, et nos écoles, le travail est trop souvent décrit par le chômage, la souffrance au travail, le harcèlement, la fatigue, le droit de retrait, l'enfer du management... Et trop rarement comme un nécessaire moyen de subsistance - il ne faut pas l'oublier car, comme en témoignent tous les jours ceux qui travaillent la terre ou la matière, l'argent ne tombe pas du ciel... Ou bien, aussi, comme une opportunité de développement personnel et collectif - à moins qu'on ne soit convaincu que la consommation de programmes télévisuels ne contribue plus à élever l'âme que la satisfaction du travail bien fait, qu'il concerne la production ou les services. Dans don dernier ouvrage "Lost in management" (3), le sociologue François Dupuy décrit comment les organisations matricielles, pourtant conçues comme des structures collaboratives (selon nous, dans l'esprit des "checks and balances"), deviennent, en se superposant aux bureaucraties en place, des lieux de pouvoir... nécessairement inefficaces, en particulier de par le "sous-travail" qu'elles favorisent. Là encore, la nécessaire collaboration est mise à mal par des mécanismes de défiance mutuelle. Pourtant, et dès lors que l'on se convainc que "l'on n'a pas raison tout seul", la collaboration, l'animation ou le "management de toutes les parties prenantes" démontrent à la fois leur utilité et leur efficacité, que ce soit pour la performance collective comme pour la satisfaction individuelle.

 

Et pour l'aménagement de nos territoires

RailsActualité du jour, enfin, avec le grand "big bang" ferroviaire... Des démarches de concertation ont été mises en œuvre, institutionnalisées ou volontaires. Les premières répondent souvent à des objectifs de moyens. Les autres, comme les "Clubs" que nous aidons à animer, tentent, sans doute imparfaitement, de contribuer, par la pédagogie mutuelle, au renforcement d'une confiance réciproque. Ces changements profonds des services ferroviaires sont a priori justifiés par des objectifs de bien-être collectif, ou de service public, si l'on préfère ce terme: - la mise en service du TGV Rhin-Rhône, qui transformera les territoires désormais reliés entre eux (il suffit de constater l'enthousiasme des Belfortains et le renforcement à venir des synergies entre Alsace, Franche-Comté et Bourgogne, sans oublier la Suisse et l'Allemagne voisines pour s'en convaincre); - le programme de travaux engagé pour accompagner la croissance du transport public et répondre aux défaillances (a-t-on déjà oublié les ruptures en série des caténaires ?); - au "cadencement" retenu comme solution pour optimiser l'occupation du réseau ferroviaire.

Là encore, la pédagogie a peut-être manqué vers le plus grand nombre des relais d'opinion. Mais sans doute la défiance facile a-t-elle également généré les malentendus et les a-prioris entre les parties... "Pourquoi expliquer des contraintes d'expert à des utilisateurs par nature néophytes qui, in fine, n'y comprendront rien, ou ne voudront pas comprendre" ? Et "pourquoi faire part de nos préoccupations à des technocrates qui, de toutes façons, n'ont que faire de nos enjeux" ? Pourtant, de part et d'autre, on trouve de nombreux témoignages de bon sens et d'intelligence. Là encore, l'expérience prouve que la confiance mutuelle et la collaboration sont les clés du succès collectif, même s'il faut pour cela accepter les différences de point de vue et trouver des voies médianes, parfois moins brillantes conceptuellement mais tellement mieux partagées et appropriées.

 

L'envie, la jalousie et la défiance systématique sont des comportements frileux d'enfants gâtés, qui comptent sur leur propre patrimoine, à titre individuel ou familial, ou à titre collectif, lorsque des mécanismes de rente, d'appropriation ou de redistribution, selon le point de vue adopté, permettent de "mutualiser" la richesse. Le pays est endetté au-delà du raisonnable, et beaucoup d'entreprises françaises sont en situation de grande fragilité. Il serait temps de siffler la fin de la récréation, ou de faire sonner le réveil, pour passer de la cour des écoles au chemin de la responsabilité individuelle et collective.

 

1. Alain PEYREFITTE. "La société de confiance. Essais sur les origines du développement". Odile Jacob, 1995, en poche depuis 2005.

2. Yann ALGAN Pierre CAHUC. "La Société de défiance. Comment le modèle social français s'autodétruit". Collection du Cepremap. 2007. En libre téléchargement sur internet.

3. François DUPUY. "Lost in management". Seuil, 2011.

Rédigé par Kaqi

Publié dans #Social change

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